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Burn out, comment réagir? Les conseils d’experts pour aider l’entourage à bien agir

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Le burn out ne consume pas seulement la personne qui en souffre, mais aussi son entourage, souvent bien démuni face à un mal qui reste encore incompris. Comment (ne pas) réagir? Des experts déminent le terrain.

Car c’est bien connu, l’enfer est pavé de bonnes intentions, et en cas de burn out d’un proche ou d’un collègue, ce sont parfois les remarques proférées avec la meilleure volonté qui vont faire le plus de mal. Que (ne pas) dire et que (ne pas) faire? Des experts partagent leurs lumières.

Si c’est votre proche qui est en burn out

Après avoir gravi les échelons durant vingt ans dans le monde de la publicité, Jean-Charles della Faille s’est retrouvé terrassé par un burn out. C’était en 2004, et depuis, il s’est reconverti en «conférencier inspirant», à l’origine des rencontres «Vous êtes fantastique». Objectif: donner du sens au travail et retrouver du plaisir. Un défi dont il maîtrise toute la complexité: «Quand on est dans la situation que j’ai vécue, on n’a plus aucune estime de soi, tout nous épuise, plus rien n’a de sens et on pense qu’on ne va pas s’en sortir.» Et s’il concède que c’est tout aussi complexe pour les proches, pour lui, il est important de ne pas avoir pitié d’un ami ou d’un membre de la famille qui en souffre.

« Quand on ne va pas bien et que nos proches ont pitié, cela creuse un trou encore plus profond dans lequel on s’enfonce ».

Jean-Charles della Faille

Son conseil: s’interroger sur ce qui donne du sens à la vie du proche concerné. «L’idée n’est pas de le ou la focaliser sur ses problèmes, mais bien de l’aider à retrouver la lumière au bout du tunnel. Il faut l’inviter à se demander ce qui a été source de succès pour lui ou elle, et non pas pour les autres. Souvent, on fait les choses pour deux raisons, la validation et la contribution, mais quand on agit comme ça, on perd le sens de nos actions», explique notre expert.

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Et de rappeler l’importance de faire preuve de compréhension, «parce que quand on est dans cette situation, tout est une montagne, on a l’impression que notre vie va s’arrêter, qu’on n’aura plus jamais aucune valeur… Mais ça ne se voit pas forcément de l’extérieur».

« Les gens concernés doivent penser à eux et se reconstruire, mais le problème, c’est que vu par l’œil des amis ou de la famille, cela peut donner l’impression qu’on se la coule douce. C’est la double peine: non seulement on va mal, mais en plus, nos proches ne nous comprennent pas et croient qu’on n’a juste plus envie de travailler ».

Jean-Charles della Faille

Selon l’expert, il s’agit donc avant tout de «croire» son ami ou parent. Mais aussi de respecter son cycle de vie: «Qu’il s’agisse de se lever tard, de multiplier les siestes ou de pleurer, il faut accepter que son rythme de vie est complètement différent du nôtre. C’est comme un robot auquel on aurait enlevé les piles, il n’a plus d’énergie et ne va plus fonctionner normalement.»

Autre élément important à accepter: une forme d’égoïsme nécessaire à la guérison. «Si un ami proche nous dit qu’il n’a pas envie de nous voir pendant trois mois parce qu’il a besoin d’un break complet pour se remettre, ce n’est pas grave, il faut l’accepter sans juger. C’est important de lui faire comprendre qu’on est là, mais sans harceler. Si on multiplie les propositions d’activités, ça part évidemment d’un bon sentiment, mais cela équivaut à dire à l’autre qu’il se laisse aller et c’est perçu comme un jugement. C’est à lui ou elle d’être maître de l’agenda, de décider ce qui est important, quand il ou elle sera prêt(e) à renouer le lien et à reprendre le cours «normal» de sa vie. Il ne faut surtout pas vouloir imposer un rythme à l’autre quand on a l’impression que ça va mieux.» Et Jean-Charles della Faille de rappeler que «le burn out est une souffrance qu’on ne peut pas s’imaginer si on ne l’a pas vécue, et il faut le respecter».

Si c’est votre partenaire qui en souffre

Pour illustrer la complexité de la situation (et de sa compréhension), Valérie L’Heureux, sexologue et thérapeute de couple à Bruxelles, prend l’exemple d’une patiente enseignante. Une dame qu’elle décrit comme volontaire, actuellement aux prises avec un burn out, et dont le mari ne comprend pas l’état, «parce que selon lui, elle est en congé, elle ne fait plus rien d’autre que s’occuper de son développement personnel, donc elle devrait aller bien»: «Il ne réalise pas à quel point cette situation impacte l’ensemble de la personne, et il ne comprend pas que son moral et sa libido soient en berne à la maison. Selon lui, elle a tout le temps de faire ce qui lui plaît et de prendre soin de sa famille.»

Et la thérapeute de pointer que l’appréhension de cette situation reste liée au cadre professionnel, avec l’idée qu’il s’agit de guérir au plus vite et au mieux pour être à nouveau efficace au boulot, sans forcément prendre en compte ce que sa moitié vit.

« Et pourtant, il y a une teneur très personnelle dans le burn out. C’est un moment où on «disjoncte», et ça impacte la vie professionnelle, bien sûr, mais aussi la vie privée. En tant que conjoint, c’est important de rester attentif à ce que son ou sa partenaire puisse avancer dans son épanouissement et profiter de son congé médical pour prendre soin de lui ou elle ».

Valérie L’Heureux.

Comment? Valérie L’Heureux recommande tout d’abord d’inviter l’autre à confier ce qui lui fait du bien, mais sans tout partager pour autant… «sinon ça peut vite devenir très lourd pour le conjoint qui fait office de déversoir. Surtout si on est quelqu’un de très empathique, parce qu’alors il y a le risque de déprimer en même temps que l’autre. C’est important de rester positif, de saluer les efforts et les avancées, mais sans forcer l’autre à relater chaque développement psychologique».

© Lucia Biancalana

Autre recommandation: prendre du recul par rapport au timing. «S’il y a un certificat de six mois, par exemple, le conjoint a tendance à penser «génial, après, retour à la normale», parce que le certificat induit la notion que cela dure un certain temps, mais il s’agit en fait d’un processus extrêmement long et chronophage. C’est la révision de tout un modèle de vie, ce qui implique une revalidation psychologique qui peut durer plus longtemps que le laps de temps couvert par le certificat.» Tout comme il est important de mettre les sentiments que peut provoquer l’inactivité de l’autre en perspective.

« Il s’agit de faire preuve d’empathie. Si l’autre avait la jambe fracturée, on ne lui reprocherait pas de ne pas faire le ménage. Le burn out est un handicap invisible dont il faut néanmoins tenir compte ».

Valérie L’Heureux

En ce compris au lit: «Quand les gens sont en pleine introspection, leur sexualité peut aller dans tous les sens et ils peuvent avoir énormément de désir, puis plus du tout. Même si cela peut être très compliqué pour le conjoint, c’est important de distinguer amour et désir. C’est légitime aussi de dire à l’autre que même si on comprend que sa libido soit en berne pour le moment, on a tout de même besoin de preuves d’amour: il ne faut pas sous-estimer le pouvoir du câlin!» Ni celui de la communication non violente.

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«Si on a un message à faire passer à l’autre, c’est important de se rappeler de parler en «je», moins agressif. Plutôt que de dire «on ne fait plus l’amour» ou «tu n’as plus envie de moi», on optera pour «j’ai besoin de contact physique, est-ce que tu pourrais me prendre dans tes bras» par exemple», avance Valérie L’Heureux. Pour qui, «comme dans le cas de toute maladie», il ne faut pas hésiter à demander de l’aide.

« Si la situation devient intenable parce que le conjoint doit gérer son propre boulot plus toute la logistique à la maison, il ne faut pas hésiter à se faire épauler. Bien sûr, cela coûte de l’argent de faire appel à une aide-ménagère ou bien à quelqu’un pour s’occuper du linge, mais toutes choses égales par ailleurs, ça coûte bien moins cher d’avoir recours aux titres-services que de finir par se séparer ».

Valérie L’Heureux

Rappeler à notre moitié à quel point elle compte, mais sans trop compter, donc.

Si votre collègue part en burn out

Quand un membre de l’équipe part en burn out, le sentiment le plus répandu parmi ses collègues est… la culpabilité. Celle de n’avoir rien vu, de ne pas avoir été un soutien, voire même, peut-être, d’avoir sans le vouloir empiré la situation en ignorant le mal-être de leur acolyte d’open space. Une réaction que Jean-Charles della Faille comprend, tout en conseillant de passer outre, puisque «c’est très compliqué de l’anticiper étant donné qu’il n’y a pas de stigmates physiques, cela ne se voit pas. En plus, quand on en souffre, on a tendance à être très irritable et à repousser les autres, ce qui complique encore la détection». Plutôt que de culpabiliser, il faut donc faire preuve de compréhension.

« On peut dire «désolé de n’avoir rien vu», même s’il y a de fortes chances que votre collègue ne vous en voudra pas. Par contre, si vous tentez de minimiser la situation, là, cela risque de causer des dégâts ».

Jean-Charles della Faille

Le premier choc passé, se pose alors la question de savoir s’il est judicieux de nouer le contact avec quelqu’un qui, selon toute vraisemblance, a envie d’oublier un moment son lieu de travail. «Tout dépend de la situation. Si votre collègue a vraiment besoin d’une coupure nette, c’est important de lui laisser la possibilité de déconnecter complètement du boulot. Ceci étant, c’est bien de prendre des nouvelles de temps en temps et de lui faire comprendre que vous pouvez en parler ensemble si le besoin de s’ouvrir se fait sentir», suggère Evi Melkenbeke, HR Manager chez Walters People. Qui recommande particulièrement d’aller aux nouvelles en cas de certificat médical prolongé, pour veiller à maintenir le lien malgré la distance qui peut s’installer. De quoi faciliter en partie le retour au travail. «Dès qu’une absence se prolonge au-delà de six à douze mois, on risque la désinsertion sociale», met en garde la psychologue Marie Bérubé sur la plate-forme Oser Changer.

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Et de recommander aux managers de «véhiculer des croyances aidantes, par exemple en continuant à maintenir l’employé informé des moments importants de l’entreprise, parce que ça va favoriser la solidarité envers lui de la part du reste de l’équipe». Quant aux membres de celle-ci, la psychologue leur préconise d’éviter les conseils non sollicités ou les tentatives d’amoindrir la souffrance.

« Car même si l’intention est bonne, c’est perçu comme condescendant. Sans nier la réalité de son collègue, on peut recadrer la situation en mettant en avant ses forces, ce qui va aider à réparer son estime de lui-même, fort impactée en cas d’épuisement professionnel ».

Marie Bérubé

Quid de la tentation de vouloir aider en allégeant la charge de travail lors de la reprise du boulot? Jean-Charles della Faille conseille d’en parler directement avec le collègue ou l’employé, en lui demandant ce qu’il peut assumer ou non et en l’aidant à trouver les tâches porteuses de sens pour lui. Le maître-mot: traiter l’autre comme on aimerait être traité en cas de situation similaire, avec écoute et bienveillance.

Les quatre réflexes à éviter absolument?

… selon Astrid, deux enfants et deux burn out à son actif. La trentenaire est aujourd’hui reconvertie en coach professionnelle et a lancé la plate-forme «Partage ton burn out» qui aide les gens à aller mieux, entre témoignages, conseils et paroles d’experts.

1 – Tout faire pour aider la personne à tenir le coup au boulot. «L’arrêt de travail est souvent la seule option pour sortir du cercle vicieux dont on est prisonnier.»

2 – Nier, banaliser ou minimiser la situation. «En écoutant son proche de façon bienveillante, sans jugement, on lui permet de se libérer de la croyance qu’il a besoin d’être parfait pour être aimé.»

3 – Croire que tout redeviendra comme avant. «Se relever d’un burn out nécessite un changement profond du rapport de la personne au travail.»

4 – Vouloir potentialiser l’arrêt de travail. «Ce n’est pas une période de congé, et encore moins pour rattraper tout le retard accumulé à la maison.»

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