Autrice,

Lisa Debauche, poétesse moderne: « J’ai appris à lire et écrire avec trois anciennes bonnes sœurs »

© Laetitia Bica
Anne-Françoise Moyson

L’écriture l’a cueillie très jeune. Depuis, Lisa Debauche déploie son monde fait d’insomnie, de poésie, d’incarnation sur scène, de chant et de musique signés Lisza. Après un premier recueil envoutant «La nuit est encore debout c’est pour ça que je ne dors pas», elle travaille sur un seul-en-scène, un troisième album et un film co-écrit avec le réalisateur Naël Khleifi, dans une langue «brûlante comme la neige».

Au coeur des sensations

La poésie, c’est une maison aux fenêtres ouvertes. Ce n’est pas un refuge où l’on s’extrait du monde. Et c’est aussi une manière de résister au dévoiement du langage, au cynisme, à ce qui nous divise, nous enferme, nous rend étroits. La poésie est en prise avec le réel mais l’exprime à sa manière. « Elle franchit même l’obstacle du nom des choses, en les nommant d’une autre façon, loin du leurre et de l’arbitraire de l’étiquette », dit le poète Roberto Juarroz. Et c’est cela qui m’intéresse. Plonger au cœur des sensations et essayer d’être un vecteur, une caisse de résonance. En cela, je me sens très proche de la poétesse argentine Alejandra Pizarnik qui cherche à faire de son corps le corps du poème. C’est du sensible et non pas des idées abstraites et décoratives. La poésie pour moi est tangible mais n’ôte rien au mystère des choses et des êtres.

« Ma vie »

On peut avoir envie d’écrire très tôt. J’ai appris à lire et écrire avec trois anciennes bonnes sœurs qui avaient quitté les ordres pour fonder avec mon père psychiatre un habitat groupé. J’y ai passé mon enfance, à 20 minutes de Bruxelles dans la nature entourée de plein de gens, de potentiels référents autres que mes parents. A 5 ans, je m’en souviens, j’avais décidé d’écrire un roman, j’avais écrit le titre, « Ma vie », souligné d’un trait. Je ne crois pas avoir écrit la moindre ligne ! Ce besoin d’inventer mon propre langage ne m’a jamais quittée même s’il a mis du temps à se matérialiser.

Le trauma

Le silence et les non-dits figent. Très jeune, je sentais qu’on me cachait des choses, j’en ai des souvenirs très précis. Les enfants savent, ils apprennent à lire entre les lignes, à décrypter les silences. A 25 ans, j’ai appris que je n’étais pas la fille biologique de l’homme qui m’avait élevée et que j’avais perdu très jeune. J’ai eu l’impression que le sol s’effondrait sous mes pieds. Et en même temps cela me délivrait, je devenais mon propre parent et soudain les mots qui me fuyaient jusqu’alors me revenaient. Je pouvais les saisir. J’étais libre. C’est à ce moment-là que j’ai couru d’instinct vers la poésie et que j’y ai trouvé une maison.

‘Faire de son corps le corps du poème.’

Nouvelles alliances féministes

L’éveil féministe change votre vie. Certains livres ont changé mon regard sur le monde, ils m’ont fait grandir et donné des outils d’analyse. Ils m’ont politisée. Avant, je ne lisais que des hommes. Et puis dans la vingtaine, j’ai découvert Annie Ernaux, Simone de Beauvoir, Doris Lessing, Virginie Despentes, Angela Davis… ce fut un bouleversement total. Prendre conscience nécessite d’accepter de se remettre en question en profondeur, cela peut être douloureux et violent. En même temps, une fois qu’on est parti sur ce chemin-là, on ne peut plus retourner en arrière donc, évidemment, on rompt avec certaines personnes, on crée de nouvelles alliances, on regarde les choses d’une autre manière. C’est un chemin absolument passionnant, le seul viable, selon moi.

Plonger en soi

Actrice, c’est un très beau métier.J’ai dû m’en distancer pour prendre le temps de chercher mon propre langage, savoir ce que j’avais envie de raconter et comment. Cela demande une plongée en soi totale. Quand j’ai commencé à jouer, j’étais jeune et ignorante mais ce que je savais, c’est que je ne supportais pas de dépendre du désir des autres et des hommes en particulier, d’exister à travers leur regard. Très vite, j’ai senti que ce n’était pas mon endroit mais que j’y reviendrais plus tard, à ma façon.

« Toi, Lisa, tu écriras »

Quand j’écris un texte, j’ai envie qu’il vive en dehors de moi. La publication est la première étape de son indépendance. Parfois cela suffit, d’autres fois, la scène permet une deuxième naissance dans un espace donné. A travers le corps et sous le regard du public, les mots prennent un sens nouveau. Je repense à ma grand-mère qui avait envoyé ses poèmes à Gallimard. Face à leur refus, et piquée dans son orgueil, elle a arrêté d’écrire et n’a plus jamais cherché à publier. Elle me disait : « Toi, Lisa, tu écriras. » Je ne sais pas si cela m’a poussée à écrire mais en tous cas, ça m’a appris une chose : ne jamais abandonner ce qu’on aime faire et frapper à d’autres portes si certaines se ferment.

La nuit est encore debout c’est pour ça que je ne dors pas, par Lisa Debauche, éditions maelstrÖm reEvolution / @lisa_debauche et @liszamusic

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