Delphine Ysaye, comédienne et animatrice radio: « Mon combat, ce sont les femmes »
Les auditeurs de Classic 21 connaissent sa voix. Les habitués du Théâtre de la Toison d’Or, eux, se ruent sur ses pièces… et ça tombe bien : Héroïne(s) s’y installe, où Delphine Ysaye parle à la fois d’elle-même et des femmes du rock qui ont bousculé sa vie. Oh yeah.
Le droit d’être en colère
Les femmes du rock ont dû batailler pour avoir le droit de se montrer en colère. Que ce soit Janis Joplin, Patti Smith, Courtney Love ou The Runaways, peu importe l’époque, ça n’a jamais été simple pour elles de se faire entendre dans un milieu qui, comme le rap, est longtemps resté très misogyne. C’est pour ça que j’ai une fascination absolue pour ces icônes qui ont réussi à revendiquer leur liberté contre vents et marées.
Un féminisme subversif
L’icône absolue, c’est Debbie Harry. Cest une sorte de Barbie trash qui a joué avec les codes de la séduction. Moi, je fais partie des féministes qui n’ont aucun souci avec la féminité et ses attributs comme les minijupes, les talons aiguilles ou le cuir, que d’autres considèrent comme asservissants. Debbie Harry, elle a tiré profit de tout ça pour prendre le pouvoir dans un groupe de mecs. Respect total.
Art salvateur
La musique, et l’art en général, peut changer des vies. J’ai eu une enfance et une adolescence difficiles, puisque j’ai perdu ma mère quand j’étais très jeune et que mon papa était très pris par son travail. Donc je me suis en grande partie construite toute seule, notamment à l’internat. Et quand tu grandis seule, t’es paumée, t’as pas de limite, t’as l’impression de ne pas valoir grand-chose. Du coup, lire le bon livre au bon moment, ça peut te sauver. Pareil pour la musique : les icônes dont je parle dans Héroïne(s) sont des femmes qui, sans le savoir, m’ont donné du courage et de la résilience.
La révolte comme moteur
Mon combat, ce sont les femmes. J’ai toujours été révoltée. Ce n’est pas un hasard si, durant mon adolescence, je me reconnais dans le grunge, qui me dit que j’ai le droit de ne pas être sage. Après mes études en comédie à l’IAD, c’est le théâtre qui m’a permis de poursuivre sur la voie de l’engagement. Même si j’ai fait des pures comédies comme Sex and Jealousy, la plupart des pièces que j’ai jouées avaient le label « d’utilité publique », comme Les Monologues du vagin ou King Kong Théorie. Je serai toujours comme ça, parce que je reste très en colère contre les féminicides, la violence conjugale ou l’inceste. Même si les paroles se libèrent, il y a encore du chemin…
Un vocation dans le sang
Le virus de la comédie vient de ma grand-mère maternelle. Elle est née en 1920 et, quand elle annonce qu’elle veut devenir comédienne, ses parents lui disent que c’est hors de question de faire un métier qui, pour eux, équivaut à de la prostitution. Elle fait donc des études de secrétariat-dactylo. Mais juste après la guerre, elle envoie tout valser pour faire une carrière à Paris, avant de rentrer en Belgique et y faire des enfants. Aujourd’hui, pour être dans la lumière, il y a The Voice, la Star Ac’ et les réseaux sociaux. Mais ma grand-mère, elle a dû braver les interdits et se battre sans un sou. Quand j’étais petite, elle me racontait ses histoires à Paris et, un jour, elle m’a confié un texte de Marivaux qui m’a guidée vers les planches…
Transmettre, encore et toujours
Tous les comédiens ont un truc de leur enfance à réparer. Il y a un besoin d’être écouté, c’est sûr. Moi, dès mes débuts sur scène, j’ai eu la sensation qu’on me donnait cette attention et cet amour que je n’avais pas forcément eus. C’est aussi une formidable manière de raconter des histoires, de transmettre des textes ou des idées. C’est comme une agora, un lieu presque politique. Bon, j’avoue que je suis morte de trouille… Mais je me sens vivre !
« Fille de… »?
Je ne peux pas nier que mon père, Marc Ysaye, m’a permis de faire de la radio. Même s’il a fallu du temps pour qu’on ne me considère plus comme « la fille de ». Là, après 18 ans d’antenne, je me sens complètement légitime avec mes émissions Come Together ou So 90’s. Mais je sais qu’on va continuer à m’en parler, surtout depuis qu’il a décidé de se lancer en politique. Je ne ferai pas de commentaire, ça a toujours été un homme de défi, et je trouve ça plutôt louable qu’à 70 ans, il ait toujours de l’énergie pour défendre des projets.
Question d’équilibre
La transmission n’est pas une finalité en soi. Avec mon compagnon, on élève cinq enfants, et on veut juste en faire des personnes avec des valeurs. Je serais bien sûr déçue s’ils n’aimaient pas la musique, mais mon père m’a enseigné l’indulgence. Il me voyait imiter Madonna et me laissait aller voir les New Kids on the Block, mais à côté de cela, il me suggérait quand même d’écouter les Beatles. C’était une question d’équilibre. Aujourd’hui, c’est marrant : ce sont mes enfants qui lui font découvrir des trucs, comme Orelsan. Chaque génération a ses héros…
Héroïne(s), au Théâtre de la Toison d’Or, à Bruxelles, du 14 mars au 13 avril.
ur ParoleRéservations : ttotheatre.com
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