L’alimentation saine, une véritable position politique et spirituelle

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Véritable mode de vie pour certains, combat politique ou simple réconfort psychologique, pour d’autres, notre rapport à l’alimentation en dit long sur notre époque. Dans son livre Spiritualité alimentaire, Les marques de jus détox ou le mythe d’une élévation de soi, Louise Laclautre raconte comment on est passé du discours de la minceur à tout prix à celui d’un bien-être absolu à la frontière de la spiritualité.

Comment la maigreur est-elle devenue synonyme de bonne santé, contrairement aux années 1950 où elle renvoyait aux périodes de maladies ? 

L’Histoire et la sociologie nous le montrent : quand nous sommes dans une période de privation, ce qui est considéré comme synonyme de bonne santé c’est la rondeur. À l’inverse, dans une société d’abondance et d’opulence, la valeur morale réside dans la capacité à la tentation permanente. La minceur, c’est transcender la nature.

Comment le discours autour du bien-être a remplacé celui de la maigreur ? 

Il y a eu une période où l’idéal de beauté était la « taille fine ». Puis, les consommateurs se sont intéressés à la composition des produits. Plus ils se sont informés, plus ils ont développé une certaine défiance vis-à-vis des marques. Le discours marketing s’est transformé et s’est voulu plus transparent. 

Le discours autour du bien-être tourne autour d’une approche holistique de soi. Il y a une forme de sacralisation du corps qui devient un temple à nourrir, chérir et aimer. Les marques de cosmétiques se tournent vers cette sémantique, en parlant de « rituel” beauté ». La dimension du bien-être est une promesse inatteignable. C’est la quête sans fin, d’un état qui ne connait pas de définition précise et flirte entre l’utopie et une représentation du bonheur. Dans le langage des marques, c’est la proposition de récits et de promesses qui valorisent un bien-être global, intérieur, extérieur, spirituel. 

Comment le jus est-il devenu un aliment de bien-être, aux multiples vertus, contrairement à d’autres produits comme la viande par exemple ?  

Le jus est un aliment chargé de symbolique. On parle de « nectar », c’est une extraction, la concentration d’un produit. À partir de là, le récit autour du produit valorise la simplicité. Il s’appuie sur un mécanisme de sociologie de l’alimentation : le mécanisme d’incorporation, à savoir « je suis ce que je mange ». 

Selon ce concept, la nourriture est porteuse de valeurs. Par exemple, selon les imaginaires liés à la consommation de viande, portés par la publicité et les industriels de la viande, elle permettrait d’être plus musclé, d’être moins malade, d’être plus fort. Même discours autour des produits laitiers pour des os plus robustes et plus forts. 

Quel rôle ont joué les marques et les stratégies de communication pour que le jus soit vu comme un moyen de « detox » ? 

Le jus se présente comme un produit miracle, un nectar, un élixir, obtenu par un processus élaboré pour conserver les fibres. Un jus précieux, qui rendrait précieux et plus pur celui qui le boit. Car il n’y a rien de plus pur que ce qu’on arrive à extraire d’un produit de la nature, du moins, c’est comme cela qu’il est présenté. De plus, ce discours permet d’invoquer la pensée magique pleine de croyances. 

C’est la promesse de pureté par ingestion, d’autant plus dans le contexte d’une cure. Pendant plusieurs jours, ce qui est solide, ce qui peut « encombrer » est supprimé. Il y a une idée de légèreté dans le jus. Ici le lien avec le religieux est d’autant plus fort que la pratique du jeûne est ancrée dans la spiritualité.

À l’heure de la science, peut-on encore croire aux discours vantant des bienfaits impossibles à atteindre ? 

Nous évoluons dans des systèmes de croyances. La science peut être considérée comme l’un d’eux. On choisit d’y adhérer. Notre société doit beaucoup à Descartes qui a séparé longtemps corps et esprit. 

Dans la vision holistique, ces deux entités sont liées. On est réceptif aux discours des marques, car ils résonnent dans le récit de soi que l’on souhaite raconter. Ils nous permettent de nous identifier, de nous situer dans l’espace social, c’est la distinction au sens de Bourdieu. La rhétorique publicitaire, c’est de nous confronter à un spectacle que l’on sait faux, comme le disaient Roland Barthes et Jean Baudrillard. Le bien-être est intangible et irrationnel. On n’est plus dans le discours chiffré de la perte de poids et des anciens régimes minceur. 

Plus qu’un moyen de survie, comment l’alimentation est devenue un moyen de revendication, presque une philosophie de vie ou une religion ? 

Il y a de nombreux phénomènes à l’œuvre. Les scandales sanitaires et alimentaires ont aiguisé la défiance vis-à-vis des marques. De plus, les réseaux sociaux sont la porte ouverte à la formation de communautés. Aujourd’hui, se revendiquer d’un mouvement alimentaire est ostentatoire, car derrière, il y a un récit de soi et du monde. C’est une position politique. Plus les mouvements montent, parlent et s’expriment, plus ils mettent en avant les effets d’une alimentation sur la planète et la santé.

L’un des exemples flagrants se retrouve chez les végans. De l’autre côté, les « viandards » prennent position pour défendre des valeurs plus patrimoniales, traditionnelles. Dans ce que l’on mange, il y a aussi ce que l’on défend, comme des traditions, la protection animale ou encore une identité collective. 

« Spiritualité alimentaire, Les marques de jus détox ou le mythe d’une élévation de soi » de Louise Laclautre, publié aux éditions L’Harmattan.

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