Comment passe-t-on de la haine du jogging à un semi-marathon? « C’est de la torture auto-imposée », témoigne une convertie
Pour notre journaliste Aylin Koksal, la course à pied a longtemps été l’ultime torture auto-imposée. Et pourtant, elle a relevé le défi de courir le semi-marathon d’Anvers. Qu’est-ce qui pousse quelqu’un à s’infliger la pratique d’un sport méprisé? Récit de sa lutte et de ses réflexions.
Je déteste courir. Pour moi, les cours d’éducation physique étaient une torture hebdomadaire. Rien que leur nom semble déjà si condescendant, comme s’il s’agissait d’« éduquer » un corps qui ne serait pas assez bon. Mais peut-être que je le vois comme ça parce que j’étais toujours le maillon faible : invariablement la dernière à être choisie pour les sports d’équipe et la dernière à franchir la ligne d’arrivée quand il s’agissait de courir. Chaque semaine, je m’asseyais sur le banc de la salle de gym, l’estomac noué. J’avais peur d’être à nouveau rejetée par les capitaines qui détournaient stratégiquement leur regard de moi, espérant que je ne finirais pas dans leur équipe. Et quand, à la fin, ils n’avaient vraiment plus d’autre choix, leur déception était presque palpable. Les enfants peuvent être cruels, et cette cruauté s’est manifestée à maintes reprises dans ces cours de gym. Il n’est donc pas surprenant que je les déteste encore – et qu’il en aille de même pour la course.
Vous vous demandez donc peut-être pourquoi je me suis inscrite au semi-marathon d’Anvers à 28 ans. Qu’est-ce qui m’a poussé à choisir de courir alors que je déteste tant cette activité? Depuis que j’ai annoncé mon audacieuse ambition, j’ai eu droit à des regards méprisants, des commentaires bienveillants, des conseils non sollicités et des réactions perplexes du genre : « Mais attends, tu es vraiment sérieuse? » » Oula, tu comptes vraiment le faire? » Et c’est compréhensible. J’ai toujours été celle qui se moquait des Millenials obsédés par les gilets de course et leurs records sur Strava.
Comment donc en suis-je venue à aimer un sport que j’ai toujours considéré comme l’alternative ennuyeuse aux vrais hobbies?
Cet article a été réalisé en collaboration avec Zalando, qui nous a fourni des tenues de course, des accessoires, un coaching sportif professionnel et un ticket pour le marathon. Pour plus d’informations, consultez le site Zalando.be.
Trouver son « pourquoi »
Et pourtant, je suis là, au marathon d’Anvers, après sept mois d’entraînement intense et parfois acharné. Le sol sous mes pieds ressemble à des sables mouvants. Chaque tendon trop tendu et chaque douleur dans mes jambes me crient d’abandonner et de me retirer dans le havre de sécurité de ma zone de confort.
Même si je sais qu’à long terme, ce repli ne m’apportera que déception et mécontentement. Brianna Wiest a bien résumé cette lutte dans son essai The Mountain Is You, dans lequel elle affirme que l’auto-sabotage n’est pas seulement un obstacle mental, mais aussi un mécanisme de défense qui nous maintient en « sécurité », même si cette « sécurité » est en réalité une prison de croyances limitatives.
Alors que je suis sur la ligne de départ, une vieille photo d’école sur mon téléphone attire mon attention : une fillette de huit ans avec un sourire forcé devant une étagère de livres. Cette petite fille, c’est moi. Je me souviens que j’avais pleuré juste avant cette photo. Ce jour-là, mes camarades de classe m’avaient baptisée « chiffe molle ». À partir de ce jour-là, j’ai cru qu’être lent et faible vous donnait moins de valeur. Et quel est le rapport entre cette photo et ce marathon? Et bien oui: c’est exactement la raison pour laquelle je cours.
Le coureur de fond Mebrahtom Keflezighi le dit bien dans son livre Run to Overcome : vous avez besoin d’une raison, d’un objectif ou d’une motivation plus profonde pour persévérer. Bien sûr, il est normal de vouloir améliorer sa forme physique ou perdre quelques kilos (même si la course à pied, d’après les recherches scientifiques, n’est souvent pas le moyen le plus efficace). Mais ce dont vous avez vraiment besoin pour durer, c’est de quelque chose qui vous guide dans les moments difficiles.
Pour moi, c’est la fillette que j’étais sur cette photo. Je cours pour elle, pour lui donner une voix et montrer que nous pouvons transcender les limites dans lesquelles nous nous enfermons.
Soutien précieux
À trois minutes du départ, je vois mon mari à côté de la ligne de départ. Il a l’air plus nerveux que moi – ce qui est impressionnant car c’est normalement celui qui est toujours calme, le golden retriever de notre couple.
Il ne doute pas de moi, il sait exactement à quel point je me suis investie. D’un geste subtil de la main, il donne le signal convenu : « vas-y lentement ». Il l’a répété à maintes reprises au cours de nos séances d’entraînement, quatre fois par semaine, au cours des sept derniers mois. Je dis délibérément « notre » formation, parce qu’il a suivi tout ce processus avec moi.
Il a couru à mes côtés, m’a emmenée sur des itinéraires hors des sentiers battus, s’est occupé de moi pendant et après les longues courses d’endurance et m’a soutenue mentalement les jours où j’avais envie de jeter l’éponge.
En regardant autour de moi, je vois les visages tendus des autres coureurs. Ma plus grande peur ressurgit un instant : l’envie visible des autres de gagner et de courir devant.
C’est intimidant et le doute commence à me ronger.
Mais j’essaie de voir les choses sous un autre angle. Non pas comme une compétition, mais comme une course ensemble, comme je le faisais avec mon mari. Ce n’est pas mon semi-marathon, mais le nôtre. C’est peut-être aussi la raison pour laquelle les clubs de course à pied sont si bénéfiques pour de nombreuses personnes.
Le lien qui se crée en courant ensemble rend l’expérience non seulement plus agréable, mais aussi moins compétitive. Notre collègue Mare Hotterbeekx a noté le même pouvoir de connexion dans ses recherches sur le succès de ces clubs. « Courir ensemble agit comme un lubrifiant social », écrit-elle. Et en prime, grâce à la composition changeante du club, vous apprenez à connaître de nouvelles personnes chaque semaine.
Lire aussi: « Ensemble, c’est course », ou comment les running crews ont pris le royaume d’assaut
Patience est mère de distance
Les doutes qui m’assaillaient tout à l’heure ont disparu. J’ai les idées claires et j’ai enfin atteint la partie la plus difficile, la ligne de départ. Il me semble presque irréel d’être là. Je me souviens clairement de la frustration et du cynisme qui m’habitaient lorsque j’ai commencé mon aventure (ou plutôt mon agonie) du semi-marathon. J’ai constamment rencontré le cliché ennuyeux suivant : « Il faut 21 jours pour former une habitude ».
Soyons clairs : c’est un mythe. Je dirais même qu’il faut au moins six mois. Jusqu’à ce moment-là, je détestais environ 80 % de mes séances d’entraînement. Malgré les programmes de course proposés par des professionnels, les superbes tenues que Zalando m’envoyait pour me soutenir et la certitude que je me sentirais bien physiquement et mentalement à la fin de chaque course, je détestais toujours la course en elle-même.
Il y a eu des séances d’entraînement où j’étais en larmes, donnant des coups de pied dans des pierres par frustration parce que mon corps ne voulait tout simplement pas coopérer. Mon rythme cardiaque montait en flèche, bien au-delà de ce qu’un « vrai » coureur devrait normalement avoir, et mon VO2 max, la mesure de la façon dont mon corps traite l’oxygène, était à pleurer. Désespérée, je me suis jetée sur Internet, à la recherche de raccourcis et de conseils nutritionnels, dans l’espoir d’atteindre mes objectifs plus rapidement.
Mais voici la dure vérité : votre corps a besoin de temps et d’une bonne dose de patience pour s’adapter. C’est parfois difficile à avaler. Cela ressemble au mantra de quelqu’un qui a un corps naturellement en forme et qui dit : « Tu peux le faire ». Et même si cela m’ennuie d’être d’accord avec eux, c’est vraiment vrai.
Lorsque votre cerveau est régi par des croyances limitatives, il est souvent préférable de faire confiance à votre corps. Faites confiance à la science qui dit que c’est en forgeant qu’on devient forgeron. Vous serez étonné de ce que votre corps peut accomplir si vous vous accrochez. Ces changements se produisent si progressivement que vous les remarquez à peine. Les neuroscientifiques appellent cela la « cécité au changement » : notre cerveau ne peut pas suivre les transformations lentes, comme une plante ou une fleur qui pousse lentement.
Au début, rien ne semble se passer, mais avant que vous ne vous en rendiez compte, la plante est en pleine floraison.
Force intérieure
Mais trève de bavardages, le moment est enfin venu : la course commence. Autour de moi, tout le monde est concentré, pas à pas, pied à pied. Le son rythmé de toutes ces semelles qui frappent l’asphalte me semble presque thérapeutique. Les 15 premiers kilomètres se déroulent comme dans un rêve. Avec le sourire et une abondance d’endorphines, je me laisse porter par les acclamations de la foule.
Des voix étranges appellent mon nom (à ma grande surprise, il est prononcé correctement à chaque fois). Des amis et des collègues apparaissent soudain, tandis que des bénévoles me félicitent. C’est un changement rafraîchissant par rapport aux rondes monotones que j’effectue depuis des mois dans mon Limbourg tranquille par tous les temps : trop humide, trop chaud, trop sombre. Mais aujourd’hui? Aujourd’hui la météo est parfaite. Une de ces journées qui vous donnent l’impression de pouvoir conquérir le monde. Tout va si bien que je me dis même : « Suis-je…. suis-je en réalité bonne dans ce domaine? »
Puis ma montre de sport émet un bip. Mon rythme cardiaque s’accélère. Une erreur classique de débutant. C’est l’erreur que commettent de nombreux coureurs : on se sent invincible au départ, on dépasse tout le monde et on pense avoir enfin percé le secret de la course à pied professionnelle. Mais un marathon vous apprend l’humilité. Dans les cinq derniers kilomètres, des personnes que j’avais auparavant dépassées sans difficulté sont en train de m’écraser sans le moindre effort. J’essaie de réguler ma respiration, mais j’ai la bouche sèche, mes muscles se tendent, j’ai des crampes à la hanche et toutes mes articulations semblent se rebeller.
Comment s’en sortir? En un mot : résilience. Ces derniers jours, je suis tombée par hasard sur l’audio-documentaire époustouflant de Nimsdai Purja, 14 peaks. Cet alpiniste népalais a battu d’innombrables records en conquérant les plus hauts sommets du monde en un rien de temps. Dans un épisode de son podcast, il dit quelque chose qui me revient à l’esprit pendant la course : « C’est dans les moments les plus difficiles des ascensions que je me rends compte que je ne vis pas seulement, mais que je suis vivant. C’est là que commence la résilience ».
Et donc, même lorsque toutes les fibres de mon corps me crient d’arrêter, je persévère.
Confiance en soi
Le dernier kilomètre me fait l’effet d’un mini-marathon. Il ne reste que 700 mètres à parcourir, mais mes pieds pèsent autant que du plomb. Au bout de 500 mètres, je me maudis et me jure que c’est la dernière fois que je me soumets à cette torture que je m’impose. Mais à 300 mètres, la ligne d’arrivée se dessine enfin. C’est le moment, le dernier effort. Juste avant d’atteindre la ligne, j’aperçois une petite fille, probablement du même âge que moi sur cette vieille photo. Elle me fait un grand sourire et me tend une main pour me féliciter, tout en brandissant de l’autre une pancarte : « Quand je serai grande, je veux courir comme toi! » Je n’ai pas besoin de faire un dessin de ce que cela m’a fait, les larmes sont venues naturellement.
Jusqu’à ce moment-là, j’avais toujours pensé que je détestais courir, mais soudain, tout s’est mis en place. Le mouvement est bien sûr important et bon pour la santé, cela va de soi. Mais ce qui a vraiment changé, c’est ma relation avec moi-même. Je ne regarde plus l’apparence de mon corps, mais ce qu’il peut faire. Cela m’a donné confiance en moi, une orientation et la capacité de guérir de vieilles blessures. Comme le dit si bien l’auteure Brianna Wiest, « On ne peut pas changer son passé, mais on peut arrêter de croire en une histoire qu’on n’a pas écrite soi-même ». Et c’est ce que j’ai réussi à faire.
Et maintenant ? Est-ce que je continuerai à courir ? Peut-être que oui. Un jogging occasionnel semble être un bon moyen d’explorer davantage mon « amour » pour ce sport. Un marathon complet n’est pas encore à l’ordre du jour, mais d’autres aventures, comme l’escalade de montagnes, commencent à m’attirer.
Ce qui m’a d’abord semblé impossible me semble désormais réalisable, et cette seule pensée est une victoire.
Lire aussi: Ode aux joies de courir sans aucun objectif sportif
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici