philippe boxho

« Je préfère faire parler les morts que d’écouter les vivants »: rencontre avec Philippe Boxho, légiste et écrivain

Amélie Micoud Journaliste

Philippe Boxho, le plus célèbre des médecins légistes, cartonne avec ses livres dans lesquels il fait parler les morts, et vient de publier son nouvel opus, La mort en face. Celui qui est aussi professeur et directeur de l’Institut de médecine légale de l’Université de Liège répond à nos questions sur le vif.

« Ce qui a motivé mon choix de la médecine légale? Le hasard. J’avais 18 ans, l’âge où tout est possible, et la prêtrise me tentait beaucoup, j’adorais étudier les évangiles, rencontrer les gens, aider ceux qui en avaient besoin, et je me sentais prêt à m’y engager. Mais j’ai choisi de faire des études de médecine et au terme de ma première année, j’ai croisé l’évêque de Liège, que je connaissais, et lui ai confié que j’avais abandonné l’idée de la prêtrise. Il n’était guère surpris, car, selon lui, ce n’était pas la foi qui m’animait, mais une grande soif intellectuelle » raconte Philippe Boxho dans son dernier livre, La mort en face, publié à l’été 2024.

Aussi à l’aise face à un journaliste qu’à une table d’autopsie, le Liégeois, devenu ces dernières années une personnalité médiatique au gré de ses démystifications didactiques et ludiques de la mort, a répondu sans filtre à nos questions.

La question qu’on vous pose le plus souvent?

« Comment peut-on faire pareil métier? » Les gens sont toujours surpris d’imaginer quelqu’un qui entre en médecine pour faire tout autre chose que soigner. On fait de la médecine pour soigner les gens. Moi je fais de la médecine pour faire parler ceux qui n’ont plus rien à dire.

Le sport que vous pratiquez… en pensée?

Aucun ! Je n’aime pas le sport, sauf le kayak, j’en fais avec plaisir. J’ai six canoës à la maison. J’ai aussi fait du parachutisme mais ça prend un temps fou, la logistique est compliquée, il faut une journée entière… Par contre le kayak… je mets mon kayak à l’eau et c’est parti!

L’endroit dont vous n’êtes jamais revenu?

Je suis toujours revenu de partout. Tout a un temps. Il y a le temps pour vivre le moment, et le temps pour le survivre, c’est-à-dire le temps pour s’en souvenir. Pour moi, les choses ont un début et une fin, donc ne pas revenir d’un endroit, c’est illogique. Et si c’est illogique, ça ne peut pas exister. Si on considère que la mort est endroit duquel on ne peut pas revenir, ça voudrait dire qu’il y a une vie après la mort, or je ne peux pas l’affirmer.

La personne célèbre avec qui vous aimeriez dîner?

François Hollande. C’est un homme qui s’est présenté comme normal, et en effet, je pense que c’est un homme qui vit normalement. Il au eu cette intelligence de ramener la fonction présidentielle, une fonction supérieure, à l’idée qu’il n’était pas nécessaire d’être a-normal pour l’occuper. J’ai adoré le concept, j’ai adoré le type. Il a fait ce qu’il pouvait en honnête homme. Il n’a pas changé parce qu’il occupait une fonction, il n’a pas triché.

Le plat qui vous ramène en enfance?

C’est le pire de tous les plats : les asperges. Mes parents m’ont contraint à manger des asperges quand j’étais gosse. Je devais en manger deux, je les coupais en trois et je les avalais avec de la flotte. Les parents retenez bien ça: tout ce qu’on m’a forcé à manger pendant mon enfance – les asperges, les épinards – je ne le mange pas aujourd’hui, j’en suis dégoûté à tout jamais. C’est un traumatisme de l’enfance!

La chose la plus folle que vous ayez faite?

La médecine légale. J’ai préféré faire parler les morts que d’écouter les vivants se plaindre, mais l’autopsie est le dernier service que l’on peut rendre. Au mort – si je meurs, je veux qu’on sache de quoi je suis mort, et si c’est la faute de quelqu’un, je veux qu’il paye – mais aussi aux proches qui lui survivent. Il n’y a rien de pire que de ne pas connaitre la cause du décès d’un proche.

Un métier que vous auriez pu exercer?

Electricien. Ou jardinier. J’aime tout ce qui est manuel, l’électricité, les jardins… Sinon, j’aurais aimé être juriste, mais je pense que je n’aurais pas été bon car pour bien défendre quelqu’un, il faut pouvoir embrasser une opinion qui n’est pas forcément la sienne.

Ce qui vous saoule vraiment?

La bêtise humaine. Einstein a dit « Deux choses sont infinies : l’Univers et la bêtise humaine. Mais, en ce qui concerne l’Univers, je n’en ai pas encore acquis la certitude absolue. » On vit dans une société émotionnelle, passionnelle et lacrymale, qui a été désinvestie sur le plan de la culture. On a fait un nivellement par le bas de nos études. Pourtant, il n’y a qu’à voir le succès des émissions d’Histoire, les gens sont avides de connaître leurs racines, et nos racines sont dans l’Histoire.

L’appli de votre smartphone qui est la plus souvent ouverte?

Les infos RTFB. J’aime être tenu informé de ce qu’il se passe dans le pays. J’ouvre aussi les infos RTL. C’est marrant de voir la différence entre les infos RTBF et les infos RTL. On se rend compte qu’on ne s’adresse pas à la même population.

Un mot pour vous décrire?

Rationnel. C’est ce qui fait que je n’ai aucun brin de romantisme! Est-ce nécessaire pour faire mon métier ? Je suis un scientifique. Pour moi, la mort est naturelle, je n’ai aucun problème avec le mort. Il est mort, on ne peut plus rien faire pour lui! Mon seul rôle : me permettre de l’examiner pour le faire encore parler.

Votre achat le plus bizarre?

Une plaque émaillée représentant une pub pour un journal allemand de l’époque hitlérienne. On y voit Adolf Hitler et il est écrit que « Le journal est en vente ici ». Elle date de 1936 je crois, et je l’ai achetée pour toujours me rappeler qu’il faut détester le concept de société promu par l’idéologie hitlérienne, parce qu’on ne progresse pas dans une société en rejetant une partie de ce qui la compose. On peut avoir besoin du monstre, mais si Hitler a eu cette place-là, c’est parce que la société était en décrépitude.

Ce que vous aimeriez faire, là, tout de suite?

Finir de lire Les yeux de Mona. C’est une sorte de Monde de Sophie nouvelle génération. L’auteur propose une histoire prétexte d’une petite fille aveugle qui doit suivre une psychothérapie. Sa maman demande au grand-père de l’amener à ses séances psy. Mais le papi amène sa petite fille dans les grands musées d’art parisiens. Les œuvres sont donc expliquées par l’auteur à travers les yeux de la fillette. Et quand on déplie la couverture du livre, on voit toutes les œuvres évoquées dans l’ouvrage. C’est un très beau livre, qui donne envie de voir l’œuvre pour s’en faire une idée soi-même. Il n’impose rien, il suggère.

Entretien avec un cadavre, par Philippe Boxho, Kennes, 192 pages.

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