Bullet journal, life planner, carnet de projets sont-ils vraiment efficaces pour se réaliser ?
Les simples agendas et autres Filofax sont détrônés par des cahiers qui voient plus loin que la mémorisation de rendez-vous et entendent apporter créativité et sérénité par l’organisation. Mais rendent-ils vraiment la vie plus belle ?
« La différence entre un rêve et un projet, c’est une date butoir. » Cette phrase, attribuée à Walt Disney, pourrait à elle seule résumer les promesses qui sous-tendent l’intérêt croissant pour les outils de planification de nos vies agitées. Dans nos quotidiens éclatés, qui ressemblent plus souvent à un entraînement pour le marathon qu’à une promenade de santé, nous développons une peur d’oublier rendez-vous et tâches à accomplir ainsi qu’une angoisse du temps qui file trop vite et s’échappe, entre autres, en errances sur les réseaux sociaux. Ajoutez à cela des envies de plus en plus nombreuses – essais d’activités multiples, escapades à répétition -, un besoin d’accomplissement par l’action et la création, ainsi qu’un gros boom de l’entrepreneuriat : pas étonnant que nous soyons tentés de nous accrocher, comme à une bouée, à tout outil qui promet d’optimiser nos journées. » D’un côté, vous évoluez dans un environnement déséquilibré, distrayant et rapide. De l’autre, une partie de votre cerveau adore ça. Aujourd’hui, il est de plus en plus difficile de s’organiser afin d’atteindre ses objectifs « , résume Julien Gueniat dans 2 h chrono pour mieux m’organiser (Dunod), insinuant que notre esprit volage a besoin d’un support pour se discipliner et donner le meilleur de lui-même.
Garder une trace du passé, organiser le présent et planifier le futur.
Bujo, quèsako ?
Grand chouchou de la blogosphère, le bullet agenda (bullet ou bujo pour les addicts) ne cesse de fasciner au point que les imprimeries tournent à plein régime pour satisfaire tous les éditeurs ayant souhaité exploiter le créneau. Mais c’est quoi au fait ? Powa, auteure de Mon cahier bullet agenda (Solar), le définit en tant que » carnet vierge qui s’utilise comme un agenda, mêlé à une to-do list avec une touche de journal intime « . Pour son créateur, le designer américain Ryder Carroll, il est question de » garder une trace du passé, organiser le présent et planifier le futur « .
Décliné en versions richement ornées, telles qu’on peut en voir sur Instagram, le bullet est d’abord un simple outil de planification, où l’on rassemble des données qui pourraient aussi bien être griffonnées au stylo noir dans un vilain carnet. » C’est paradoxal, on est censé s’approprier rapidement le concept et l’adapter en fonction de sa propre vie et finalement, on se rend compte qu’il y a un besoin de mimétisme, de recopier des pages existantes « , observe Powa qui, en complément de son Cahier expliquant toutes les bases pour créer son propre bullet, prépare, toujours pour Solar, un livre de modèles pour alimenter l’imagination des » bujoteuses et bujoteurs « .
Par-delà le besoin d’inspiration et la » peur de mal faire « , si ce carnet remporte tant de succès, c’est parce qu’il offre une totale liberté et peut être personnalisé à l’envi : » Il y a plein d’outils connus d’organisation que l’on a réussi à insérer dans le bullet. C’est devenu un instrument complet et flexible « , affirme l’auteure.
Comme la plupart des acteurs de ce secteur, Powa mène une croisade contre la procrastination, cette épidémie des temps modernes qui se nourrit de l’ancestrale répulsion humaine à effectuer des tâches qui ne sont pas plaisantes et de la sur-sollicitation propre à notre société très connectée. Il ne s’agit donc plus juste de noter ce qui doit être fait. Il faut utiliser les bonnes techniques pour que ce qui était prévu aujourd’hui ne se retrouve pas quasi systématiquement réécrit sur la liste du lendemain. Les assistants à la planification se basent donc sur des théories comme la loi de Parkinson – qui veut que chaque tâche remplisse l’intégralité du temps qu’on lui accorde, même si celui-ci est trop long – ou le principe de Pareto – qui affirme que 80 % des effets sont le fruit de seulement 20 % des actions. Les dérivés de la loi de l’attraction, qui soutient que c’est en visualisant ce que l’on souhaite qu’on arrivera à l’obtenir, entrent aussi en ligne de compte.
Passer à l’action
Anne Humbert, de son côté, a choisi d’intégrer des points de psychologie positive à sa méthode en créant son Carnet de projets (23heures59editions) : » J’opérais des changements dans ma vie et je cherchais un outil. J’ai fait des recherches sur des thématiques telles que » comment changer ses habitudes et réussir à atteindre ses objectifs « … Je trouvais intéressant de lire tout ça, mais il me manquait un support pour m’accompagner dans la réflexion. » A l’époque, c’est surtout dans les pays anglo-saxons que des instru- ments de ce type existaient. » Je suis tombée sur des carnets très sympas, mais très » américains « , se souvient-elle. Ils ont un discours de la win, il faut y aller, il faut être gagnant. Moi je voudrais surtout qu’on soit bien, aligné avec ce qu’on veut faire, peu importe qu’on entende monter sa start-up ou qu’on ait juste envie de se mettre à la danse. Il n’y a pas d’échelle de réussite. » De là est donc né un carnet non pas pensé comme un ouvrage de développement personnel, mais plutôt comme un coup de pouce pour agir, reprendre confiance. » Combien de personnes ont de belles idées et n’en font rien ?, constate l’auteure. La plupart des échecs sont liés à une absence de feuille de route, de plan d’action. »
La plupart des échecs sont liés à une absence de feuille de route, de plan d’action.
Mais, alors que nous sommes encerclés par des discours prônant la rentabilité à l’extrême et dans tous les domaines, confrontés à de plus en plus de cas de burn-out, est-ce une bonne idée de jouer la carte de la planification en espérant un mieux-être ? Le risque de vouloir trop (bien) faire existe. » Certains mènent des vies où chaque recoin de leur agenda est rempli d’une activité, avec peu de repos et de temps pour eux. Et puis, un jour, c’est la dépression, et ils ne bougent plus de leur lit, écrit Vincent Trybou, psychologue, psychothérapeute et auteur de Trop perfectionniste ? Manuel pour les accros du détail (éditions Trédaniel). Ils ont commencé par l’hyperactivité et tombent dans l’épuisement. »
Recourir à de tels cahiers ne met clairement pas à l’abri de ces dérives. Mais, utilisés à bon escient, ils pourraient limiter les risques en mettant en avant le fait que les journées ne sont pas extensibles, en aidant à définir des priorités en adéquation avec la manière dont nous avons réellement envie de vivre et en diminuant les angoisses parasites liées à une organisation flottante et à des tranches horaires inexploitées, alors que la to-do list s’étire.
A ceux qui associent méthode et prison, ou planification et réduction de la créativité, Julien Gueniat répond : » Le mythe du génie qui arrive soudainement à produire des idées merveilleuses a la vie dure. Pourtant, en analysant les journées des artistes de ce siècle, on aperçoit une organisation routinière réduisant les prises de décision et libérant ainsi de l’énergie pour les activités à forte valeur ajoutée. « Un mode de fonctionnement qui rejoint l’anecdote du tee-shirt gris enfilé tous les matins par Mark Zuckerberg, le cofondateur de Facebook, pour ne pas avoir à perdre des heures devant son dressing. Si vous organisez de manière très précise les tâches qui vous fatiguent, vous libérez potentiellement du temps de cerveau disponible pour ce qui vous importe réellement.
Bullet, mode d’emploi
1. Choisissez un carnet, n’importe lequel. Numérotez toutes les pages et dressez un index.
2. Créez des » clés « , sortes de dessins/ puces qui permettent de différencier une tâche (à faire, en cours, terminée, à reporter) d’un rendez-vous ou événement. Ce sont souvent des carrés, ronds et triangles qui sont utilisés, noircis une fois réalisés, et suivis d’une flèche quand ils doivent être reprogrammés plus loin.
3. Pour les parties de type » agenda « , prévoyez des plannings annuels, mensuels, hebdomadaires puis quotidiens afin de permettre une vision d’ensemble. Au moment de débuter une journée, et donc de créer votre programme du jour (en utilisant les » clés » du point 2), reportez-vous aux autres plannings pour y trouver les rendez-vous et tâches à insérer.
4. Que vous souhaitiez établir vos menus de la semaine ou brainstormer sur le nom de la marque fashion que vous avez envie de lancer, écrivez sur la première page disponible. Inutile de vous torturer en essayant de trouver une organisation optimale de l’ensemble du cahier ou en déterminant le nombre d’espaces dont vous aurez besoin pour traiter l’une ou l’autre thématique. Vous arrivez au bout de la feuille sans avoir terminé ? Pas de panique, notez juste le numéro de la page sur laquelle se poursuit le sujet et reportez-le dans l’index.
5. Ecrivez tout ce qui vous passe par la tête. C’est le principe de l’outil, c’est une sorte de » carnet à tout « . Vous voulez garder une trace des livres/ cosmétiques/séries/recettes qui vous tentent : faites des listes. Carnet d’inspiration, de gratitude, reminder des anniversaires, des idées pour son entreprise, réflexions sur son futur à moyen et long terme… Il n’y a aucune limite. L’idée est de tout avoir sous la main en permanence.
Notre sélection
Pour les explorateurs de leur vie. Le Carnet de projets de 23heures59 combine un graphisme abouti, la présentation de différentes méthodes pour trouver celle qui dopera créativité et organisation, quels que soient les types d’objectifs fixés. Notre coup de coeur pour identifier ce à quoi on a vraiment envie de passer son temps.
www.23heures59editions.com
Pour les minimalistes. Une première étape pour bien s’organiser est d’identifier les périodes creuses durant lesquelles mettre le paquet sur un projet chronophage, éviter les collisions et booster sa motivation. Le visionnaire de Papier Tigre combine design et efficacité en offrant une vue d’ensemble des mois à venir.
www.papiertigre.fr
Pour les bâtisseurs. L’agenda bloc se base sur une méthode qui octroie une case (et donc une durée) à vos tâches tout en aidant à limiter les distractions et la procrastination.
organisologie.com
Pour les obsédées des aiguilles. Le Bullet journal pour tricopathe (Eyrolles) étant prérempli et réservé à un seul domaine, il n’a de bullet que le titre surfant sur la tendance, mais il ravira les accros du DIY. Le but est le même : on se fixe des objectifs et on enchaîne les rangs de jacquard devant Netflix plutôt que d’épingler des tonnes de merveilles sur Pinterest.
www.eyrolles.com
Pour les 100 % numériques. Trello, l’outil de gestion de projet en ligne qui se base sur la méthode Kanban développée par Toyota et chère aux start-up, peut être un bon moyen de surveiller sa progression. Le plus : il peut être mis en commun avec plusieurs utilisateurs.
Trello.com
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