Julien Frison, pensionnaire belge de la Comédie-Française: « Ma belgitude, c’est mon identité »

© Renaud Monfourny
Isabelle Willot

A 28 ans, le comédien belge célèbre comme il se doit les 400 ans de la naissance de Molière en incarnant Damis dans le Tartuffe d’Ivo van Hove. Repéré en 2016 alors qu’il était encore étudiant au Conservatoire, il partage, depuis, le quotidien de l’une des troupes de théâtre les plus mythiques du monde.

Molière, ici, c’est le patron. Toutes ses grandes pièces sont plus actuelles que jamais. Sa langue se laisse apprivoiser plus facilement quand on l’écoute que lorsqu’on la lit. Sur scène, quand j’entends Denis Podalydès et mes autres camarades dire ces alexandrins, j’oublie qu’ils ont été écrits il y a presque 400 ans. Nous vivons encore aujourd’hui entourés de Tartuffe: ce sont ces gens charismatiques, séduisants, pétris de certitudes que l’on retrouve partout, dans les médias, en politique comme dans la vie de tous les jours. Ils sont capables de se servir de la moindre parcelle de naïveté que l’on laisse paraître.

Le public est tellement plus généreux qu’une caméra. Il devient un nouveau partenaire, ses réactions modifient notre manière de jouer, ce n’est jamais deux fois pareil. Pourtant, au début, le théâtre pour moi, c’était un truc plutôt obscur, sans doute à cause d’une pièce que j’avais vue adolescent et pendant laquelle j’ai cru mourir cent fois d’ennui. A 14 ans, j’ai décroché un rôle dans le film Odette Toulemonde. D’autres ont suivi. Je m’éclatais, j’aimais surtout jouer et rater l’école. Mais je ne pensais pas en faire mon métier, je m’étais même inscrit en fac de biologie à la fin de mes secondaires. Avant la rentrée, ma mère m’a offert un stage au cours Florent à Paris. Et j’y suis resté avant d’entrer au Conservatoire. A la même époque, dans un tout autre registre, j’ai eu un petit rôle récurrent dans la série Nos chers voisins. Une expérience que je regarde aujourd’hui avec fierté et bienveillance.

Un coup de téléphone peut changer votre vie. J’étais en Auvergne en 2016 avec des amis du Conservatoire, on travaillait sur un petit Racine dans une salle polyvalente de village. Après la répétition, à passé 22h30, j’ai vu qu’Eric Ruf, l’administrateur général de la Comédie-Française, m’avait laissé un message. Je l’ai rappelé, je ne comprenais qu’un mot sur deux tellement la réception était mauvaise. J’ai finalement réalisé qu’il voulait m’engager comme pensionnaire. Pour une reprise de rôle, trois semaines plus tard, celui de Bobin dans Un chapeau de paille d’Italie, d’Eugène Labiche. Je n’oublierai jamais ma première entrée en scène, aux côtés de Christian Hecq, un des quatre autres Belges du « Français ». Mon coeur battait jusque dans ma gorge.

‘J’ai appris u0026#xE0; revoir mon empressement, u0026#xE0; prendre le temps.’

Etre acteur au Français, c’est vivre l’esprit de troupe. C’est une chance vraiment: celle de pouvoir travailler ces textes, avec des metteurs en scène d’exception, d’être à l’abri, aussi. Voir pour la première fois accolé à son nom les mots « de la Comédie-Française », ça fait un petit kiff, j’avoue. On se sent tout à coup proche d’acteurs et d’actrices que l’on admire, on fait partie de la même bande. C’est une vraie machine de travail qui ne s’arrête jamais et dans laquelle je m’épanouis. Certaines années, j’ai pu être artistiquement moins heureux que d’autres. Mais j’ai appris à revoir mon empressement, à prendre le temps.

La mémoire est un muscle qui s’entraîne. Moins on l’utilise et plus on peine à apprendre trois lignes. J’emporte mon texte partout avec moi, il ne quitte jamais ma poche, à la fin, c’est une véritable épave. Dès que j’ai un moment, je lis, je m’en imprègne un peu chaque jour. Je fais beaucoup d’escalade et lorsque je pars en falaise avec des amis, je m’installe dans un hamac au pied des voies et pendant les pauses, j’étudie et je demande aux copains de me faire répéter. Il y des saisons plus chargées que d’autres, je joue en moyenne trois pièces par an. Ça a pu monter jusque sept, cela veut dire jouer parfois trois pièces différentes dans la même journée.

Ma belgitude, c’est mon identité. Ce sont mes racines et j’y suis très attaché. Je rentre chez mes parents, à Bousval, dès que je le peux. C’est là que j’ai passé le premier confinement, ils étaient ravis de m’avoir auprès d’eux, moi qui avais quitté la maison si vite et si jeune. A la Comédie-Française, tout s’enchaîne tout le temps, et là, pour une fois, nous avions un peu de répit. Quand le travail a repris, certes les plans de création ont été modifiés mais j’ai eu beaucoup de chance: les deux pièces du Français qui me tenaient à coeur, La Cerisaie et Tartuffe, ont été maintenues. Et j’ai même enchaîné trois tournages. Dont Les trois mousquetaires, aux côtés d’Eric Ruf, qui sortira l’année prochaine.

Le Tartuffe ou l’Hypocrite, à voir jusqu’au 24 avril à la Comédie-Française, à Paris.

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