Personne intersexe: « Ce n’est pas ce que vous pensez »
Un mircropénis, un déséquilibre hormonal ou encore un chromosome supplémentaire : dans notre pays, chaque jour, cinq bébés naissent avec des variations de caractéristiques de genre. Il en existe plus de 300 et chaque intersexué est différent. Bien souvent, ils se font opérer très jeunes, et cette opération définit dès lors leur sexe. Une nouvelle résolution met fin à ces idées réductrices et interdit les interventions sans autorisation explicite.
Que faire en tant que parent lorsque vous apprenez que votre enfant n’est ni une fille, ni un garçon, mais bien quelqu’un entre les deux ? Jusqu’il y a peu, la réponse était bien souvent une opération dès son plus jeune âge, dans laquelle un choix radical était fait entre les deux sexes.
« En tant que parent, vous souhaitez que votre enfant mène une vie normale et c’est vraiment plus compliqué quand celle-ci ne rentre pas dans les standards de la société », explique Lara Aerts. Pour son documentaire Meisjesjongensmix (littéralement : mélange de filles et garçons), la réalisatrice néerlandaise a suivi la vie de Wen Long, un enfant intersexué âgé de neuf ans.
« Pour Wen Long, il n’a pas été décidé de l’opérer dès son plus jeune âge. Le couple qui l’a adoptée laisse délibérément ce choix à leur enfant. Ils sont convaincus que Wen peut ressentir qui elle est, et si elle souhaite l’opération ou non. Toutefois c’est une exception. La plupart des parents craignent le tabou autour des personnes intersexuées. Cette notion est encore bien méconnue, ce qui rend difficile la discussion autour du sujet », ajoute la réalisatrice.
Ce n’est pas ce que vous pensez
C’est ce que constate également l’urologue Piet Hoebeke, qui travaille à l’UZ Gent, un des hôpitaux de référence dans le domaine de l’intersexualité. « Lorsque les gens entendent le mot « intersexe », ils pensent souvent à des enfants avec des organes génitaux des deux sexes. Mais ce n’est en fait qu’un très petit groupe. Il existe de nombreux cas qui ne s’accompagnent pas de changements drastiques au niveau des organes génitaux. »
Il existe plus de 300 variations qui peuvent être réparties grosso modo en trois groupes : variation des chromosomes sexuels, balance hormonale atypique ou récepteurs hormonaux qui s’avèrent insensibles. Les conséquences pratiques sont pour le moins aussi diverses. Allant de caractéristiques visibles telles qu’un micropénis chez l’homme ou l’absence de seins chez la femme à des éléments moins visibles comme l’absence d’utérus : chaque intersexué est différent. Cela rend donc le débat et la législation qui l’entoure extrêmement complexes.
Un problème complexe
« Il n’y a pas de réponse univoque à la question du bien-fondé d’une opération à un jeune âge. Quand j’ai débuté ma carrière il y a trente ans, on ne parlait pas des problèmes de genre. Les interventions telles que la réduction du clitoris étaient courantes. Aujourd’hui, le spectre des genres s’est ouvert, à la fois en termes d’identité et de préférence sexuelle. Toute l’histoire des LGBTQI+ a fait en sorte que nous ne devons pas nécessairement féminiser les filles ou masculiniser les garçons. Nous n’effectuons des interventions que lorsque la vie est en danger ou que cela est médicalement nécessaire », continue Piet Hoebeke.
Même parmi les intersexués, les avis sur le désir ou non d’être opéré sont partagés. « Je suis née avec une malformation de mon cortex surrénal. Ma glande ne produit pas la bonne quantité d’hormones et toutes sortes de réactions dans mon corps m’ont amenée à produire trop d’hormones mâles. À ma naissance, les médecins n’ont donc pas directement su si j’étais une fille ou un garçon. Après quelques analyses génétiques, on a enfin pu être fixé sur mon genre », raconte Stella (21 ans).
L’hôpital local ne savait pas quoi faire de son cas. Les parents de Stella ont donc été envoyés à l’UZ Gent, où ils ont presque immédiatement compris ce qu’il se passait. En suivant l’avis de l’hôpital, les parents ont opté pour une opération visant à corriger les caractéristiques extérieures qui n’étaient pas typiquement féminines. « ‘C’est mieux de le faire avant que votre fille ne rentre à la crèche, ont-ils dit à mes parents. De cette manière, on ne leur posera pas toutes ces questions ennuyeuses me concernant et j’ai moi-même était épargnée de toute situation inconfortable », continue Stella.
Selon ses dires, Stella est très contente de son opération. « J’aurais trouvé cela beaucoup plus difficile si l’intervention avait eu lieu durant ma puberté. L’impact aurait été d’une plus grande ampleur puisque j’aurais vécu tant d’années dans ce corps. Je ne me suis jamais connue autrement. »
« Quand vous êtes enfant, vous n’êtes pas conscient de ce qu’il y a entre vos jambes »
Pour Emmanuelle Verhagen (54), c’est une tout autre histoire, et ce n’est pas par hasard qu’elle est la présidente de Intersekse Vlanderen. Elle est également passée sur la table d’opération plusieurs fois étant enfant, mais elle en garde un traumatisme. « Je suis née avec un pénis ridiculement petit. Mon organe génital était officiellement trop petit pour être un pénis, mais trop grand pour être un clitoris. Mes testicules n’étaient pas descendus. Mais quand vous êtes enfant, vous n’êtes pas conscient de ce qu’il y a entre vos jambes. Mon maillot de bain n’était peut-être pas rempli, mais cela avait ses avantages : rien n’en sortait. Je ne me posais jamais la question, » raconte-t-elle.
Les choses ont commencé à changer à ses neuf ans, lorsque sa mère l’emmena voir un docteur à Anvers. « Je ne comprenais pas très bien ce qu’il se passait, mais j’avais une confiance aveugle en mes parents. Ma première opération a eu lieu vers mes dix ans, même si j’en ai très peu de souvenirs. Tout n’était qu’ivresse, j’étais vraiment encore une enfant. »
« Une équipe entière a passé mes organes génitaux à la loupe avant de conclure qu’ils n’étaient pas assez bons »
À ses treize ans, Emmanuelle Verhagen dut à nouveau rencontrer le bistouri. Mais cette fois-ci, le vent avait tourné. « Entre-temps j’étais devenue une adolescente. On m’a dit qu’on devait terminer ce qu’on avait commencé, qu’il n’y avait pas de retour en arrière possible. Mais je ne voulais plus de ces opérations, je me sentais terriblement coincée. J’ai eu une grosse dispute à ce sujet à la maison. Dans les années 80, il était très inhabituel d’aller à l’encontre de l’avis du médecin. Et il n’y avait tout simplement aucune information disponible. J’étais complètement seule. »
La plupart des personnes intersexuées n’ont aucun problème avec leur corps, mais bien avec le tabou qui gravite autour
Les opérations étaient toujours programmées pour l’été, de manière à ce que son absence n’éveille aucun soupçon chez ses camarades curieux. Ils pensaient tout simplement qu’elle était en vacances. « Je me souviens de beaucoup de honte et de culpabilité. Les adolescents sont toujours mal dans leur peau, d’une manière ou d’une autre. Mais c’est amplifié des centaines de fois quand une équipe entière passe vos organes génitaux à la loupe avant de conclure qu’ils ne valent pas le coup. On m’a constamment répété que ces opérations étaient pour mon bien. Vous imaginez l’impact de ces mots », ajoute Emmanuelle Verhagen.
La nouvelle résolution devrait mettre un frein à ce genre de pratiques. C’est une opposition contre les opérations sexuelles irréfléchies. Parents et enfants doivent être mieux informés afin de pouvoir donner clairement leur accord pour une éventuelle intervention. On plaide également pour de plus vastes recherches autour des personnes intersexuées et pour un soutien psychologique pour les enfants comme les parents.
Quand quelqu’un prend le contrôle de votre corps sans votre permission, ça finit toujours en traumatisme
Ce n’est pas un luxe, selon Emmanuelle Verhagen. « Quand quelqu’un prend le contrôle de votre corps sans votre permission et pratique une intervention, ça finit toujours en traumatisme. Ce n’est pas pour rien que les Nations Unies ont inclus les opérations intersexuelles dans leur comité visant à éradiquer la torture. Cette résolution est une bonne intention, mais sans plus. Un cadre législatif est nécessaire. »
Ce qui est certain, c’est que le silence de la société autour de cette question doit être rompu de toute urgence. « La plupart des personnes intersexuées n’ont aucun problème avec leur corps, mais bien avec le tabou qui gravite autour. Si dès que vous êtes enfant, on vous répète de ne pas parler de votre intersexualité, alors cela finit par peser sur votre bien-être. C’est comparable aux LGBT qui ne peuvent pas faire leur coming out. L’angoisse de ce qu’il se passerait si le secret s’échappait est souvent pire que de le révéler tout simplement », exprime la réalisatrice Lara Aerts.
Piet Hoebeke confirme : « Une personne lambda a une imagination débordante quand il s’agit du mot « intersexuel ». Selon le cliché, ces personnes possèdent un vagin et un pénis, comme les bêtes de foire d’autrefois. Il existe également une mythologie qui se trouve bien loin de la réalité. Celle-ci est beaucoup plus subtile et complexe. Concrètement, nous examinons le problème, et la décision d’opérer ou non se prend avec l’avis d’une équipe multidisciplinaire et se fait au cas par cas. Nous constatons également une augmentation du niveau de satisfaction à un âge plus avancé. »
« Cette discussion tourne autour de ce que nous voulons accepter dans notre société ou non. Voulons-nous accepter que les personnes ayant un corps différent soient considérées comme des personnes normales ou non dans la société ? » ajoute Emmanuelle Verhagen. Les parents de Wen Long, l’enfant du documentaire, jouent un rôle de pionniers à cet égard. Ils ont fait le choix atypique de ne pas faire opérer leur enfant, ce qui a provoqué une certaine confusion dans la communauté. « Si je dis aux gens que je suis à la fois un garçon et une fille, certains pensent que c’est insensé. Parce que si on est un garçon et une fille, où s’assoit-on ? Vous ne savez pas où est votre place. » Et c’est ainsi qu’un enfant de 9 ans résume tout le problème de manière concise : un manque d’ouverture crée des obstacles inutiles dans nos têtes, et par conséquent dans la société.
*Stella est un pseudonyme.
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