Ils ont marqué 2024: 11 personnalités en situation de handicap qui ont brillé cette année

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© Getty images et SDP, montage Lauranne van Naemen

Cette année a plus que jamais mis en avant les personnes porteuses de handicap. Suffisamment pour faire bouger les lignes? Onze d’entre elles nous confient leur vision de cette mise en lumière, leurs espoirs et leurs doutes.

Léa Bayekula, athlète

Atteinte d’une spina bifida, la native de Bruxelles est spécialiste du sprint et a décroché 2 médailles d’or (100 m et 400 m) aux derniers jeux Paralympiques

Surtout, ne dites pas à Léa Bayekula qu’elle est «athlète paralympique». Comme elle le fait justement remarquer, elle est athlète, point. Et elle n’a que faire de la pitié de ceux qui la voudraient plus méritante au titre qu’elle réalise ses exploits sportifs depuis un fauteuil roulant. «Je ne veux pas qu’on dise de moi que je suis courageuse parce que j’ai un handicap, ça n’a pas lieu d’être. Je suis une athlète tout court, je m’entraîne comme tout le monde et j’en ai marre de devoir toujours me prouver. Quand les autres comprendront-ils enfin qu’on est nous-mêmes et que notre handicap ne nous définit pas?»

Le fait que la question doive encore être posée en 2024 en dit (tristement) long. Mais Léa n’est pas du genre à se morfondre… ni à se reposer sur ses lauriers. L’année écoulée? Quand on lui demande le bilan qu’elle en fait, plutôt que de s’empresser de mentionner les deux médailles d’or décrochées l’été dernier, elle préfère revenir sur son changement de coach, et à quel point cela a rendu cette année «libératrice». Même si elle concède que depuis sa participation victorieuse aux jeux, «le regard commence vraiment à changer. Des gens me reconnaissent dans la rue et s’intéressent à ce que je fais».

Malheureusement, «dans la société, il n’y a toujours pas plus de visibilité», regrette celle qui, plus jeune, se serait bien vue devenir actrice «parce qu’au cinéma, on prend toujours des acteurs valides à qui on apprend à jouer une situation de handicap». Une injustice qui pose les contours d’une éventuelle reconversion pour Léa? On n’en est pas encore là, et quand on l’interviewe, c’est entre ses deux séances d’entraînement quotidiennes.

Cinq heures chaque jour au total, de quoi forcer l’admiration. Et aussi, peut-être, susciter des vocations? «Ça me fait plaisir de savoir que je peux être une source d’inspiration, mais j’aurais envie de dire aux enfants qui veulent suivre mon parcours: ne soyez pas comme moi, soyez comme vous.» Et aux autres? «Arrêtez de faire une distinction entre personnes valides et personnes porteuses de handicap.» En voilà une bonne résolution pour 2025.

Richard Bionic, créateur de contenu

Amputé après un accident de scooter il y a quinze ans, le Français @bionic_sneakers partage son expérience et sa vision de la mode sur les réseaux.

«Après l’amputation, j’avais 22 ans, j’étais déprimé. Et puis, j’ai commencé à faire des tutos – monter les escaliers, s’habiller… – ça m’a beaucoup aidé. Il y a un an, j’en avais un peu fait le tour; mes followers m’ont encouragé à parler d’autres sujets qui me tiennent à cœur comme la mode inclusive. J’aime la mode, ma jambe ne devrait pas être un frein. C’est pourquoi on m’entend davantage sur ce thème aujourd’hui. Il y a eu quelques modèles chez Zalando, Kiabi, Nike. Mais il existe très peu de choses. Avec le bruit qu’ont fait les jeux Paralympiques, certains espéraient que ça bouge. Certes, il y a eu plus de sollicitations pour des collabs, mais je ne crois pas vraiment que ça va durer. En 2025, j’espère faire une course de 10 km à Paris, mais mon plus gros souhait, c’est de continuer à sensibiliser, et pas seulement en parlant prothèse. Je voudrais être contacté pour des partenariats, des photos de mode… J’aimerais en faire mon métier. On a tous le droit d’être stylé.»

Benjamin Vandewalle, serveur… et acteur

Grâce à ses 11 millions d’entrées rien qu’en France, Un p’tit truc en plus est LE carton de l’année. Avec un Belge au casting, s’il vous plaît.

La force du film: une façon tendre et espiègle de porter un regard bienveillant sur le handicap. Notamment au générique: Benjamin Vandewalle, 37 ans et porteur de trisomie 21, repéré par Artus grâce à TikTok où il forme un savoureux Duotricomique avec son frère David (atteint de spina bifida).

Un premier film pour cet employé de la ferme Nos Pilifs (Bruxelles), et un succès inattendu: «Cela a permis aux gens de mieux connaître le milieu du handicap et de montrer qu’on peut rire de tout, même de nous-mêmes, quand c’est fait de façon intelligente», déclarent les frangins en chœur. «On a même monté les marches de Cannes: 80 marches, je les ai comptées!», précise Benjamin. Une petite polémique fut d’ailleurs liée à l’événement, quand les grandes maisons de mode n’ont pas souhaité habiller l’équipe du film. «Un peu honteux», avoue Benjamin. «Ça montre qu’il y a encore du chemin», poursuit David. Un groupe de luxe (Kering) a fini par éteindre le feu et vêtir le casting avec classe. «On a fait les beaux gosses, il y avait du soleil, c’était génial», retiendra Benjamin.

© Corbis via Getty Images

@duotricomique

Lucie Carrasco chroniqueuse et globe-trotteuse

Atteinte d’amyotrophie spinale, elle baroude avec Jérémy Michalak à travers le monde au gré de documentaires hauts en couleur.

«La peur, c’est un truc qui nous permet de rester en vie.» Sur le plateau de C à vous en juin dernier, Lucie Carrasco résume son expérience de surfeuse sur une plage australienne. De son sixième documentaire avec Jérémy Michalak, Lucie en Australie, diffusé cette année sur France 5, on retiendra la leçon que (presque) tout est possible. Encore plus avec un «humour de merde» et un second degré pas piqué des hannetons, largement partagé avec son acolyte. «J’ai des barrières, des limites très concrètes, je ne peux pas bouger, je sais où ça s’arrête. Vous, vous n’avez pas de barrière donc vous les mettez un peu n’importe où. Le fait d’avoir une limite, moi, me rend libre», analyse la jeune femme multicasquettes. Anciennement styliste, aujourd’hui animatrice, chroniqueuse, conférencière et ambassadrice de Plan International, Lucie confie deux rêves à ceux qui la suivent: «Continuer la télé et vieillir, pour mourir très vieille… Très très vieille.»

@luciecarrasco

Roro le Costaud créateur de contenu

Une mauvaise chute à ski l’a rendu paraplégique il y a douze ans. Mais Romain s’est battu comme un lion et a trouvé une chouette manière de «diminuer les préjugés autour du handicap» en se faisant appeler Roro le Costaud sur le Web. Le jeune homme y aborde des thèmes comme la parentalité (il est lui-même papa) ou la sexualité, le tout emballé avec un humour qui ne lésine pas sur l’autodérision. Sa grande fierté de 2024? Avoir passé le cap du million d’abonnés sur sa chaîne YouTube, où il promet que «de très jolis tournages sont encore à venir».

@roro_le_costaud 

Nicolas Vanwinsen, député communal

Ce n’est jamais arrivé: Nicolas Vanwinsen est devenu le premier mandataire politique belge porteur du syndrome de Down (trisomie 21). Agé de 33 ans, l’élu CD&V – dont les grands-parents Diane et Fons Verbist, deux ténors du CVP ont tous deux occupés le poste de bourgmestre de Heist-op-den-Berg pendant des années – a fait de l’inclusion, de la mobilité et de l’égalité des chances ses sujets de prédilection. La suite? Il entend bien «représenter tous ceux et celles qui n’ont pas de représentant au conseil communal».

Théo Curin animateur télé

Amputé des quatre membres à l’âge de 6 ans suite à une méningite, Théo Curin a trouvé sa voie dans les bassins de natation, où il s’est dessiné un parcours hors du commun empreint de résilience et de détermination. Cette année, l’ancien médaillé paralympique et vice-champion du monde a réalisé un vieux rêve en devenant animateur télé… sur une grande chaîne française. L’émission quotidienne Slam, sur France 3, est désormais la sienne, et il s’y délecte.

©Getty images © Getty Images

Lucky Love chanteur

Révélation de la scène pop française, l’artiste Luc Bruyère, plus connu sous le nom de Lucky Love, a marqué les esprits avec une prestation de haute voltige et touchante lors de la cérémonie de clôture des jeux Paralympiques. Le chanteur, né avec un seul bras, déjà adoubé par Lana Del Rey outre-Atlantique, vient de sortir un premier album flamboyant, I Don’t Care If It Burns. Son ambition: continuer à «montrer un corps qu’on ne montre pas assez, d’en montrer sa beauté et de forcer le regard», insiste-t-il dès qu’on l’interroge sur le sujet.

©Getty images

Sarina musicienne et comédienne

L’artiste bruxelloise, aveugle depuis ses 15 ans, était dans le festival Off d’Avignon cet été et poursuit sa tournée avec son spectacle musical Lève-toi!

«Avignon était une expérience émouvante. J’y ai entre autres rencontré une dame de 65 ans, qui m’a dit que ce spectacle l’avait aidée «à sortir de sa boîte». C’était une personne valide, ce spectacle ne s’adresse pas spécialement aux personnes handicapées: on a tous besoin de trouver la force de changer les choses. Probablement que le fait que je sois aveugle attire certains spectateurs; dans les 1.700 spectacles que compte le Festival, il faut bien que chacun soit touché pour choisir. Et je commence d’ailleurs le show en parlant de cela, même si c’est dur. Néanmoins, le public vient d’abord pour la qualité de la proposition. Le challenge, ce n’est pas de donner une place plus importante dans la société au handicap, c’est de comprendre que ce handicap ne définit pas la personne, que c’est une caractéristique parmi d’autres. Mon espoir est qu’un jour, on arrête de parler de handicap. Et que les spectateurs viennent voir une artiste parmi d’autres.»

Le 7 janvier au Centre culturel d’Uccle, au profit de la fondation I See, puis en tournée. sarinaofficial.com

Mathilde François, autrice et militante féministe

​Membre des Dévalideuses, un collectif handiféministe, et autrice d’un blog où elle raconte le quotidien antivalidiste avec dérision, elle souffre de douleurs chroniques, un handicap «invisible» qui chamboule son quotidien.

Mathilde n’a pas sa langue en poche, il suffit de regarder ses vidéos sur le Web pour s’en convaincre. Cet été, on l’a beaucoup entendue dénoncer le «validisme» ambiant au moment des J.O., son association profitant des caméras braquées sur Paris pour enfoncer le clou sur cette dérive de vouloir «hiérarchiser les personnes en fonction de leurs capacités». Autant les Paralympiques que le Téléthon sont «des manières de ramener la personne à son handicap, de ne plus la voir que par ce prisme», regrette-t-elle dans une interview sur le plateau de Blast, un média en ligne. Et la Française de poursuivre: «Tout est pensé comme si notre rêve était d’être valide, alors que notre projet à tous est d’avoir une vie épanouie.» La jeune femme déplore également l’«inspiration porn» ambiant – un terme utilisé par une journaliste australienne il y a une dizaine d’années: «C’est humiliant d’être célébré pour avoir fait quelque chose que tout le monde fait», conclut-elle sur Blast.

@lavieacroquer

Jérôme Van Roye, artiste

Membre du Créahmbxl, il rentre d’une résidence d’artistes à Hong Kong (soutenue par Wallonie-Bruxelles International) où il a exposé ses dessins de nus féminins.

Tout est rituel avec Jérôme Van Roy. Pour dessiner, il porte «toujours» la salopette gris et noir que sa maman lui a offerte, il met ses écouteurs, laisse Johnny Hallyday lui insuffler la concentration nécessaire pour «se lancer», feutre à la main, dans ses dessins de nus féminins. Alors patiemment, il cartographie les corps généreux qu’il ceint de traits fins comme une aura ou autant d’ondes bienfaisantes.

L’artiste revient d’un voyage et d’une résidence en Asie, c’était la première fois. Il en a aimé la cuisine, il a voulu tout goûter, il s’est fait tailler un costume sur place et sur mesure, avec ses initiales brodées, pour être raccord avec le dress code de la soirée d’inauguration qui stipulait «black tie» et durant laquelle il a expliqué son travail, avec générosité. Le consul de Belgique a aimé ses œuvres, Jérôme Van Roye en tire forcément, légitimement une fierté. Quand on lui demande s’il a le sentiment que le regard de la société sur les personnes porteuses de handicap a changé, il sourit, il plante ses yeux dans les vôtres et dit qu’il ne regarde pas le regard des autres.  


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