Ce qu’Agnès Jaoui doit à ses « grosses cuisses » (et autres confidences)

Isabelle Willot

A 59 ans, la femme la plus césarisée du cinéma français est sur tous les fronts. Agnès Jaoui sort en effet un disque, un film et son tout premier roman, La taille de nos seins. Un texte intime et tendre qui parle de la force sacrée de l’amitié.

Corps de femme

Une fois que vos seins pointent, votre monde n’est plus jamais le même. Soudain, vous devenez différente de vos copines. C’est comme si vous vous transformiez en une sorte de chiffon rouge que l’on agite dans l’arène face au taureau. Aux yeux du monde, des hommes surtout, vous avez soudain un corps de femme. Mais votre tête ne suit pas du tout car vous vivez encore dans l’enfance.

Grosses cuisses

Il y a les filles qui sont à la mode et celles qui doivent s’en inventer une. Mon empathie pour les minorités doit certainement beaucoup à mes grosses cuisses, au fait que je n’étais pas «parfaite». Apprendre très jeune à exister et à plaire autrement que par son physique, c’est une chance. Même si ce n’est pas vécu comme tel lorsque cela vous arrive.

Invisibilisée

La courbe de mon désir est allée à l’inverse de celle des hommes à mon égard. On m’a à la fois regardée trop tôt… et pas assez tard. Comme beaucoup de femmes, je me suis un jour retrouvée complètement invisibilisée. Alors, c’est très agréable de ne plus être matée comme une marchandise, j’avoue que ça ne me manque pas d’être sifflée dans la rue. Et pourtant, c’est comme si tout à coup on n’existait plus, alors qu’on est encore bien vivante. C’est pour cela qu’au cinéma, je n’ai pas peur de montrer mon corps nu. Il est ce qu’il est parce que j’en suis là où je suis aujourd’hui.

Abusée

Certains secrets mettent des années à sortir. J’avais 11 ans lorsque j’ai été abusée par un de mes oncles, le «beau Paulo», pendant les vacances. J’en ai parlé pour la première fois en 2020 seulement. S’il m’a fallu autant de temps pour témoigner, c’est que c’est une bombe à diffraction lente. Cela fait partie, hélas, du parcours de vie d’énormément de jeunes filles et garçons. Le monde est enfin en train de prendre la mesure de ce que cela implique. Notamment de comprendre qu’il n’est jamais trop tard pour dire, que chacun parle lorsqu’il le peut.

« Comme beaucoup de femmes, je me suis un jour retrouvée complètement invisibilisée. »

Faute de goût

Affirmer son amour pour un art méprisé relève d’un grand courage. Enfant, j’étais fascinée par Claude François, je rêvais d’être la petite fille de la chanson Le téléphone pleure. Mes parents, un soir, se sont moqués de moi. Et j’ai été comme prise en faute de goût irréparable. Depuis, je n’ai cessé d’observer ce phénomène, des Cahiers du Cinéma aux théâtres subventionnés que j’ai pu fréquenter. C’est celui qui critique en premier qui domine. Avec l’âge, on comprend qu’en matière de goût il n’y a pas de certitude. Cette intolérance, cet élitisme, il vaut mieux en rire.

Entretenir sa psyché

La psychanalyse, c’est un peu comme la gymnastique. Tout comme on entretient son corps pour éviter qu’il ne s’écroule, c’est bien de faire pareil avec sa psyché. Aller voir mon thérapeute, cela m’aide à comprendre ce qui se passe, pourquoi ça ne circule pas. C’est le meilleur moyen d’éviter d’emmerder les autres.

La force de l’amitié

L’amitié n’exclut pas la cruauté. Je mesure ma chance d’avoir conservé des liens précieux avec mes deux amies d’enfance. La sororité comme on dit, c’est un idéal et c’est bien de l’avoir en tête car on éduque encore trop les filles dans l’esprit de compétition. Ce serait une illusion de croire, en revanche, que l’amitié est exempte de toute forme d’envie, de douleur aussi. Les enfants ne sont pas des êtres purs et gentils. C’est parce que l’on aime quelqu’un qu’il peut vous blesser plus qu’un autre justement.

Le mythe du prince charmant

Il faut en finir avec le mythe du prince charmant. Dit celle qui l’a trouvé, en plus, enfin qui a trouvé l’amour. Je bénis ma rencontre avec Jean-Pierre Bacri. Nous étions excessivement différents mais nos colères et nos indignations étaient communes. On se protégeait l’un l’autre. Les femmes doivent arrêter de penser qu’elles sont définies par la présence d’un homme à leur côté. Plus elles s’accepteront telles qu’elles sont, à tous âges, plus elles auront confiance en ce qu’elles sont et pas en ce qu’elles représentent. Il est temps d’investir dans nos vies intérieures.

A lire: La taille de nos seins, par Agnès Jaoui, dessins de Cécile Partouche, Grasset.

A regarder: Ma vie, ma gueule, film posthume de Sophie Fillières (en salle).

A écouter: Attendre que le soleil revienne, vinyle et CD, EAN.





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