« Garder le contact me faisait plus de mal que de bien »: ils ont coupé les ponts avec un membre de leur famille et racontent
Érigée en valeur refuge, la famille peut pourtant parfois être plus une source de souffrance que de joie. Et pousser celles et ceux qui souffrent à couper les ponts avec leur(s) proche(s). Comment en arrivent-ils là? Et comment vivent-ils cet éloignement familial?
Comme souvent, rien n’est jamais ni tout blanc ni tout noir, et nos témoins alternent entre sentiment de libération et culpabilité pesante, contraints de jongler entre souvenirs, regrets, espoir et tristesse. Mais aussi la honte, alors même que l’éloignement familial est loin d’être marginal. En effet, et faute de chiffres en Belgique à l’heure d’écrire ces lignes, selon le sociologue Karl Pillemer, la problématique toucherait en effet pas moins de 27% des adultes américains. Près d’une personne sur trois aurait donc coupé les ponts avec (une membre de) sa famille? Trois de nos compatriotes vivent la situation et racontent.
Nathan, 26 ans, a coupé les ponts avec son père il y a 13 ans.
« Mes parents ont divorcé quand j’avais 9 ans, et d’emblée, mon père a commencé à diaboliser ma maman et à la faire passer pour la « méchante » car c’était elle qui souhaitait cette séparation. J’étais trop petit pour m’en rendre compte à l’époque, mais il m’a manipulé afin de rendre la vie infernale à ma mère et à son nouveau compagnon, si possible jusqu’à briser leur couple, et dans un deuxième temps, une fois cet objectif atteint, afin que je tourne le dos à ma maman et que mon père obtienne ma garde en guise de vengeance.
Au bout de 4 ans de manipulation, combinées à une situation instable et peu sécurisante sur le plan émotionnel, avec une succession de nombreuses belles-mères et l’impression croissante d’être laissé pour compte et sans importance, j’ai pris conscience que la situation me faisait plus de mal que de bien. Au fil des années, il y avait eu chez mon père une escalade de la violence, verbale mais aussi parfois physique, et j’ai pris la décision de ne plus aller chez lui, et de couper tout contact dans la foulée. Même si ça n’a pas été facile, je pense qu’il a été plus facile de « rejeter » mon père en étant l’instigateur de cette rupture de lien. Malgré tout, j’ai bien conscience de l’avoir blessé en décidant de couper les ponts et cela a pu parfois me faire un peu culpabiliser. Ceci étant, ma tristesse et ma haine envers lui dépassaient (et dépassent toujours) ma capacité à pardonner et renouer.
Malgré ce qu’il lui avait aussi fait subir, quand j’ai exprimé mon souhait de couper les ponts avec mon père, ma maman a d’abord essayé de « recoller les morceaux » entre lui et moi. Comme les discussions ne menaient à aucune issue positive, elle m’a alors dit qu’elle me laissait le choix et qu’elle ne me forcerait pas à continuer de le voir, mais que si un jour je désirais reprendre contact avec lui, qu’elle ne m’en empêcherait jamais. Elle a véritablement été un guide, un soutien, une oreille attentive, un repère, mon réconfort. Elle et son compagnon m’ont offert un havre de paix, du calme, de la sérénité, de l’amour, un foyer stable où je me sentais en sécurité. Ils m’ont soutenu, mais sans jamais tenter de m’influencer pour que je tourne le dos à mon père. Je m’estime chanceux d’avoir été entouré par ces deux adultes, je ne pourrais pas souhaiter qu’ils aient agi autrement.
Aujourd’hui, 13 ans plus tard, je ne crois toujours pas en un rapprochement ou une réconciliation. Je nourris trop de haine à son égard. Les quelques fois où il a tenté de me recontacter (par messages ou directement sur mon lieu de travail), je suis entré dans une rage telle que j’en ai pleuré. Si j’en rêve la nuit, il s’agit toujours de cauchemars, et je me réveille énervée ou triste. Je n’ose donc pas imaginer mon état lors d’une éventuelle rencontre « en vrai ». J’ai l’impression que cette expérience a laissé une marque indélébile sur mon mental: j’ai toujours peur d’être de trop, de trop demander, de ne jamais rien faire assez bien, de ne pas oser exprimer mes besoins… J’ai toujours une carence affective qui m’a poussé à plusieurs reprises à faire de mauvais choix de partenaires amoureux, mais aussi à souffrir d’un manque de confiance en moi, d’insécurité émotionnelle, d’un besoin permanent d’être rassuré et de plaire, problème d’attachement.
J’ai pendant longtemps été dans le déni et voulu jouer au mec fort, mais en grandissant, j’ai pris conscience des ravages de cette situation et de leur ampleur. Alors j’ai travaillé pour réparer les dégâts, notamment en entamant un suivi, mais c’est un travail qui ne s’arrêtera jamais et surtout, qui n’est pas linéaire. J’ai parfois honte de la situation: quand le sujet de la famille est abordé, dire que l’on ne voit plus son père ne suffit pas. Les personnes en face attendent des raisons, or même si je reste vague, je suis quand même obligé de dresser le portrait de mon père et il n’est vraiment pas élogieux… J’ai alors peur que les personnes ne pensent que j’ai hérité de certains de ses traits de caractère, ou bien que je sois un mec à problèmes et donc à éviter… Parfois je sens également une forme de jugement ou de désapprobation. Ceci dit, je suis fier du travail que j’ai accompli sur moi-même et des blessures que j’ai déjà pu panser ».
Caroline, 42 ans, n’a plus de contact ni avec son père, ni avec sa soeur.
« Je n’ai plus de contacts avec mon père depuis plus de 20 ans. Lors de l’organisation de notre mariage il m’a dit ne pas vouloir créer de tensions avec la présence de ma mère durant la journée, ils étaient divorcés depuis une dizaine d’années mais les relations n’étaient pas du tout cordiales. Il m’a suggéré la solution de ne pas être présent. J’ai trouvé cela très conciliant de sa part. Puis quelques semaines avant le mariage il m’écrit en s’étonnant de ne pas avoir reçu l’invitation… Il s’est vexé et à « fermé la porte » selon ses propres mots. Je ne l’ai plus revu depuis, il ne connait ni mes enfants, ni celle que je suis aujourd’hui, et par la suite, il a d’ailleurs fait de même avec mon frère.
Ma sœur, quant à elle, a décidé de nous tourner le dos à mon frère et moi il y a environ 12 ans. Elle ne veut plus nous voir, nous a rayés des réseaux sociaux, ne veut pas que nos enfants se connaissent… Bien qu’ayant une hypothèse, j’en cherche toujours la raison car rien n’a été dit. Mais sa haine est palpable. Dans un cas comme dans l’autre, je n’ai pas choisi cet éloignement. Je n’ai pas de prise sur leur décision, et la crainte d’un nouveau rejet est beaucoup trop grande pour arriver à retourner vers eux.
Ma mère déplorait. cette situation Le comportement de ma sœur la rendait très triste, d’autant qu’elle avait pris aussi de la distance avec elle, même si elles se voyaient encore de temps en temps. Maman est décédée il y a un peu plus d’un an suite a un cancer, et elle aurait aimé voir la situation s’améliorer avant de partir, mais ça n’a pas été le cas. J’aurais aimé qu’elle intervienne davantage de son vivant, qu’elle secoue ma soeur beaucoup plus tôt pour essayer de régler les choses. Qu’elle fasse le lien entre nous, puisque ma soeur nous rejetait totalement mon frère et moi alors que ma mère avait encore quelques contacts. Mais je pense qu’elle avait justement peur de couper ce fil fragile si elle s’en mêlait.
J’ai longtemps et à plusieurs reprises espéré un rapprochement, un apaisement. Dans le cas de mon père ça fait quelques années que j’en ai fait mon deuil. Je pense que les choses sont cassées pour toujours, que ça a été trop long. Ce qui me manque finalement c’est un père, mais pas forcément celui-là. Pour ce qui est de ma sœur, les mots et les actes ont été trop blessants, je ne souhaite plus aucun contact avec elle. Malgré tout, pendant longtemps, j’en ai beaucoup rêvé la nuit. Mon subconscient reprenait la main.
Aujourd’hui, dans mes relations, j’ai une peur panique de l’abandon. Ça a complètement altéré ma confiance en moi, je pense parfois que le problème vient de moi, que les gens ne cherchent pas ma compagnie ou me fuient. Mon fantasme d’une famille unie est parti en fumée. Alors je fais en sorte que celle que j’ai construit soit la plus soudée possible. On règle les conflits le plus rapidement possible, on se parle et surtout on s’aime et on se le montre !
Je n’ai pas honte de ma situation. Ce n’est pas le mot exact. Parfois, je m’en veux de peut-être ne pas avoir tenté assez, de ne pas avoir su trouver les bons mots. Et puis parfois, je suis fataliste en me disant que c’est la vie. Mais il est clair, que j’ai peur d’avoir des regrets le jour où il sera vraiment trop tard pour se réconcilier. Au moins, je ne serai pas la seule… »
Alice, 39 ans, a rompu le lien avec sa mère il y a deux ans.
« J’ai grandi avec une mère immature, manipulatrice et égoïste, même si enfant, je ne le voyais pas comme ça. Influencée par ses reproches constants et ses sautes d’humeur, j’étais persuadée que tout était toujours de ma faute, que j’étais une « mauvaise fille », que rien de ce que je faisais n’était jamais assez bien. Mon père, bien que techniquement là, était complètement absent, absorbé par son travail très prenant, ce qui laissait en quelque sorte toute la place à ma mère pour s’adonner à sa sape psychologique. Je n’ai pas subi plus de violence physique que la plupart des enfants des années 90, mais par contre, le niveau de violence psychologique, et notamment d’insultes, était hallucinant. Par exemple, quand elle a appris en fouinant dans mes affaires que ma gynéco m’avait prescrit la pilule, et qu’elle m’a cuisinée jusqu’à ce que je lui avoue que oui, à l’âge de 18 ans, et après presqu’un an de relation avec mon premier amour, je ‘l’avais fait », elle m’a dit que j’étais une pute, une injure que j’ai malheureusement entendu plus d’une fois dans sa bouche.
Avec les années, et un solide suivi thérapeutique, je suis progressivement parvenue à réaliser à quel point ma mère était une personne brisée. C’est d’ailleurs ce qui a fait que j’ai si longtemps maintenu le lien avec elle. Je reste convaincue qu’elle n’est pas quelqu’un de fondamentalement méchant, juste incroyablement immature, émotionnellement et intellectuellement, raison pour laquelle elle a parfois tant pu se comporter comme un enfant qui faisait un caprice. Problème, l’enfant, c’était moi, et je n’avais aucun outil pour comprendre pourquoi, d’un coup, maman devenait toute rouge, se mettait à crier des choses qui n’avaient aucun sens puis à pleurer en me disant que tout était de ma faute.
Persuadée qu’elle était avant tout la première victime de son comportement, j’ai tenté longtemps de composer, de serrer les dents et de ne pas relever quand elle me balançait des piques, ou qu’elle débitait un énième mensonge… Mais au moment de mon mariage, son comportement a été exacerbé, et je n’ai plus pu le supporter. C’est comme si c’était insoutenable pour elle que je sois au centre de l’attention le temps d’une journée, et plus le jour J se rapprochait, plus elle semblait déterminée à le gâcher, et à bien pourrir ce qui aurait dû être une période d’anticipation joyeuse. À une semaine du mariage, elle a fait une crise pour une raison ridicule, des paroles qu’elle avait déformées jusqu’à ce qu’elles n’aient plus rien en commun avec ce que j’avais vraiment dit. Persuadée d’être dans son bon droit, elle a décidé de jouer la carte du mutisme, ce qui fait que j’ai passé les jours avant de dire « oui » à mon mari à alterner entre crises de larmes et de colère. Le pauvre, il a été absolument parfait, tendre, compréhensif, empathique, doux… C’est grâce à lui, et à son écoute jamais jugeante, que j’ai pu vraiment mettre des mots sur toute ma souffrance, et réaliser que ce n’était vraiment pas okay. Quelques semaines après mon mariage, sans coup d’éclat, j’ai pris la décision de mettre des distances avec ma mère. C’était il y a deux ans, et aussi incroyable que ça puisse paraître, elle n’a jamais envoyé le moindre message ou passé le moindre coup de fil pour savoir comment j’allais, pourquoi je ne donnais plus de nouvelles… Ce qui est un peu malheureux dans tout ça, c’est que mon père s’est « rangé de son côté », et que je n’ai plus de ses nouvelles non plus, mais au fond, il n’a jamais vraiment été là pour moi. Je n’en parle pas, parce que j’ai toujours peur d’être jugée, mais je ne regrette pas ma décision. C’est peut-être horrible à dire, mais mes parents ne me manquent pas: sans m’en rendre compte, cela fait en réalité de longues années que j’ai fait le deuil d’eux ».
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