Le retour des poils pubiens, un acte de revendication féministe?
Après des années d’éradication quasi intégrale des poils pubiens, de plus en plus de femmes assument aujourd’hui leur toison. Un acte d’insoumission face aux normes esthétiques patriarcales.
La mode, c’est ce qui se démode, avait beau jeu de dire l’écrivain Jean Cocteau. Après des décennies de pubis épilés à l’excès, depuis la pandémie, les poils pubiens signent leur come-back. Ainsi, lors du défilé haute couture Maison Margiela en janvier, les toisons s’affichaient en transparence sur des tops à la silhouette voluptueuse.
Sur le podium toutefois, comme il y a trente ans lors d’un défilé iconique de la papesse punk Vivienne Westwood, le postiche était de mise.
Et le constat est le même sur les plateaux de cinéma. «L’épilation au laser définitive est si commune que les merkins, ces perruques pubiennes utilisées au Moyen Age, sont nécessaires lors des scènes de nus dans les films historiques, pointait en mai la perruquière Crystal Stuart-Fawkes au magazine Dazed Beauty. De plus en plus de femmes m’en réclament. Des maris aussi.»
Images à réflexion
Aux Etats-Unis, où l’épilation intégrale a encore plus la cote qu’en Europe, celles qui y ont eu recours jeunes sont nombreuses à regretter une décision souvent impulsive aux conséquences hélas définitives. A New York, on peut désormais se faire poser des implants sur les grandes lèvres. Une pratique qui pourrait bien essaimer jusqu’ici.
«Quand on parle du corps des femmes et de la vision qu’elles en ont, il y a toujours cette idée qu’il existe de bons et de mauvais comportements, note la sociologue Miléna Younes-Linhart, doctorante au labo d’études de genre et de sexualité de l’université Paris 8. L’épilation, celle des poils pubiens en particulier, est une construction sociale qui commence dès l’enfance. Dans le but de les faire rentrer sur le marché de l’hétérosexualité, on inculque des normes aux jeunes filles. On arrive même à les convaincre que c’est leur souhait de s’épiler pour être désirables. Depuis MeToo, les femmes ont heureusement de plus en plus accès à des outils féministes qui permettent de questionner les normes de genre liées au corps et de refuser de s’y soumettre.»
Des pubis stylisés
Et les images, parfois, valent mieux qu’un long discours. Sur Instagram, l’illustratrice queer non binaire Sam Hil Atalanta, sur son compte The Vulva Gallery, s’emploie à dessiner des vulves, avec ou sans poils pubiens, dans toute leur diversité, contribuant à représenter des sexes différents de ceux que nous vend l’industrie du porno.
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Le projet Motherland de Guen Fiore, Lynski, Yumiko Hikage et Nastya Klychkova, en montrant frontalement des pubis «stylisés», ouvre lui le débat sur l’acceptation de soi. Le travail de ce collectif féministe vient d’être exposé à la galerie John Ferrere, à Paris. Les poils pubiens, encore souvent sujet de malaise, prennent là une place centrale sur les photos, groomés jusqu’à refléter l’identité des modèles, leur offrant un moyen de se réapproprier leur corps et de transformer cette zone taboue en outil d’expression.
“Il ne faut pas que cela devienne le nouveau diktat sous prétexte qu’il semble légitime et bien vu de ne plus s’épiler.”
Miléna Younes-Linhart
Sociologue
«Que les femmes aient envie d’assumer leurs poils pubiens dans une perspective féministe, c’est positif, ajoute Miléna Younes-Linhart. Mais cela doit rester choisi. Il ne faut pas que cela devienne le nouveau diktat. Une tendance que la société capitaliste s’empressera de récupérer pour continuer à contrôler leur corps.»
Ligne du temps
Un coup d’oeil dans le rétro suffit pour se convaincre des récents va-et-vient des modes dans le domaine, souvent pétries de «bonnes intentions». Dans les années 60, le poil s’en donne déjà à cœur joie, des cheveux longs des hippies aux pubis «libérés» des femmes. Tandis que les jupes se raccourcissent à la même vitesse que la surface des culottes de Bikini, le poil redevient disgracieux. Les fabricants de rasoirs puis d’épilateurs électriques inondent le marché, dans le but de «faciliter» la vie.
«Les femmes intègrent progressivement que l’épilation devient un moment ‘pour elles’, dénonce l’ancienne journaliste politique Victoire Doux, autrice de la bande dessinée Les Poils de la Colère, publiée en mars dernier aux Editions Lapin. Un peu comme si elles se faisaient du bien en allant au spa alors que c’est terriblement contraignant.» La pop culture et ses séries, comme Sex & The City au début des années 2000, banalise l’acte en faisant rimer brezilian wax et éclate sexuelle. L’industrie du porno fait le reste. Le pubis imberbe et infantilisé devient la norme.
Milieu des années 2010, la vague du body positivisme, poussée par les confinements, entame le retour de balancier. Ce que confirmait un sondage Ifop réalisé en France en 2021: le naturel reprendrait du poil de la bête, à 28% contre 15% en 2013.
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«Qui dit naturel, ne dit pas abandon complet des épilations», nuance la dermatologue Hélène Binet. Dans son cabinet bruxellois, la tendance actuelle, c’est de ne pas trop toucher aux grandes lèvres. «Le ‘ticket de métro’ s’élargit, détaille-t-elle. On élimine une bande de chaque côté pour suivre la forme du tanga et on dessine un peu le dessus du pubis. Les demandes pour des intégrales restent minoritaires.»
Les jeunes femmes sous influence
Même constat chez Idyl, à Bruxelles, un institut qui propose des soins naturels respectant le corps et l’environnement. «L’épilation intégrale est surtout réclamée par les femmes de moins de 30 ans, pointe Marie Brabant, l’une des cofondatrices. Je l’observe aussi chez les jeunes esthéticiennes qui travaillent chez moi. J’ai beau leur dire d’y réfléchir avant d’opter pour un acte définitif…»
Liberté de choix
Faute de moyens – 35 euros minimum pour une épilation intégrale à la cire –, les jeunes traquent souvent le poil au rasoir. «Au risque de se couper, déplore Hélène Binet. Elles oublient que le poil protège des irritations qui peuvent en découler, notamment lors des rapports.»
A 40 ans, on n’a plus envie d’un pubis qui ressemble à celui d’une gamine”
Marie Brabant
Esthéticienne
Marie Brabant n’est pas prête d’oublier cette toute jeune fille, ultrastressée avant sa toute première épilation intégrale. «Elle était persuadée qu’un homme ne pourrait la désirer si elle n’était pas entièrement épilée, déplore-t-elle. Les femmes se mettent elles-mêmes une pression terrible. Heureusement, plus elles gagnent en maturité, plus elles assument leur pilosité. A 40 ans, on n’a plus envie d’un pubis ressemblant à celui d’une gamine. Sans compter que cette zone, comme le reste, va changer avec l’âge.»
En ouvrant son salon, Marie Brabant s’est bien sûr demandée si proposer des épilations pubiennes à ses clientes était compatible avec les valeurs d’acceptation de soi qu’elle et sa soeur Charlotte véhiculaient.
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«C’est une zone qui prend déjà tellement cher, en permanence. Quand on la touche, c’est pour y ‘faire’ quelque chose. Que l’on parle de rapport sexuel, d’acte gynéco, d’utilisation d’un tampon, d’accouchement ou même d’hygiène… Cela peut être violent, douloureux même. Ici, vous verrez des photos de femmes avec des poils sur les murs. Nous essayons toujours d’être dans la bienveillance, jamais dans le jugement.»
Car écouter les femmes, c’est aussi accepter qu’elles puissent encore trouver leurs poils indésirables. A elles seules d’en décider.
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