Coworking: pourquoi est-on prêt à payer pour aller travailler?
On choisit de travailler en coworking pour de nombreuses raisons. Parmi elles et sans doute la principale: le besoin de sortir de l’isolement qu’implique de travailler seul chez soi. Pourquoi est-on prêt à payer pour travailler dans un espace partagé? Nous avons posé la question aux principaux intéressés, qu’ils soient travailleurs ou coworking managers.
Après la pandémie du Covid, le besoin de sortir de chez soi s’est peut-être fait ressentir plus fort que jamais. L’homme est un animal social, et bosser à la maison en pyjama toute la journée, ça va un temps. Le besoin de contacts, même minimes, est sans doute la principale raison qui poussent les gens à enfiler un pantalon pour aller travailler dehors. Et l’on ne parle pas ici d’un café avec une connexion wifi en bas de chez soi, mais de lieux qui, pour un bon nombre d’entre eux, coûtent plus cher que quelques cafés et lunchs par-ci par-là.
Les espaces de coworking se sont multipliés dans les zones citadines mais pas seulement. On observe depuis quelques années une tendance croissante à l’émergence des lieux de travail partagés dans des milieux plus ruraux. En 2023, il n’est donc pas rare de tomber sur des espaces de coworking dans des petites villes et même des villages de campagne.
Axelle dirige un coworking: « Une fois qu’on y a goûté, on n’a plus envie de partir »
Axelle dirige l’espace de coworking @coworkittre dans la petite commune d’Ittre, en périphérie de Bruxelles, depuis mai 2021. Elle nous raconte comment elle en est venue à ouvrir ce lieu qui fonctionne, loin d’être cannibalisé par la proximité de villes plus grandes comme Braine l’Alleud ou tout simplement Bruxelles:
« Mon mari est consultant. Il me racontait qu’il allait dans des espaces de coworking entre deux rendez-vous client, lorsqu’il voyageait pour le travail. Il essayait de trouver des gens avec qui travailler et prendre un café, tout simplement. De mon côté, j’étais directrice dans le secteur bancaire. J’en ai eu marre de la banque, un secteur où il y avait beaucoup de burn-outs. Un jour, un collègue m’a dit qu’il me verrait bien ouvrir un espace de coworking, c’était une super idée! Il existe une offre à Bruxelles mais en périphérie, il n’y avait pas grand chose. L’idée est venue comme ça. J’ai fait une étude de marché, et je me suis lancée, juste avant le Covid. Est-ce qu’il y aurait un effet de mode? Impossible à dire à l’époque. J’ai ouvert un an après le premier confinement. J’avais peur que ce soit une catastrophe, mais en fait, il y a eu plein de monde. Les gens ne voulaient plus rester chez eux, ils en avaient marre de ne pas avoir un simple bureau où être correctement installés, sans la scission vie privée-vie professionnelle, et le manque de contacts pesait sérieusement.
On pensait alors accueillir dans la maison de 240m2 transformée en espace de travail partagé en majorité des gens qui travaillaient sur Bruxelles et n’auraient plus envie d’aller jusque là, après les confinements successifs. Mais à ma grande surprise, nos coworkeurs habitent pour la plupart dans un rayon de 10 kilomètres. Les personnes aiment pouvoir faire un trajet très court, donc on répond à une vraie demande locale.
J’ai pensé l’espace comme un lieu de rencontre et d’échange autour de la machine à café, et donc tout le monde se connait. Une fois par mois j’offre le petit déjeuner, et j’organise des drinks lors d’occasions. La majorité de nos coworkeurs sont des indépendants, mais de secteurs tout à fait différents. Ils viennent ici pour travailler, avoir un cadre pro, recevoir leurs clients, mais aussi pour échanger entre eux. Et ce qu’on observe, c’est évidemment un relationnel très important, qui fait que les gens ont envie de rester. Ils tiennent à l’apéro du vendredi, certains sortent ensemble le week-end… Des relations amicales se tissent. C’est vraiment une communauté. Je dis toujours qu’une fois qu’on y a goûté, on n’a plus envie de partir! On sort de chez soi, et le chez soi reste dans la sphère privée.
Pendant le Covid, les entreprises ont fait des économies en fermant des bureaux. Il est temps pour ces grandes structures de se demander si, par exemple, elles ne devraient pas proposer à leurs travailleurs de se rendre ne serait-ce qu’une journée par semaine – pas besoin d’un temps plein! – dans un espace de coworking. Pour être correctement installé, pour le lien social… A Bruxelles, vous sortez, vous allez dans un café, vous allez boire un verre, mais à la campagne, c’est plus compliqué! C’est, à mon sens, une autre transition vers laquelle doit aller l’entreprise, celle de ne plus agir seulement au bureau, mais proposer à l’employé des alternatives au travail chez lui. »
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Lauranne a fondé deux coworkings au-dessus d’un HoReCa: « C’est la formule qui marche! »
Après avoir ouvert trois coworkings dédiés à la fonction travail (avec des zones de coworking en open space, des bureaux et des salles de réunion), dans leurs deux nouveaux centres, Lauranne et ses collègues ont plébiscité la formule travail + lieu de vie. « Au Phare à Molenbeek et au Mug de Court-Saint-Étienne, nous explique-t-elle, on bosse, on lunche, on privatise pour un anniversaire, pour une réunion informelle, on assiste à un atelier, un comedy club… On s’est tournés vers ce combo après le Covid quand on peinait un peu à remplir nos postes de coworking. Les lieux étaient moins remplis et nos locataires se déplaçaient surtout dans nos étages bureaux. »
Lauranne se montre convaincue par cette formule « (métro) boulot resto »: « Parlons franchement, un resto n’amène pas de recettes (on sait que le food peine à dégager des bénéfices vu les coûts fixes et de personnel), mais il drive des travailleurs qui veulent bosser dans un cadre dynamique où ils voient le monde s’activer du matin au soir, du lundi au dimanche. »
Elodie: « Des collègues sans l’inconvénient des collègues »
Et côté coworkeurs alors? Elodie, rédactrice web raconte: « Au sortir du deuxième confinement, je n’avais pas le moral. Je télétravaillais tout le temps à la maison et ne voyais plus mes collègues. Moi qui avais toujours adoré bosser chez moi, là, j’avais l’impression de subir ce qui, pour moi, s’apparentait auparavant à un luxe. Il faut savoir qu’à l’époque, les bars et restaurants n’avaient pas réouvert, et retrouver ses amis en dehors du domicile était tout bonnement impossible. Et puis d’un point de vue pratique, j’avais besoin d’un endroit où travailler sans enfants dans les pattes. Les cafés, ça a ses limites, alors je me suis naturellement orientée vers un coworking. Lorsque le manager de l’endroit m’a fait visiter les lieux, il m’a dit que des bureaux fermés étaient disponibles. J’ai décliné son offre en riant: j’avais besoin de « sentir » la présence d’être humains autour de moi. Pour autant, je n’étais pas venue dans un coworking pour chercher des amis ou des personnes avec qui papoter. Je venais pour bosser avant tout, et motivée par un besoin plus intense que jamais de me préparer le matin, de m’habiller, de me maquiller, puis de fermer la porte de chez moi pour « partir au boulot ».
Je ne m’attendais pas à trouver autant dans un espace de travail partagé. Mais le fait est qu’à ma grande surprise, j’y ai rencontré des personnes qui sont devenues des amis. Alors que je pourrais maintenant m’en passer: les bureaux de ma boite ont bien sûr réouvert après le Covid, je continue à m’y rendre toutes les semaines, même si ce luxe que je m’offre représente une part non négligeable du budget familial. J’ai mes petites habitudes là-bas, mon coin où je m’installe tout le temps. Je suis entourée de gens que je commence à bien connaître, on échange sur nos activités mais aussi sur la pluie et le beau temps. En fait, le coworking, c’est un peu comme avoir des collègues sans les inconvénients des collègues.
Et puis au-delà du lien social indispensable à la santé mentale, le coworking ouvre, bien entendu, d’autres perspectives. Je rencontre des gens qui font plein de trucs différents, une expert comptable, un avocat, un coach… Le profil des coworkeurs, en tout cas là où je suis, est très varié. Des jeunes, des vieux, des indépendants travaillant tout seuls, des petites entreprises, des salariés… J’adore cette variété que nulle part ailleurs j’aurais pu trouver spontanément. Et les jours où je sens que je n’ai pas trop le moral, que j’ai un stress lié au travail ou autre, sortir de chez moi et m’installer dans un espace neutre me permet de prendre du recul, de relativiser. Je ne reste pas à macérer dans mon jogging seule chez moi! (rires)
Côté pro, il y a tout un champ des possibles qui s’ouvre à soi. Ça peut paraître idyllique comme ça, mais c’est vrai. On m’a déjà proposé des petites missions de travail, et le fait de réseauter de façon naturelle, non « forcée » comme sur Linkedin ou dans les jobs dating, ça motive. On se dit qu’au pire, si on cherche du boulot un jour, on pourra toujours commencer par-là. Et puis concrètement, mon activité implique un ancrage dans la société, un besoin régulier d’interroger des personnes, de découvrir ce qui se fait à grande échelle d’une part mais aussi localement. Je trouve tout ça super facilement en coworking. Au détour d’un café ou d’une pause déj’, un coworkeur me présente quelqu’un qui connait quelqu’un, qui connait quelqu’un… »
Pierre-Loïc: « Une communauté d’ambassadeurs »
Travailler en coworking est évidemment plus intéressant que jamais lorsque le networking est au cœur de certaines professions, comme celle de Pierre-Loïc, entrepreneur dans la communication et les affaires européennes. Ce dernier trouve, au-delà des aspects pratiques et sociaux du coworking, une dynamique stimulante, sans être pour autant (trop) impliquante, losque la limite entre relationnel et professionnel est ténue. « Le coworking, pour moi, c’est un tremplin. Quand on se lance comme freelance porteur de projet, on a 15000 questions. Et quel meilleur endroit qu’un coworking pour trouver des réponses à nos questions, grâce à la diversité des profils des gens qu’on y rencontre? J’ai fondé ma société de zéro, j’ai pu me lancer sans stress grâce au patron du coworking où je me rends, qui est devenu un ami. C’est une chose qui compte aussi énormément, cette durabilité des contacts, car c’est ce qui permet d’assurer une certaine stabilité, une continuité.
Lorsque tu te lances, tu as envie de réduire les contraintes logistiques et bureautiques. Le coworking, c’est comme à l’hôtel, tu ne dois pas faire ton lit, faire la bouffe, les courses, gérer ta connexion internet… Un autre bienfait du lieu en lui-même, auquel on ne pense pas forcément a priori: la déco, le cadre dans lequel on travaille. On peut choisir un cadre qui nous correspond, c’est très important de se sentir bien pas seulement sur le plan logistique mais aussi sur le plan esthétique. J’ai besoin de me sentir bien dans un espace agréable, et j’aime pouvoir choisir la salle, l’espace dans lequel je me sens le mieux.
Ensuite il y a le quotidien humain qui est hyper riche et stimulant, avec des contacts dont la richesse est inconnue au départ. Il n’y a pas de lien hiérarchique, pas de lien de travail. C’est important de pouvoir avancer comme ça, dans ces liens assez neutres et indépendants les uns des autres. Il y a aussi un côté pole: des habitudes se créent, on se retrouve souvent à travailler avec les mêmes visages à ses côtés, mais on peut varier. C’est aussi chouette de s’asseoir près de groupes régulièrement, d’avoir une dynamique de groupe au sein d’un coworking.
Sur le plan humain, il y a aussi le plaisir des événements. Ce sont des événements qui ne sont pas forcément calibrés pour notre profil mais on y apprend toujours quelque chose. Le coworking c’est aussi un esprit de challenge, avec des relations spontanées qui nous permettent un peu de titiller nos défis professionnels, d’être assez déconnectés d’un intérêt professionnel direct et donc de se tester, sans pression.
Et puis évidemment, une communauté de coworkeurs, c’est des ambassadeurs. Une série de personnes m’estiment, je le sens et c’est formidable. Ce sont des personnes qui me challengent mais aussi qui me ramènent des contacts, des idées de business, des contrats. Il y a une dynamique de recommandation qu’on alimente tous entre coworkeurs. »
Jennifer: « Je dis à mes amis divorcés d’aller bosser en coworking »
Jennifer est directrice du pole belge d’une entreprise internationale d’IT. Comme Pierre-Loïc, pour elle, l’aspect pratique du coworking compte énormément, et elle apprécie particulièrement pouvoir « travailler seule » sans l’être jamais vraiment. « Dans un coworking, je n’ai pas à gérer les facturations de chauffage, les recharges d’encre, etc. Tout ce qui, pour une petite équipe, fait beaucoup de boulot. Ensuite il y a bien sûr la notion de networking qui est très intéressante. L’espace dans lequel je travaille suis offre un réseau hyper important. C’est comme avoir des collègues sans avoir des collègues! Il n’y a pas le côté compétitif qu’il peut y avoir entre personnes qui bossent pour le même patron. Après 15 ans comme indépendante, je n’ai pas vécu cette concurrence, par contre, j’ai vécu la solitude de travailler seule dans un bureau. Et c’est vraiment agréable de pouvoir mixer les deux côtés ici: l’aspect social – les salles de réunion, l’endroit où on mange, les pauses café – et le travail « seule ». Ce mix, c’est vraiment un luxe.
L’idéal est, pour moi, de pouvoir choisir: quelques jours au bureau et quelques jours à la maison. Un autre critère important: il faut que le bureau soit près de chez soi, faire une heure de trajet matin et soir, c’est du temps perdu. Le contexte du bureau, de de pouvoir rentrer chez soi et claquer la porte, c’est très important. Sinon je ne décroche jamais!
Sur le plan humain, comme je dis souvent: quand on est aux études, on se fait plein d’amis, c’est facile. Mais quand on est adulte et qu’on débarque de l’étranger par exemple, ou qu’on divorce, on a besoin de se recréer un réseau d’amis. Donc je dis à tous mes amis divorcés d’aller bosser dans un coworking (rires). Tu recrées un réseau, tu as un endroit où tu te fais des amis… Et plus si affinités. C’est un peu le Tinder des travailleurs! (Rires). Mais ça, c’est encore un autre sujet… «
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