Comment l’escalade a grimpé au sommet de la hype

Dans la salle Stone-Age, à Woluwe-Saint-Lambert, de plus en plus de femmes pratiquent l’escalade. © sdp
Isabelle Willot

Boostée par les ouvertures en cascade de salles de grimpe, l’escalade s’impose comme l’activité sportive la plus cool du moment. Devenue discipline olympique, elle a vu le nombre de ses adeptes doubler en moins de dix ans.

Lucie Watillon avait 6 ans lorsqu’elle a posé le pied sur sa toute première prise, au centre Roc Evasion, à Namur. «Je me suis retrouvée dans cette salle un peu par hasard car je ne viens pas d’une famille de grimpeurs, se souvient celle qui aujourd’hui représente la Belgique dans de nombreuses compétitions internationales. J’ai tout de suite ressenti comme une envie soudaine d’arriver tout en haut du mur.»

La jeune femme, qui s’entraîne jusqu’à 20 heures par semaine, fait partie des quelque 225 000 pratiquants de tout type d’escalade que l’on dénombre à ce jour dans notre pays. «Ce chiffre découle d’une enquête réalisée par la fédération internationale d’escalade (IFSC) dans différents types de salles, détaille Simon Vankeerberghen, responsable de la communication de l’aile francophone du Club Alpin Belge. On estime qu’il a presque doublé depuis 2016.»

Et cet engouement n’a rien d’éphémère: selon le Guardian, l’escalade n’aurait plus rien de l’activité de niche qu’elle était autrefois, le quotidien britannique la qualifiant même de «sensation mondiale» avec un potentiel de croissance de 20% chaque année. «Le fait qu’elle soit devenue sport olympique à Tokyo en 2020 a contribué à sa médiatisation, pointe Virginie Binard, responsable de la salle d’escalade Stone-Age, à Woluwe-Saint-Lambert. Les épreuves de vitesse en particulier sont très spectaculaires mais aussi celles des blocs où les grimpeurs doivent compléter des voies courtes mais complexes, sans corde, le long de parois qui ne dépassent pas 5 mètres de hauteur.»

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Les réseaux sociaux se délectent de ces microvidéos de quelques secondes à haut potentiel viral qui attirent particulièrement les adolescents bien décidés à s’y frotter dans le monde réel. «Depuis quelques années, nous observons un pic d’affiliation sur la tranche d’âge des 15-18 ans que l’on peut corréler au succès que rencontrent ces films», confirme Simon Vankeerberghen.

« C’est un sport individuel – car on se bat avant tout contre soi-même – mais avec un grand sens du collectif »

Virginie Binard, responsable de la salle d’escalade Stone-Age

Smart et trendy

Cette fascination pour la verticalité s’observe encore sur d’autres plates-formes: véritables thrillers sportifs, des documentaires comme Free Solo ou The Dawn Fall, mettant en scène des grimpeurs de l’extrême aux prises avec des parois de plusieurs centaines de mètres de hauteur, séduisent de plus en plus de spectateurs. Depuis dix ans, le festival Montagne En Scène, dont la prochaine édition se tiendra du 16 novembre au 19 décembre prochain dans 220 salles de cinéma partout dans le monde, fait également la part belle aux récits de conquête des voies les plus vertigineuses du globe.

Maniak a pu profiter des hauteurs de l’église Saint-Antoine de Padoue, à Forest, pour installer ses voies.
Maniak a pu profiter des hauteurs de l’église Saint-Antoine de Padoue, à Forest, pour installer ses voies. © Delhaye Brian

L’offre, aussi, en quelques années, s’est diversifiée, surtout dans les centres urbains. Plus un mois ne passe sans que l’on annonce une nouvelle ouverture. A Bruxelles, Maniak, qui regroupe plusieurs salles d’escalades situées sur l’axe Charleroi-Bruxelles-Nivelles, vient d’installer des voies spectaculaires au cœur de la nef de l’église Saint-Antoine de Padoue, à Forest. Un peu plus tôt, c’était au tour du géant français Arkose d’investir un espace de 2 800 m2 au bord du canal, avec en prime un studio de yoga et une cantine slow food ouverte même aux non-membres midi et soir. Tout comme chez Petite Ile à Anderlecht ou au Camp de Base à Ixelles, on y pratique le bloc, un discipline à part entière qui séduit les trentenaires actifs en particulier. «Aujourd’hui, c’est souvent grâce au bloc que l’on s’initie, confirme Nicolas Mathieu, l’un des cofondateurs de Maniak. Nul besoin de grandes connaissances techniques pour essayer, ni de s’organiser avec un partenaire car on grimpe en solo, sans être assuré. C’est très ludique. Et l’on progresse vite si l’on s’entraîne régulièrement. C’est aussi plus facile à implémenter dans la pratique: il vous faut moins de hauteurs de plafonds. On trouve donc plus aisément des locaux qui s’y prêtent, notamment sur d’anciens sites industriels à réaffecter.»

Le nombre croissant de salles de blocs comme le Camp de Base, à Bruxelles, a participé à la démocratisation de l’escalade.
Le nombre croissant de salles de blocs comme le Camp de Base, à Bruxelles, a participé à la démocratisation de l’escalade. © sdp

Dans ces nouveaux lieux plutôt smart et trendy, ce sont des communautés qui se créent autour de l’escalade. «Les gens viennent chez nous pour s’épanouir aussi bien sportivement que socialement, ajoute Nicolas Mathieu. Quand vous voyez arriver un grimpeur seul, le premier réflexe sera d’aller vers lui pour le conseiller, l’aider à s’intégrer. Et cela, où que vous vous trouviez dans le monde.»

Le nouveau fitness

Comme ils iraient à la salle ou faire un jogging, ceux qui recherchent un sport complet pour se vider la tête tout en se musclant le corps, avec en prime la possibilité de se détendre ou de travailler dans des espaces de coworking, peuvent se laisser séduire par des formules d’abonnements tournant autour des 50 euros mensuels. Des montants pas très éloignés de ce que demandent certains clubs de fitness low cost. «L’arrivée de ces salles dans les zones urbaines et le développement de l’offre dans les clubs plus historiques ont contribué à démocratiser ce qui est longtemps resté un sport d’initiés», ajoute Simon Vankeerberghen.

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Un coup d’œil aux annales du Club Alpin Belge suffit d’ailleurs pour s’en convaincre. Dans ses tout premiers membres, on retrouve surtout des représentants de la haute bourgeoisie et de la noblesse belge, voire même de la famille royale. L’escalade, petite sœur de l’alpinisme, se pratique alors uniquement en extérieur. Il faut avoir du temps libre et des moyens pour planifier des moments de grimpe sur les falaises de notre pays.

Le Roi Léopold III De Belgique Faisant De L'Alpinisme
Le roi Léopold III de Belgique faisant de l’alpinisme en 1934. © Keystone-France\Gamma-Rapho via Getty Images

C’est d’ailleurs pour permettre aux adeptes de ce sport outdoor difficile à pratiquer en hiver que naîtront les salles d’escalade. La première au monde voit ainsi le jour… en Belgique en 1987. La grimpeuse belge Isabelle Dorsimond, championne du monde d’escalade, implante dans une ancienne usine à chaussures délabrée un mur équipé de trois cordes avec un mini devers sur 11 mètres de hauteur.

A peine 10% des grimpeurs quittent les salles pour l’extérieur, comme ici sur la falaise de Freÿr.
A peine 10% des grimpeurs quittent les salles pour l’extérieur, comme ici sur la falaise de Freÿr. © Kivik François

«En un peu moins de quarante ans, tout s’est inversé, souligne Nicolas Mathieu. L’écrasante majorité des escaladeurs démarre ce sport en indoor et n’envisage pas, dans un premier temps en tout cas, de s’attaquer à une falaise.» Un constat que l’on observe aussi du côté du Club Alpin où l’on dénombre à peine 4 500 affiliés assurés – et c’est obligatoire – pour pouvoir grimper en extérieur tant en Belgique qu’à l’étranger. Ce qui, si l’on extrapole avec les chiffres de la Flandre, correspond à moins de 10% des grimpeurs réguliers. Chez Lecomte, la chaîne de magasin belge historiquement spécialisée dans la montagne, on pose le même constat: une part toujours plus importante de la clientèle, jeune surtout, s’équipe désormais pour la salle.

L’escalade, un sport inclusif

«Si cela plaît autant, c’est surtout parce que l’escalade est une discipline fantastique, sourit Virginie Binard. C’est un sport individuel – car on se bat avant tout contre soi-même – mais avec un grand sens du collectif. Avant de grimper, on analyse son parcours. C’est l’occasion de bavarder avec son voisin. On s’entraide.»

Au pied des voies se côtoient des personnes de niveaux parfois très différents. «C’est aussi très intergénérationnel et mixte: dans certains de nos cours ou de nos stages, nous sommes quasiment à la parité», complète Virginie Binard. «Pour les filles, grimper, c’est un moyen de s’empouvoirer, se réjouit Clara, en charge du département escalade chez Lecomte. C’est un milieu convivial, «safe» même».

« Pour les filles, grimper, c’est un moyen de s’empouvoirer »

Clara, en charge du département escalade chez Lecomte

Une ouverture que Nicolas Mathieu explique aussi par l’âge moyen des grimpeurs qui tourne autour des 35 ans. «C’est une génération qui est plutôt «éveillée» et attentive à tout ce qui touche aux égalités homme-femme.» Dans certaines salles, le discours peut même devenir très militant lorsqu’il s’agit notamment de dénoncer les velléités de mainsplaining de certains face à des grimpeuses parfois plus aguerries qu’eux. Même chose lorsqu’il est question de continuer – ou pas – à laisser les hommes grimper torse-nu.

Traditionnellement, les «ouvreurs de voies» – soit les personnes qui régulièrement déplacent les prises sur les murs pour créer de nouveaux parcours – ont longtemps été des hommes. Mais là aussi les choses sont en train de changer. «Chez Maniak, trois filles travaillent sur nos parcours, se félicite Nicolas Mathieu. Dès que nous postons sur nos réseaux que l’une d’elles a ouvert une voie, les réactions sont tout de suite très positives.»

Besoin d’air

Pour trouver l’inspiration, c’est toujours vers la nature que ces pros du vissage vont se tourner. «Les grimpeurs de falaises font les meilleurs ouvreurs», insiste Virginie Binard. C’est à eux que revient aussi la responsabilité d’entraîner à leur suite, après les avoir formés, de nouveaux falaisistes prêts à vivre une expérience outdoor. «Les sensations sont totalement différentes, complète Lucie Watillon. Et j’adore ça.»

«Cela reste un défi de faire sortir les gens de la salle (…) mais c’est à cela que l’on reconnaît les vrais passionnés. Pour eux, c’est dehors que ça se passe.»

Nicolas Mathieu, Maniak

En Belgique, le Club Alpin gère et assure la maintenance de sites comme les Aiguilles de Chaleux, les rochers de Freÿr ou des Grands-Malades sur lesquels se retrouvent les accros de la varappe.

Sans parler de saturation, on s’y bouscule parfois par beau temps, signe de la popularité grandissante de la discipline. «Cela reste un défi de faire sortir les gens de la salle, conclut Nicolas Mathieu. Cela demande plus d’organisation que de caler deux heures dans son planning. Le coût pour l’équipement, le déplacement, l’encadrement par un moniteur qualifié est aussi plus important. Mais c’est à cela que l’on reconnaît les vrais passionnés. Pour eux, c’est dehors que ça se passe.»

Plus d’infos: Club Alpin Belge, clubalpin.be

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