So british: Martin Parr, un demi siècle à élever le quotidien au rang d’art
Ses images saturées de couleurs et à l’ambiance kitsch ont fait de lui une légende dans le monde de la photographie, mais à 70 ans, le Britannique Martin Parr s’amuse toujours autant.
Une étonnante exposition, présentée à la galerie Magnum à Paris jusqu’au 12 novembre, en témoigne, en confrontant son travail à celui de photographes amateurs.
Intitulée Déjà view et conçue à partir de l’ouvrage éponyme paru en 2021 chez Textuel, elle propose une conversation ludique entre Martin Parr et les photographies regroupées par « The Anonymous Project », une équipe dirigée par le cinéaste Lee Shulman qui, depuis 2017, collectionne et restaure des diapositives d’amateurs.
« L’exposition montre que la photographie est très démocratique. Ces gens ont pris des photos aussi bonnes que les miennes presque par hasard, mais ils l’ont fait avec l’envie de laisser un témoignage. Et c’est aussi en partie ma motivation », explique Martin Parr à l’AFP.
L’initiative de ce projet insolite revient à Lee Shulman, 49 ans, qui a recueilli, examiné et sélectionné les images les plus marquantes parmi ces diapositives produites en masse à travers le monde entre 1950 et 1980.
Plus de 800.000 diapositives
Pour leur projet commun, ils ont retenu 64 duos de photos, sélectionnées, comme dans un jeu, sans aucune légende. C’est au visiteur de deviner quel est son auteur, Martin Parr ou un amateur.
Baigneurs endormis au soleil, vieillards dansant avec des ballons, gâteaux et assiettes de frites oubliés sur une table… Martin Parr a élevé le quotidien au rang d’art. Et « The Anonymous Project » suit ses traces, parfois plus près qu’il n’y paraît.
« Shulman m’a contacté et m’a présenté ce projet », se souvient Martin Parr. « Il a immédiatement dit oui », réplique fièrement son acolyte.
En cinq ans, Lee Shulman, né à Londres, et son équipe ont examiné près de 800.000 diapositives parmi lesquelles ils ont sélectionné et numérisé environ 25.000 clichés.
« Martin Parr en a plus, donc choisir les siennes a été plus difficile », confie Lee Shulman à l’AFP.
Membre de la célèbre agence Magnum depuis 1994, Martin Parr possède lui-même un fonds d’archives de près de 53.000 images, dont beaucoup sont archivées dans sa fondation basée à Bristol.
Humour british
« J’ai l’impression d’avoir un lien avec l’histoire de la satire et de l’humour au Royaume-Uni. C’est quelque chose que nous faisons plutôt bien. Et je pense que c’est pour ça que les gens en France aiment ça, parce qu’ils ont la chance de se moquer des Anglais », ironise Martin Parr.
« Je suis très heureux d’être ce catalyseur », ajoute-t-il en souriant. Mais derrière son regard rieur se cache la volonté d’interroger les fondements de la photographie.
Lorsqu’il débute dans les années 1970, après ses études à l’université de Manchester, il réalise des photos en noir et blanc, à l’instar des grands maîtres de l’époque, dont le Français Henri Cartier-Bresson.
Mais il est irrémédiablement attiré par des objets atypiques comme les cartes postales ou d’autres, très kitsch.
« Une fois que j’ai essayé la couleur, je ne suis plus jamais revenu en arrière », dit-il. Il utilise le flash, même à l’extérieur, ce qui donne une teinte brute à ses photos.
Il se souvient: « Cartier-Bresson est venu à l’une de mes expositions et a écrit qu’il trouvait que je venais d’une autre planète. « Je comprends votre position, mais je ne suis qu’un messager », lui ai-je répondu ».
Cartier-Bresson et d’autres photographes se sont opposés à l’entrée du Britannique, en sandales et chaussettes, dans la prestigieuse agence coopérative. Il a pourtant fini par la présider.
L’histoire de ce petit différend et son dénouement heureux fera l’objet d’une autre exposition à partir de novembre, intitulée Réconciliation, à la Fondation Cartier-Bresson. « Rentrer chez Magnum fut assez difficile (…), mais tous les photographes sont par nature des outsiders », conclut-il.