Les ados et l’amitié toxique: comment réagir en tant que parent

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© Getty Images
Nathalie Le Blanc Journaliste
Kathleen Wuyard Journaliste & Coordinatrice web

A l’adolescence, certaines amitiés peuvent se révéler toxiques, et présenter des risques qui vont bien au-delà de la cour de récré. Mais comment réagir en tant que parent sans faire pire que bien? Antidotes d’experts.

Quand tout va bien, on dit d’elle qu’elle est fondatrice, mais dans le cadre d’une amitié toxique, la relation peut se révéler destructrice – surtout à un âge où l’adulte que l’on sera est encore en pleine construction. Et si, dans l’imaginaire populaire, elles peuvent parfois se résumer à des broutilles de cour de récré, surtout en miroir du harcèlement scolaire, ces relations qui n’ont d’amitié que le nom sont pourtant tout sauf innocentes.

Perte de confiance, tristesse, isolement voire même dépression et phobie scolaire ne sont ainsi que quelques-uns des dangers d’une problématique à laquelle Lee-Ann d’Alexandry confie être fréquemment confrontée dans son cabinet.

Pour cette psychologue clinicienne spécialisée dans les enfants et les adolescents, on ne peut véritablement parler d’amitiés toxiques qu’une fois passé le cap de l’école primaire, «parce que même si la cour de récré est une jungle, et que les relations des enfants ont besoin d’être encadrées, on ne retrouve pas encore de volonté de nuire à l’autre. C’est plutôt au début de l’adolescence que des relations malsaines peuvent arriver, parce que la personne qui agresse l’autre est au moins en partie consciente de ce qu’elle fait. Alors même que sa victime, elle, met parfois (très) longtemps à prendre conscience de la dynamique délétère dans laquelle elle se trouve ».

« C’est plutôt au début de l’adolescence que des relations malsaines peuvent arriver, parce que la personne qui agresse l’autre est au moins en partie consciente de ce qu’elle fait ».

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C’est ainsi plus de quinze ans après les faits, au hasard d’un suivi thérapeutique entamé pour tout autre chose, que Magali s’est rendu compte que sa meilleure amie de l’époque était la cause d’un mal-être qu’elle avait alors attribué aux affres de l’adolescence. « Sous couvert de faire des blagues, elle passait en réalité son temps à se moquer de moi, se souvient-elle. De préférence, devant les autres, qui ne se faisaient jamais prier pour rire de ses piques. Quand on était seules toutes les deux, elle était adorable et attentionnée, mais dès qu’on était en groupe, elle devenait cruelle, même si, sur le moment, je me disais juste que j’étais trop sensible et que je n’avais qu’à en rire aussi. Plus que tout, je craignais qu’elle ne veuille plus être mon amie ».

Une situation difficile à vivre pour les personnes qui en sont aux prises, mais aussi et surtout pour leur entourage, à commencer par les parents, souvent bien désemparés.

© Illustration Ellen van Engelen

L’amitié toxique, un poison pernicieux

«Je vois en consultation beaucoup d’ados touchés par la problématique des amitiés toxiques. Ce sont leurs parents qui me les amènent, parce qu’ils voient bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas, mais ils n’identifient pas clairement la cause du malaise. Ce qui est normal puisque dès l’instant où il y a une relation d’emprise, l’ado ne va pas non plus bien comprendre ce qui lui arrive», explique Lee-Ann d’Alexandry, qui pointe toutefois une série de symptômes qui ne trompent pas.

Les signes qu’une amitié est potentiellement toxique?

– Une tendance à se montrer extrêmement critique et à rabaisser l’autre.

– Une approche exclusive de l’amitié, qui coupe progressivement des autres.

– Une instabilité des rapports, avec alternance entre gentillesse et méchanceté d’un jour à l’autre.

– Un tempérament manipulateur et une volonté de toujours parvenir à ses fins, quels que soient les moyens nécessaires.

– Une victimisation permanente: l’ami·e toxique n’a jamais tort et ne s’excuse donc jamais.

– Un manque de respect des limites des autres, que la personne toxique pousse à faire ce dont elle a envie, peu importe leur avis.

– Une amitié unilatérale, où l’on donne bien plus que l’on ne reçoit.

Le b.a.-ba? «Une amitié est toujours là pour faire du bien, et si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a un souci et il faut se poser des questions», recommande la thérapeute. Et de pointer aussi une perte de confiance, une prise de poids, de l’isolement, de la tristesse ou une dépression.

Problème pour les parents qui les identifient: pas facile d’aborder le sujet à un âge où la personne qu’on a en face de soi est déjà très susceptible de crier que personne ne la comprend entre deux portes claquées.

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Attention à ne pas faire pis que bien

La solution? Opter pour une manière détournée d’aborder la conversation, afin d’éviter de braquer votre ado à coups d’opinions trop tranchées. Surtout, recommande la psychologue, hors de question d’y aller frontalement en assénant un «tu as changé depuis que vous êtes ami·e·s» car cette approche est dangereusement contre-productive. «Cela peut pousser l’ado à utiliser cette relation problématique comme manière d’entrer en opposition avec ses parents, et donc de se renfermer encore plus dans cette amitié toxique.»

Mais alors, que dire? «On opte pour une approche indirecte, en soulignant qu’on a remarqué que ça n’allait pas trop en ce moment, et en demandant à notre ado ce qui l’explique à son avis. Le rôle des parents est d’amener leurs enfants à faire preuve de pensée critique et à réfléchir par eux-mêmes, donc on s’inscrit dans une forme d’accompagnement doux et d’autonomisation de la pensée.» Et Lee-Ann d’Alexandry de pointer que cette réalisation tardive est tout à fait normale, puisque «quand on est sous emprise, la relation prend tellement de place qu’on n’a pas conscience de ce qui se passe. On voit qu’on ne se sent pas bien, mais ce n’est pas parce qu’on sait que les amitiés toxiques existent qu’on va réaliser qu’on en souffre».

« Quand on est sous emprise, la relation prend tellement de place qu’on n’a pas conscience de ce qui se passe ».

Ce qui peut parfois ajouter une forme de souffrance supplémentaire, car à celle liée à la relation en elle-même s’ajoute a posteriori la honte d’en avoir été victime.

Amitié toxique: l’agresseur agressé?

« C’est important de bien se rappeler qu’une victime n’est jamais fautive, martèle la thérapeute. Justement, tout le travail d’une personne toxique consiste à culpabiliser sa victime et à lui renvoyer toute la faute. C’est facile de se dire par après qu’on aurait dû rétorquer, mais quand on est sous l’emprise de quelqu’un, il y a une grande marge entre ce qu’on devrait faire théoriquement et ce qu’on est vraiment capable de faire sur le moment ».

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D’autant que toute la complexité des amitiés toxiques réside dans le fait que c’est comme si les deux personnes s’étaient trouvées. « L’agresseur et l’agressé se complètent », explique la sociologue et professeure Beate Völcker, directrice de l’Institut néerlandais pour l’étude de la criminalité et de l’application des lois (NSCR) et spécialiste de l’étude des relations amicales. « Là où l’un des deux est égoïste, l’autre se sentira utile, tandis que les moqueries, quand elles sont entrecoupées de compliments, sont perçues comme des marques d’attention. En tant qu’humains, on ne choisit pas volontairement de souffrir, donc si on reste ami avec quelqu’un qui nous draine ou nous rend triste, c’est qu’on tire quelque chose de cette relation quand même. C’est ça que les parents doivent se demander: que tire mon ado de cette amitié? »

Et parfois, la réponse est simplement une forme de réassurance, « parce que cette relation a pris une place tellement centrale dans leur vie que s’ils rompent le lien, ils ont peur de se retrouver tout seuls, sans amis ».

« En tant qu’humains, on ne choisit pas volontairement de souffrir, donc si on reste ami avec quelqu’un qui nous draine ou nous rend triste, c’est qu’on tire quelque chose de cette relation quand même »

Beate Völcker

Doucement mais sûrement

Une crainte face à laquelle Lee-Ann d’Alexandry se veut rassurante: « La prise de distance peut se faire lentement, en espaçant progressivement les contacts tout en nouant d’autres amitiés pour se libérer en douceur de la relation. L’ado n’est pas obligé de balancer ses quatre vérités à la personne ».

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Et quid de l’angoisse de voir cette rupture amicale dégénérer en harcèlement scolaire? « Ce n’est pas la suite logique, d’autant que malheureusement, souvent, ces adolescents agresseurs répètent ces comportements: si ce n’est pas sur une personne, ce sera sur une autre, et c’est très rare qu’il y ait de l’acharnement ». En outre, les amis dits toxiques ne sont pas forcément des monstres malfaisants qui décident chaque matin au réveil de passer la journée à manipuler et moquer les autres. « Ils sont souvent eux-mêmes aux prises avec d’autres problèmes », nuance Beate Völcker.

L’experte pointe donc l’importance, vu la complexité potentielle de leurs rapports, de toujours garder la porte ouverte aux amis de vos enfants. «Cela implique d’avoir des placards remplis de grignotages, et la capacité à se (faire) sentir très vieux, mais c’est extrêmement précieux. En tant que parent, cela permet d’apprendre à connaître toutes les personnes qui gravitent autour de vos ados, d’observer comment ils interagissent, et d’être mieux à même de réagir en cas de problème.» De manière douce et indirecte, un peu comme un ami bienveillant le ferait.

Et si c’est votre ado qui est toxique?

Un appel de l’école ou d’autres parents pour dénoncer le comportement toxique de leur enfant est souvent vécu comme un drame par ceux qui le reçoivent: comment la chair de leur chair serait-elle donc capable de méchanceté? Et surtout, comment gérer?

Pas de panique, recommande Lee-Ann d’Alexandry. Qui souligne l’importance de faire preuve de pédagogie, parce que même s’il ou elle clame haut et fort son indépendance, «un ado ne va pas toujours avoir conscience de l’impact qu’il peut avoir sur les autres. En tant que parent, on a une responsabilité pédagogique envers nos enfants, donc plutôt que de condamner unilatéralement leurs actions, c’est important de leur permettre de comprendre l’empathie». Par exemple, en leur demandant comment eux réagiraient si quelqu’un avait ce comportement toxique envers eux.

«Il faut aussi veiller à comprendre les causes de leur comportement, parce que les harceleurs sont souvent des personnes qui sont harcelées aussi et qui ne se sont pas dégagées de certaines choses», avance Lee-Ann d’Alexandry, qui rappelle que si la situation devait se présenter, «il n’y a pas de honte à avoir en tant que parent, mais bien des choses à comprendre, parce que la personne qui agresse a tout un travail à entreprendre sur elle-même».

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