Le crush expliqué aux adultes largués par cette nouvelle manière de relationner
Le schéma « rencontre, fréquentation, mariage, enfants » semble aujourd’hui remis en cause par une bonne partie de la génération Z. En 2024, « sortir avec » est devenu pécho, le date a volé la vedette au rendez-vous galant, et le crush est le nouveau flirt.
Bien loin des « c’était mieux avant », Christine Detrez, écrivaine et sociologue du genre, a décidé d’enquêter et de mettre la lumière sur ces nouvelles relations que connaissent les jeunes. Dans son ouvrage Crush : Fragments du nouveau discours amoureux, elle s’intéresse aux raisons sociales de l’émergence de ce-dit crush, avec la conviction que les mots ont un sens : c’est-à-dire à la fois une signification et une raison d’être.
Pour saisir au mieux le phénomène, Christine Detrez a réuni dans son livre une dizaine de témoignages de jeunes hommes et femmes, expliquant le crush, et se livrant sur leur ressenti par rapport au cadre romantique dans lequel ils évoluent. Au début du premier chapitre, la définition d’Antoine, 17 ans, donne le ton : « Si t’as un crush, t’as un petit coup de cœur quoi. Genre sur Vinted tu mets un petit like quoi. C’est dans ton panier quoi, voilà ».
« C’était juste un crush »
Si le crush a fait son entrée dans le Petit Robert en 2023, ça fait bien longtemps qu’il circule dans les fêtes, écoles et autres colonies de vacances. Christine Detrez met ainsi le doigt sur un élément crucial : la plupart des adultes ont un train de retard sur le phénomène. Les définitions, chansons ou séries élaborées par ces derniers sur ce sujet en sont la preuve. « Si dans 200 ans, des sociologues, des archéologues se basent sur tous ces produits culturels pour définir le crush, ils vont tomber complètement à côté de la plaque en fait. Parce que ces produits sont créés par des adultes. Moi, ce qui m’a frappé, ce sont toutes ces séries « de jeunes », dans lesquelles il y a un crush qui se concrétise, puis c’est l’amour fou, ils restent ensemble, se marient, etc. Et quand on interroge les ados sur le scénario, ils disent : « Bah non, ça va pas comme ça… » ». Il est là le twist : la finalité de ce petit coup de cœur, pour les jeunes, n’est pas censée être une relation longue et sérieuse à la « Ils vécurent heureux jusqu’à la fin des temps ».
Le crush se veut détaché et non-officiel. Mehdi, interrogé dans le livre de Christine Detrez, le voit même comme « une façon de prévoir le fait que ça ne va pas nécessairement marcher, de vraiment mettre ça dans une toute petite case ». Une manière de se divertir, sans que ça ne prenne trop de place donc. Mais cette façon « zéro tracas, zéro bla-bla » de penser l’amour n’est pas valable pour tout le monde. Le crush, c’est aussi une façade derrière laquelle décident de se planquer bon nombre de jeunes individus. Seulement, quelques coups de marteaux (dans la façade hein !) plus tard, on constate que se cache en réalité une peur de se lancer, qui pousse à rester dans la case du « c’était juste pour rire ».
Selon Christine Detrez, cette éventualité, voire hésitation qui caractérise les romances d’aujourd’hui est bel et bien une nouveauté. « Dans ma génération, quand on avait une attirance, au lycée par exemple, qu’on craquait sur quelqu’un, le but c’était de sortir avec la personne, comme on disait à l’époque. Il n’était pas question de passer éventuellement à l’action. Et ce qui m’a frappée, c’est que dans les propos que j’ai recueillis (surtout au lycée), le but n’était pas de concrétiser l’affaire. Le but n’est pas finalement que le crush soit au courant qu’il y a un crush, mais c’est tout ce que ça va engendrer, notamment des discussions avec les copines dans les groupes de filles, et puis toutes les pratiques sur les réseaux sociaux… »
Du stalk au ick, il n’y a qu’un pouce
L’ère dans laquelle évolue les jeunes est également à part en ce qu’elle propose mille et une façons de connaitre, admirer, papoter, crusher sans forcément rencontrer l’autre. Christine Detrez affirme que « le numérique permet d’éviter la confrontation directe ». Si l’idée de demander oralement à son crush son numéro de téléphone semble inimaginable pour beaucoup, celle de déclencher un « follow » ou une demande d’ami est de suite plus rassurante. Et c’est ainsi que la machine est lancée. D’une personne qu’on aurait croisé une fois tous les trois mois, on passe à un « follower » dont on voit le contenu toutes les semaines, si pas tous les jours. Ainsi, après une demande d’ajout sur les réseaux, un petit crush qui aurait pu s’atténuer après deux, trois jours peut vite virer à l’obsession, entretenue par les posts et stories, que l’algorithme aura su placer en première ligne.
Cette obsession numérique nait le plus souvent d’une pratique bien connue des adeptes des réseaux sociaux : le stalking. De l’anglais to stalk, que l’on peut traduire par « traquer », il s’agit là d’une étape-clé lorsqu’on éprouve un petit quelque chose pour un individu. Dans le livre, Mathilde surnomme le stalking le « mode enquête ». Les jeunes enfilent leur casquette de Sherlock, et partent à la recherche de la moindre information qui puisse entretenir le crush. Qui cette personne suit-elle ? Qu’est-ce qu’elle like ? Où est-elle partie en vacances dernièrement ? Et avec qui ?… Christine Detrez a rencontré Jenny, qui, elle, allait même jusqu’à scruter le compte Spotify de la personne en question. « Parce qu’elle avait découvert que son crush était fan d’Arctic Monkeys, elle avait écouté tous les albums en prévision d’une soirée où elle savait qu’il serait… afin d’habilement orienter la discussion sur ce supposé goût commun ».
Le crush peut très vite monter à la tête, et y rester, tout comme il peut aussitôt en ressortir.
Si stalker permet de mettre en lumière des choses plaisantes au sujet de la personne qu’on idolâtre, à l’inverse, certaines découvertes peuvent faire retomber le soufflé en moins de deux. Cette retombée, elle a également un anglicisme pour la désigner : le ick. De icky, « répugnant » (cet article est donc devenu un cours de langue), ce terme représente le dégoût qui va mettre fin au crush. On va généralement rompre tout contact avec cette personne (si toutefois il y en avait), voire même l’« unfollow », dans les cas les plus extrêmes.
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Passer aux choses sérieuses
« Il y a des façons de vivre l’amour qui sont de plus en plus étranges, et des chagrins qui sont de plus en plus différents » affirme Mehdi. Ce crush, qui se veut amusant et léger la plupart du temps, peut parfois être pesant, en particulier pour le sexe féminin. Cette charge mentale qui pèse sur les filles et les jeunes femmes, Christine Detrez tient également à la faire résonner. Le crush « occupe leurs conversations, il occupe leur temps et leur tête, traverse le collège et le lycée, empiète sur les années post-bac, s’alimente des discussions, des conseils, jusqu’à, parfois, les étouffer ». Et ce dont ont besoin ces jeunes, lorsqu’ils traversent ces périodes de doutes, de remise en question et de sentiments exacerbés, c’est d’être entendus. Ça, la sociologue l’a bien compris, et espère le faire comprendre aux autres adultes. « Il y a un terme d’Isabelle Clair que je reprends à la fin de Crush. Elle a écrit un livre qui s’appelle Les choses sérieuses. Et le message c’est qu’il faut arrêter de parler à la place des jeunes, et prendre ce qu’ils ressentent au sérieux. Voilà. Ce qu’ils ressentent ça en dit beaucoup, à la fois sur toutes les normes et les stéréotypes qui continuent d’exister, et puis sur la façon dont ils essaient d’inventer de nouvelles choses ».
Et Christine Detrez d’avouer avoir elle-même un petit crush pour Benjamin Biolay, dont elle ne manque aucune tournée. Quand on entend le discours déculpabilisant du chanteur, on peut comprendre pourquoi il a su attiser l’intérêt de l’écrivaine: « Ça n’est pas ta faute, c’est ton héritage. Et ce sera pire encore quand tu auras mon âge ». Il faut bien que jeunesse se fasse (un crush)…
Pour se procurer le livre de Christine Detrez Crush : Fragment d’un nouveau discours amoureux, à paraitre le 20 mars, c’est ici
Et pour se mettre vraiment à la page...
Ghoster : il s’agit ici aussi d’une nouveauté qui s’est vue dérouler le tapis rouge jusqu’au dernier Petit Robert, tant les jeunes l’emploient. Le ghosting est le fait de quitter du jour au lendemain la personne qu’on fréquentait, sans plus donner aucun signe de vie (on se transforme en fantôme, donc). Si larguer par SMS est déjà dans la limite de l’acceptable (et encore…), on passe un step supplémentaire de lâcheté lorsqu’il s’agit de ghoster.
Spoiler : Une personne qui spoil va « gâcher le plaisir » d’une autre. Aujourd’hui, le terme s’utilise principalement dans le cadre d’une discussion ciné. Exemple : « Ne t’avise pas de me spoiler la fin de Game of Thrones ». Le Québec, au langage objectivement dix fois plus fun, utilise un synonyme : « divulgâcher ». À utiliser sans réserve !
Être en PLS : Il s’agit du parfait exemple de ces expressions que les jeunes utilisent à foison et qui s’emploie donc aujourd’hui dans mille et une situations. Initialement, la PLS, position latérale de sécurité, est un geste de premier secours à effectuer lorsqu’une personne se retrouve inconsciente. Il s’est transformé aujourd’hui en une formule de jeune servant à décrire toute situation dans laquelle on n’a pas envie d’être, qui pourrait presque nous faire perdre connaissance. Gueule de bois ? J’suis en PLS ; examen râté ? J’suis en PLS ; rupture amoureuse ? J’suis en PLS ; je ne comprends rien à ce que mon ado baragouine ? J’suis en PLS.
Une disquette : « J’ai un gros problème avec mon téléphone : il manque ton numéro » ; « On devrait t’arrêter pour excès de beauté sur la voie publique » ; « Tu sortirais pas du frigo par hasard ? Parce que t’es trop fraîche ! ». Si les exemples ci-contre n’étaient pas suffisamment éloquents, la disquette se définit par une phrase, souvent lourde, destinée à draguer quelqu’un. Est-ce que certaines personnes font réellement usage de ces disquettes ? Oui. Et est-ce que ça marche ? Joker.
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