Pourquoi il faudrait célébrer notre graisse plutôt que de la traquer sans cesse
Traquée, maudite, chassée, honnie… Malgré l’essor successif des mouvements body positive et de neutralité, la graisse reste souvent l’ennemie numéro 1 de nombre de corps, ou plutôt, des personnes qui les habitent et sont persuadées qu’il faut s’en débarrasser. Et si, au contraire, la graisse remplissait des fonctions essentielles?
La Dr Mariëtte Boon, médecin et chercheuse, et le Pr Liesbeth van Rossum, endocrinologue, ne laissent planer aucun doute sur la question. Dès le sous-titre de leur best-seller international, Le charme secret de notre graisse, elles précisent en effet « et son rôle en faveur de notre santé ». Oui, en faveur. Car ainsi que les deux Néerlandaises l’expliquent au long de 307 page de vulgarisation fascinantes qui se lisent avec l’engouement d’un roman, la graisse corporelle, considérée depuis une dizaine d’années comme un organe à part entière, participe à notre de fonctions essentielles à notre organisme.
Comprendre: « Personne ne pourrait se passer de la graisse, pourtant, on nous répète sans cesse le même message: il faut en venir à bout, prendre des compléments alimentaires pour la « bûler », se mettre au régime, attaquer nos bourrelets… Bref, la graisse a été érigée en ennemie. Et c’est un tort » regrette le duo, qui démontre pourquoi un chapitre à la fois.
De nombreux bienfaits
C’est qu’en entendant parler de graisse corporelle, on pense encore trop souvent « au bourrelet qui commence à dépasser du pantalon quand on a trop mangé » concèdent Mariëtte Boon et Liesbeth van Rossum, qui dénoncent le rôle joué par les médias dans la relation d’amour-haine « où la haine l’emporte souvent » que la plupart des gens entretiennent avec leur graisse corporelle, alors même que « comme tout ce qui constitue notre corps, elle n’est pas là pour rien ». Et si, durant de longues années, on a pensé que la graisse n’était rien d’autre qu’une petite couche isolante, on sait désormais qu’elle est non seulement un organe à part entière, mais aussi, un des plus grands organes de notre corps.
Non seulement sa taille et ses fonctions la rendent importante, mais pour les deux auteurs du Charme discret de la graisse, cette dernière est même carrément indispensable. D’abord, parce qu’elle permet de fournir continuellement de l’énergie à nos autres organes, mais aussi parce qu’elle fabrique des hormones diffusées dans le sang pour communiquer avec d’autres organes, dont le cerveau, et qu’elle secrète également des hormones qui inhibent l’appétit.
C’est que la graisse produit notamment de la leptine, qui est l’hormone responsable du sentiment de satiété. Incroyable mais vrai: l’apport en bonnes graisses aiderait aussi à… inhiber la croissance adipeuse. C’est le principe même du régime keto, par exemple, qui réduit la consommation de glucides pour faire des lipides la principale source d’énergie. Si l’on prend aussi en compte le fait que la graisse corporelle protège nos organes, régule la température corporelle, fait office de source d’énergie pour l’organisme et stocke en prime des vitamines, on en vient à se demander pourquoi la plupart des gens passent tant de temps à la traquer.
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Un esprit sain dans un corps gras?
Réponse: c’est parce que « notre graisse corporelle a deux visages » expliquent Mariëtte Boon et Liesbeth van Rossum. Tant qu’elle reste dans une certaine proportion, celle dite « essentielle », la graisse corporelle « nous est bénéfique et nous maintient en bonne santé. Mais quand nous n’en avons pas assez ou bien trop, elle peut devenir nuisible ». Ainsi, l’insuffisance peut notamment mener à l’infertilité, tandis que le surplus de graisse, lui, est lié à un excédent d’hormones nocives qui perturbe les processus corporels et peut lier à toute une série de maladies. Dont la stérilité, mais aussi le diabète de type 2, la dépression et certains types de cancers.
Ajoutez à ces menaces pour la santé le fait que les corps minces sont en vogue depuis le début du XXe siècle et soudain, la diabolisation de la graisse fait plus de sens – même si, le fait que dans les années 20, une pub pour les cigarettes Lucky Strike incite à « prendre une Lucky plutôt qu’une friandise » pousse à se demander à quel point notre lutte contre les bourrelets a parfois pu être dangereuse.
Et ce alors même qu’ainsi que le rappelle Laurence Plumey, nutritionniste française et auteure du livre Le monde merveilleux du gras, « le gras mérite le respect ». Surtout en ce qui concerne la graisse brune, présente en grandes quantités chez les animaux qui hibernent longtemps, mais aussi, chez les humains, à qui cet organe semblable à un mélange de graisse blanche et de muscle permettrait non seulement de produire de la chaleur, mais également de brûler des calories.
Éloge de la graisse brune
« La graisse brune transforme les calories en chaleur et comme elle est très sensible au froid, il est simple d’activer chaque jour votre graisse brune » expliquent les deux auteures, qui conseillent notamment de finir chaque douche par un jet d’eau froide, de baisser le chauffage plusieurs heures par jour sans mettre de pull, ou encore de laisser les enfants jouer dehors plus longtemps sans manteau, rappelant que ces derniers « ne s’enrhument pas à cause du froid mais bien d’un virus ». Et de recommander également la consommation régulière de piment, thé vert et café.
Loin de faire l’apologie de l’obésité, dont elles rappellent les dangers, ou bien de souscrire à une approche grossophobe, qu’elles dénoncent, Mariëtte Boon et Liesbeth van Rossum appliquent une approche empirique et didactique d’une question qui fait encore et toujours polémique. Ni unilatéralement « bonne », ni fondamentalement « mauvaise » la graisse, qu’elle se situe dans notre corps ou dans les aliments qu’on absorbe a toutefois un rôle important à remplir. Et l’envisager, non pas comme une ennemie, mais bien comme une alliée potentielle, fait des merveilles pour réconcilier les enfants de la diet culture avec un corps contre lequel ils luttent au lieu de le célébrer pour tout ce qu’il leur permet de faire. « La graisse apporte de l’énergie au corps, protège les organes, favorise la croissance cellulaire, maintient le cholestérol et la tension artérielle sous contrôle et aide l’organisme à absorber les nutriments vitaux. Si vous vous concentrez trop sur l’élimination des graisses, vous risquez de priver votre corps de ce dont il a le plus besoin » met encore en garde Vasanti Malik, chercheur au Département de Nutrition de l’Université d’Harvard.
Et si, à force d’années de lutte, vous n’avez plus la moindre idée de comment vous alimenter pour nourrir cet organe essentiel comme il se doit, les deux scientifiques néerlandaises recommandent de se fier aux repères nutritionnels suivants: 250 grammes de légumes et 200 grammes de fruits par jour, une consommation quotidienne de graisses (si possible insaturées), pas plus de 500 grammes de viande (dont 300 grammes de viande rouge) par semaine et chaque jour, une poignée de fruits secs non salés. « Mangez ou buvez chaque jour des produits laitiers, optez le plus possible pour pain et pâtes complets, buvez de l’eau à volonté, limitez les sodas (même light) et la consommation d’alcool et évitez les plats préparés ». Une approche garantie d’avoir des « répercussions positives sur votre poids et votre métabolisme », à condition que vous n’absorbiez pas davantage de calories que vous en brûlez, assurent encore les deux Bataves. Qui concluent en martelant que « tant qu’elle reste dans certaines limites en termes de volume, la graisse corporelle nous est bénéfique et nous maintient en bonne santé ». De quoi faire (enfin) la paix avec vos bourrelets?
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