Le temps du réconfort avec Marie Robert: ‘La société de l’immédiateté est fondamentalement incompatible avec le sentiment d’amour.’

collage réconfort
© Collage © Lauranne van Naemen

Face au tumulte d’une année particulièrement indigeste, chérissons l’amour et la beauté, et œuvrons à multiplier les occasions de réconfort, nous enjoint la joyeuse philosophe Marie Robert dans son dernier ouvrage. On la suit?

«Je suis une philosophe du réconfort.» Cette formule succincte, hétérodoxe, et, avouons-le, quelque peu étrange et grandiloquente, résume à elle seule l’éthos de cette philosophe inclassable qui ne ressemble à aucun de ses pairs. Marie Robert discourt peu sur Platon et Aristote. Au contraire, elle s’empare de la philosophie pour des tâches plus terre à terre, comme faire ses courses avec Spinoza ou apprécier un tableau avec Kant.

A 38 ans seulement, phénomène de librairie, avec cinq livres en cinq ans, enseignante aux heures ouvrables et créatrice de contenu pour ses 250.000 abonnés Instagram à la tombée du jour, la philo-influenceuse revient avec Le miracle du réconfort, une ode à prendre soin de soi, rythmée sur huit chapitres. Face aux crises qui perturbent le monde, le rendant incertain, parfois angoissant, cet antidote bienveillant serait efficace. Là où certains le pensent comme une attitude passive, voire molasse, la philosophe Marie Robert préfère voir le réconfort comme un affect vigoureux, requinquant, puissant. «Il répare, maintient actif, nourrit la confiance en soi, alimente notre élan vital. Il peut se décliner en amour, en audace, ou même en rire», s’enthousiasme-t-elle lors de notre entretien.

Qu’est-ce qu’une philosophe du réconfort pour vous?

Marie Robert: Quand j’ai commencé à rédiger ce livre, je me suis demandé quel est le point commun de toutes mes activités, que ce soit celles qui concernent l’enseignement, mes publications, mes podcasts, ou encore mon contenu sur les réseaux sociaux. Je me suis rendu compte que dans tout cela, je cherchais à donner du réconfort. Je pense que de nos jours on a tous besoin d’un espace où l’on peut verser ses larmes. Ce qui nous fait de la peine, ce qui nous rend triste, c’est aussi le point de départ et le commencement pour retrouver le courage et rendre l’air plus respirable.

Pensez-vous que ce besoin soit d’autant plus prégnant en cette période?

Marie Robert: Absolument. Il se trouve que j’ai commencé à écrire ce livre le 8 octobre 2023, soit le lendemain du début de la guerre au Proche-Orient, et je l’ai bouclé le 8 juillet 2024, le lendemain des élections législatives anticipées en France. Ce sont deux dates qui témoignent du climat ambiant particulièrement anxiogène que traversent nos sociétés. A cela, je pourrais aussi ajouter la crise climatique et l’angoisse qu’elle suscite, particulièrement chez les jeunes. En tant qu’enseignante, je travaille souvent avec des adolescents. J’ai pu constater ces dernières années leurs nombreuses interrogations, leur inquiétude, et parfois même une forme de nihilisme: on assiste à une crise de sens. Je pense que le réconfort peut être un remède efficace à cette ambiance lourde. 

Comment réussir à «voir la beauté partout», dans le monde traversé par tant de crises? 

M. R.: C’est mon pari, au risque d’être taxée d’utopiste par certains. C’est la raison pour laquelle j’ouvre le livre par cette idée géniale, audacieuse, de l’Assistance publique-Hôpitaux de Paris qui a fait entrer des tableaux du musée du Louvre au sein de son établissement. L’idée est d’offrir aux patients, à leurs familles et au personnel hospitalier le plaisir de contempler des œuvres d’art, comme une sorte d’échappée, une parenthèse hors du quotidien. Le but, c’est de changer complètement de prisme et d’exercer son esprit, même dans les moments les plus difficiles, parfois tragiques, à s’arrêter sur quelque chose de beau, que cette chose soit d’ordre artistique ou naturel. Voir le beau nous permet de nous ancrer encore plus. 

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Dans quelle mesure la beauté peut-elle être une source de consolation?

Marie Robert: Ce qui est fascinant avec le beau, c’est son côté universel: tout le monde peut en jouir, indistinctement des conditions sociales des uns et des autres. Même si nous sommes physiquement limités, même si nous nous sentons perdus, nous avons la possibilité à chaque instant de nous raccrocher au beau et de le ressentir de différentes manières: en imaginant, en ouvrant notre fenêtre, en lançant une conversation, en parcourant un musée. Face à la beauté, nous faisons l’expérience du réconfort, de la pulsion de vie et de l’envie prodigieuse de connexion à autrui.

Comment expliquer que la beauté puisse ainsi agir de façon thérapeutique?

M. R.: Je crois que la pensée de Kant est particulièrement marquante sur ce point. On croit souvent que c’est un philosophe complexe et inaccessible. Mais concernant la beauté et l’esthétique, il nous dit des choses simples et utiles. Pour lui, quand nous trouvons quelque chose beau, il y a cette sorte de réconciliation avec nous-mêmes, une sorte d’harmonie de tout notre être. Il n’y a pas de réflexion, de critère, de logique, il n’y a que le plaisir esthétique pur qui nous envahit. Le beau nous fait quelque chose, il a une action sur nous. Dans le jugement esthétique, la raison et la sensibilité sont en harmonie: elles ne travaillent pas ensemble, mais jouent ensemble. Elles nous offrent un inestimable répit. Il n’y a pas à trancher, pas à peser le pour ou le contre, pas à douter, nous sommes libres de trouver beau ce que nous trouvons beau. 

Vous parlez de l’amour comme le «plus grand des réconforts». En quoi l’est-il vraiment?

Marie Robert: C’est un choix totalement subjectif. C’est ainsi que je ressens l’amour (rires). D’ailleurs, toutes les sources de réconfort que j’évoque sont subjectives. En général, au crépuscule de notre vie, on pense rétrospectivement à tout ce qu’on a aimé. Quelles que soient les circonstances de la vie, on a toujours ce réservoir d’amour. Cela peut concerner les relations amoureuses bien entendu, mais je pense aussi à l’amour d’un paysage, d’un tableau, d’une musique etc. Il m’a semblé que le fil conducteur de tous les réconforts, c’est l’amour. Par exemple, quand je parle du réconfort qu’apporte la nourriture, encore faut-il aimer l’aliment en question. Donc l’amour est partout. Et même quand on perd l’être de notre amour, il reste son souvenir. 

En même temps, vous le présentez comme le «plus ardu, le plus épineux» des réconforts…

M. R.: En effet. Et en terminant le dernier chapitre, je ne voulais pas donner l’impression que l’amour est un affect facile ou simple. Tout le monde en conviendrait. On sait tous à quel point l’amour est une aventure difficile. L’amour, c’est bien ce qui nous fait vibrer mais il est quand même difficile de faire preuve d’amour dans l’altérité et dans la durée. Se montrer capable d’amour est une chose, mais pérenniser cet amour dans la durée en est une autre. Dès lors la question et l’enjeu sont de savoir comment aimer dans l’altérité. Cela demande un effort constant, de la présence, du temps. Ce sont des choses d’autant plus difficiles à réaliser par les temps qui courent où tout le monde a le sentiment de manquer de temps, où le consumérisme règne. La société de l’immédiateté est fondamentalement incompatible avec le sentiment d’amour, au sens noble du terme. 

Parmi les différentes pistes de consolation, vous pointez l’audace. En quoi peut-elle réconforter?

M. R.: En réfléchissant sur le réconfort, je voulais revenir à sa racine, à sa source. L’audace est, hélas, souvent présentée comme un coup de tête, une action totalement spontanée, irréfléchie. Je pense que l’audace, c’est tout sauf cela. L’audace devra être précédée par la réflexion, et cette réflexion elle-même est un acte audacieux. Elle devient dès lors source de réconfort dans la mesure où, quand on entreprend de transformer un aspect de notre vie, et qu’on le fait avec audace en prenant des risques parfois, on a le sentiment d’être acteur de notre vie, d’être actif et capable d’agir. Etre conscient qu’on n’est pas figé, qu’on est actif, qu’on prend des risques est une source de réconfort.

Etre conscient qu’on n’est pas figé, qu’on est actif, qu’on prend des risques est une source de réconfort.

L’émerveillement est une faculté plutôt liée à l’enfance. Comment maintenir cette «flamme de l’émerveillement»?

Marie Robert: Rien à notre époque ne nous aide à garder cette faculté de s’émerveiller, qui reste, en effet, un attribut de l’enfance. Je raconte dans le livre cette scène avec mon fils qui m’a profondément marquée. Il avait à peine quelques mois, et alors qu’il se déplaçait à quatre pattes, il s’empara sur son chemin d’un bâton rempli de paillettes vertes. Emerveillé, il s’écria «waouh». Ce fut son premier «mot» prononcé, avant même «papa» ou «maman». «Waouh» est l’expression idéale de l’émerveillement. C’est un combat quotidien que de maintenir en vie notre capacité à nous émerveiller. Cela passe notamment par le fait d’être totalement ancré dans le moment présent, en étant attentif aux détails, à des aspects qui sont souvent négligés.

Comment concrètement mettre en place cette culture de l’émerveillement?

Marie Robert: Contrairement à ce qu’on pourrait croire, l’enjeu de l’émerveillement n’est pas une question individuelle. Certes, on peut s’émerveiller devant un objet, un paysage, ou autre. Mais l’enjeu est plus important. Dans l’école, comme dans l’entreprise, comment voulez-vous qu’on s’émerveille quand tout est dirigé, parfois de manière autoritaire? Regardez aussi les emplois du temps de nos enfants, ils sont souvent surchargés. La chercheuse en éducation Catherine L’Ecuyer le résume très bien quand elle dit que nos enfants doivent réapprendre à observer patiemment le parcours d’un escargot, la croissance des fleurs, le glissement d’une goutte de pluie sur le dos velu d’une chenille, la floraison d’un arbre fruitier. Ils doivent réapprendre à s’émerveiller en arrosant des plantes, en cueillant des framboises.

Parmi les source du réconfort inattendues, on retrouve aussi le rire…

M. R.: C’est en effet l’invité surprise du livre (rires). Je pense que nous l’expérimentons tous dans notre quotidien et il nous réconforte de multiples manières. C’est une libération. Un soulagement. On relâche une tension. Et surtout, la situation dont on rit nous fait changer d’angle de vue, elle nous permet parfois de dédramatiser une situation difficile. Là où l’on peut se sentir bloqué ou enfermé, le rire déclenche autre chose, nous fait basculer dans un ailleurs, nous décentre. 

le rire déclenche autre chose, nous fait basculer dans un ailleurs, nous décentre. 

Le rire peut aussi se décliner en dérision ou sarcasmes, et devenir nocif et malveillant…

Marie Robert: Dans certains cas, l’agressivité est inhérente au rire, et les êtres sociaux que nous sommes avons parfois, hélas, un amour profond du sarcasme et de la moquerie. Ici, le rire est perçu uniquement à travers le prisme du «rire de l’autre», du «rire contre l’autre». Le rire peut créer du lien mais il ne faut pas omettre qu’il peut aussi être un immense poison social. Le rire est subtil. Celui que je privilégie, c’est le «rire philosophique», le rire de décalage, celui qui nous permet de voir les choses d’une manière décentrée et de parfois rire de nous-mêmes. 

Le miracle du réconfort, par Marie Robert, Flammarion, 272 pages.

Envie d’aller plus loin?

  • Un livre. Dans son bouquin Eduquer à l’émerveillement (éditions Racine), le psychopédagogue de l’UMons Bruno Humbeeck se penche aussi sur cette notion d’émerveillement de l’enfance et donne des pistes pour le cultiver à l’adolescence, voire plus tard dans la vie.
  • Un compte Instagram. Chaque jour, des bonnes nouvelles, des parcours inspirants et des histoires hors du commun… Tel est le mantra de @le.media.positif qui compte pas moins de 1,5 million de followers. Une autre façon d’ausculter le monde.
  • Un podcast. La philosophe Marie Robert traite le sujet de l’émerveillement dans un épisode de son podcast Philosophy Is Sexy. On y retrouve sa façon décalée d’aborder la philo, pour la rendre concrète et proche de nos préoccupations quotidiennes.

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