Faut-il être mince pour faire carrière? L’influence du poids sur le succès professionnel

faut-il être mince pour réussir au travail
Être mince, la clé du succès au travail? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Quand il s’agit de réussite professionnelle, on a tendance à considérer que l’éducation, les compétences, l’ambition et le réseau social sont autant de facteurs qui pèsent dans la balance. Laquelle, surprise, aurait aussi son mot à dire. Être mince, la clé du succès au travail?

L’aiguille de notre balance n’indiquerait pas seulement notre poids, mais aussi, par un rapport inversé, le montant de notre salaire : plus nous pesons, moins celui-ci risque d’être élevé, surtout pour les femmes. Autrement dit: être mince est un argument de poids pour réussir au travail. En 2022, l’économiste américain David Lempert révélait en effet que chez ces dernières, un gain de 10 % de leur masse corporelle correspondait en moyenne à une perte de revenus de 6 %. Dès 2011, une étude conjointe de l’université de Floride et de la London Business School montrait pour sa part l’influence du physique sur le salaire, les femmes « très minces » gagnant en moyenne chaque année 22 000 dollars de plus que leurs collègues aux silhouettes dans la moyenne, tandis que pour les femmes « minces », ce bonus officieux tournait autour des 7 000 dollars annuels.

Et il n’y a pas que chez ces dames que l’IMC pèse lourd dans la sphère professionnelle. Pour ces messieurs aussi, le poids est un argument de taille, même si son impact est différent : plutôt qu’une extrême minceur, c’est plutôt une allure sportive qui sera désirable. D’après les résultats d’une étude menée en 2012 par un chercheur de l’Université de Cleveland, Vasilios Kosteas, les hommes qui pratiquent régulièrement une activité physique seraient ainsi payés 9 % de plus que les autres.

Une différence de taille

Comme le souligne John Cawley, professeur d’économie au sein de l’université de Cornell et spécialiste de l’intersection entre santé et argent, les femmes restent toutefois plus punies par ce que lui et ses collègues qualifient de « pénalité obésité ». Et de pointer que même dans nos contrées européennes où, contrairement aux Etats-Unis où c’est principalement une problématique féminine, aussi bien les hommes que les femmes en surpoids ont tendance à être moins payés, l’écart salarial est toutefois plus important pour ces dernières. Peut-être parce que « les employeurs discriminent plus les femmes que les hommes sur des critères physiques, ou peut-être parce que les femmes en surpoids ont moins confiance en elles que des hommes dans la même condition », avance-t-il.

Ou peut-être tout simplement parce que, comme le dénonce la journaliste et écrivaine française Nora Bouazzouni, autrice de Faiminisme et de Mangez les riches : la lutte des classes passe par l’assiette, on vit dans un patriarcat : « Donc forcément, les hommes sont plus indulgents entre eux tandis que la tolérance est moindre pour les femmes. Même si les injonctions à avoir un corps ferme et musclé se multiplient depuis quelques années, notamment sous l’influence des réseaux sociaux, les hommes ont encore le droit à un corps imparfait. » Et Patrick Charlier, codirecteur d’Unia, ex-Centre pour l’égalité des chances et la lutte contre le racisme, de prendre l’exemple de Jean-Luc Dehaene, qui assumait ses kilos, « qui lui assuraient même une certaine forme de respect », alors que pour Maggie De Block, il a été la cause de moqueries incessantes.

La minceur, valeur cardinale

Des railleries d’autant plus acceptées que, pensez-vous, elle avait l’audace d’être en surpoids et ministre de la Santé ! Une posture antinomique pour certains, qui y voyaient non seulement une invitation à se moquer de la Flamande, mais aussi à remettre en question ses compétences. « A travers la minceur, on projette une morale sur les individus, mais aussi une vertu cardinale : celle du mérite, pointe Nora Bouazzouni. La minceur est la méritocratie du corps. On imagine que les gens minces le sont parce qu’ils font tout pour l’être, cela sous-tend une idée de volonté, qui est sacralisée aujourd’hui. On balaie tous les déterminismes qui font que certaines personnes ne pourront jamais être minces, voire même seront toujours obèses. Et on dévalorise les gros, dans la vie comme au travail. Ils sont perçus comme incapables de contrôler leurs pulsions, leur grosseur est vue comme un défaut moral. On fait l’amalgame entre la vertu d’un individu et sa silhouette. Dans notre société capitaliste ultraproductiviste, le corps mince est associé à l’action et à la productivité, tandis que le corps gros renvoie à la paresse et à l’inactivité. » Avec un lien de cause à effet direct sur le succès professionnel. Et Patrick Charlier de renchérir, soulignant que le problème n’est pas tant que la minceur est valorisée dans le monde du travail, mais plutôt que « les personnes plus fortes sont défavorisées, car associées à toute une série de stéréotypes négatifs : on les pense plus lentes, moins performantes et surtout, prétendument responsables de leur situation ».

Des préjugés qui pèsent lourd aussi au boulot

Car c’est là le nœud du problème, et ce qui permet à une forme de grossophobie de persister de manière presque assumée dans tous les secteurs, celui du travail compris : l’idée, fausse, que si quelqu’un est gros, c’est qu’il l’a bien cherché. « On considère la minceur comme quelque chose de facilement atteignable, en se disant que quand on veut, on peut, alors que plein de facteurs entrent en jeu, regrette Nora Bouazzouni. C’est ce qui fait que cette discrimination est parfois plus tolérée, parce que si quelqu’un est noir, on sait qu’il ne peut pas changer sa couleur de peau, tandis que là, on se dit qu’ils n’ont qu’à pas être gros. C’est comme si cette discrimination était une forme de punition envers celles et ceux qui ne montrent pas qu’ils font tout pour ne pas être en surpoids. »

C’est ainsi que lors d’une étude où des sujets postulaient pour un poste avec un CV dont la photo représentait une personne plus ou moins grosse, l’équipe de John Cawley a pu constater que lorsque la photo avait été altérée pour rendre le ou la candidate plus gros(se), ses chances d’avoir droit à un entretien diminuaient en flèche. Un constat qui est le reflet d’une réalité sociale que dénonce Patrick Charlier : « Aujourd’hui, tout le monde sait que la discrimination raciale est interdite. Les gens vont peut-être se cacher, ou trouver un prétexte, mais ils savent qu’ils n’ont pas le droit de dire qu’ils n’engagent pas une personne à cause de sa couleur de peau. Par contre, quand il s’agit du surpoids, certains estiment que c’est justifié. Ils ne réalisent pas que c’est tout aussi contraire à la loi. Et cela vaut aussi pour les personnes discriminées, d’ailleurs, qui n’ont pas le réflexe de porter plainte. »

Mince alors!

Ces dix dernières années, Unia a ainsi reçu « seulement » 113 signalements pour le critère « caractéristiques physiques » en lien avec le poids. « On est relativement peu sollicités à ce sujet », concède Patrick Charlier. Pour qui cela s’explique en partie par le fait que notre société culpabilise les personnes en surpoids, les renvoyant au fait que celui-ci est de leur faute et qu’il leur suffirait de faire des efforts : « Elles intériorisent cette discrimination, qui les empêche de porter plainte car elles ont peur de devoir faire face à des remarques blessantes et culpabilisantes. »

Et ce, alors même que la discrimination sur la base du poids va non seulement à l’encontre de la loi belge, mais aussi plutôt trois fois qu’une. « Le poids est un critère protégé de trois manières différentes. Si on regarde la loi, il s’agit d’une caractéristique physique, qui ne peut pas être un critère de discrimination, mais le surpoids peut aussi être lié à l’état de santé de la personne, voire même, dans certains cas, être perçu comme un handicap, donc le mécanisme de protection est encore plus fort puisqu’il renvoie à trois prévisions dans la loi », pointe celui qui est juriste de formation.

Outre la honte et la méconnaissance, un autre critère empêche de faire pencher la balance vers plus d’égalité, argumente Nora Bouazzouni : « Même si on a conscience d’être discriminé, c’est difficile de prouver qu’on n’a pas eu un poste ou une promotion à cause du poids. » Reste que les données disponibles dessinent un paysage professionnel où la minceur pèse encore lourd.

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