« Glamour c’est comme une cigarette », ce que le retour de flamme de la clope dit de notre époque
![La cigarette s'offre un retour de flamme - Montage Vif Weekend (Getty Images)](https://img.static-rmg.be/a/view/q75/w680/h0/7009316/design-sans-titre-2-jpg.jpg)
On la croyait bannie, son attrait parti en fumée pour cause de dangereux impact sur la santé. Pourtant, surprise, elle est à nouveau partout, du monde de la mode au quotidien de Monsieur et Madame Tout-le-monde en passant par les réseaux sociaux… La taille zéro? Si cette dernière fait malheureusement elle aussi un come-back remarqué, le retour de flamme qui nous intrigue ici est toutefois celui de la cigarette.
C’est que ni les mesures toujours plus strictes prises à son encontre ni l’engouement pour les nuages capiteux de sa version électronique n’ont eu raison d’elle – au contraire même. Ainsi Carine Roitfeld a-t-elle commencé à fumer passé le cap de la soixantaine, l’inoubliable rédactrice-en-chef du Vogue français s’affichant désormais régulièrement cigarette au bec sur son compte Instagram.
Et elle est loin d’être la seule à donner à la plateforme de vagues relents de cendre.
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Sur les clichés über léchés qu’elle partage à ses près de 200.000 followers, la mannequin et influenceuse Alessa Winter pose elle aussi fréquemment une menthol à la main ou en bouche. Un « accessoire » devenu tellement essentiel à son image qu’elle n’hésite pas à choisir comme couverture de ses reels des photos d’elle en train de tirer sur une clope, même si le shooting en question n’a rien à voir avec la vidéo qu’elle partage.
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Signe des temps, ces dernières semaines, les clichés nostalgiques postés par le compte Cabmate, plateforme virtuelle de curation de contenus « for the timeless and the effortless » avec une préférence assumée pour les 90s, sont eux aussi saturés de nicotine.
Gwyneth Paltrow pré-Goop et wellness, une Camel allumée en main au premier rang d’un défilé, Daria Werbowy captuée en pleine bouffée pour Interview Magazine, Kirsten Owen immortalisée la clope au bord des lèvres par Paolo Roversi pour Vogue Italia… Et puis Kate Moss, forcément, sublime, incandescente, la main ou la bouche toujours ponctuée d’une cigarette.
L’ex enfant terrible a beau avoir arrêté de boire et de se droguer, elle continue d’ailleurs de fumer. Et de contribuer à l’aura glamour persistante d’une substance dont les dangers ne sont pourtant plus à prouver.
À moins que justement, ce ne soient ceux-là même qui expliquent le retour de flamme actuel de la cigarette?
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Au feu, « les écolos bobos qui nous interdisent tout »
C’est en tout cas ce que théorise Vincent Grégoire, directeur de création au sein du cabinet de conseil parisien Nelly Rodi, et spécialiste ès (décryptage des) tendances.
« Suite à des années de censure et de législations punitives, on assiste à un mouvement de contestation et de retour au politiquement incorrect » assure-t-il. « Il y a une partie de la population qui en a marre et qui dit « arrêtez de nous faire ch*er ». Et ça ne concerne pas seulement la cigarette mais aussi le retour de la vraie fourrure ou même du sucre.
On sait très bien que c’est mauvais, mais on en a marre des écolos bobos qui, sous couvert d’une morale mâtinée de vertu voire même de sainteté, nous interdisent tout.
L’idée sous-jacente est que si on a envie de s’empoisonner, de s’asphyxier, de se détruire, alors on le fait » avance-t-il.
Et pourquoi s’en priverait-on puisque la cigarette est (à nouveau) follement tendance, si tant est qu’on puisse appliquer ce qualificatif à une substance aussi addictive (et cancérigène) que la nicotine.
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Prêchi-prêcha, nous? Prudents, disons.
C’est qu’à la rédaction, comme dans nombre de groupes sociaux, il est plus rapide de compter les personnes qui n’ont jamais fumé de leur vie que celles qui fument encore, ou bien plus vraiment, mais « juste en soirée », voire qui ont arrêté mais savent qu’elles ne sont qu’à un mauvais pas de l’achat d’un paquet. Des circonstances qui rendent le zeitgeist d’autant plus étouffant, chaque cliché glamourisant la cigarette finissant par se superposer à toutes les raisons pour lesquelles on s’en tient loin.
Quitte à plonger la tête la première dans le cendrier? S’il s’agit de ceux imaginés par Lyse Lecrit pour Tomboy, il faut bien avouer que c’est drôlement tentant.
La cigarette contre la bien-pensance
Petit frère de Filles A Papa, le label liégeois incarne une autre facette de la personnalité de ses créatrices, les soeurs Sarah et Carol Piron.
Moins modeux, peut-être, mais tout aussi cool, décomplexé et détendu à souhait. Lors de l’ouverture de son Café Tomboy en prémisse aux dernières fêtes de fin d’année, c’est donc tout naturellement que le duo a voulu proposer des accessoires qui collent autant à l’image de la marque qu’à celle des deux soeurs.
Dont acte, donc, avec la collection capsule « Café clopes », des tasses et des cendriers comme un clin d’oeil aux habitudes des créatrices de Tomboy. « Cela fait partie de notre quotidien. J’ai toujours un mug de café et une clope à côté » confie Carol Piron. Qui pointe que la collection a rencontré un franc succès. Deux jours seulement après leur lancement, toutes les pièces étaient vendues, tant et si bien qu’une autre fournée a aussitôt été lancée.
« La cigarette a été proscrite dans l’espace public pour de bonnes raisons, mais elle n’a jamais vraiment disparu. Il suffi de regarder le nombre de photos de mode qui représentent des muses clope au bec. Ce sont des images qui renvoient à une période plus insouciante à laquelle on aspire aujourd’hui » avance encore Carol Piron.
Et Vincent Grégoire de lui donner raison. « C’est une forme de provocation. La cigarette fait office d’accessoire glam qui s’oppose à la bien-pensance.
« Le mouvement woke et inclusif est parti d’idées louables, mais il est devenu totalement exclusif et coercitif et certaines personnes ont envie de revenir à une forme de plaisir. On ne veut plus que d’autres nous disent ce qu’on peut ou ce qu’on ne peut pas faire. La clope, c’est le glamour, c’est Catherine Deneuve… C’est une forme d’existentialisme et de refus de rentrer dans le moule » énumère le Parisien. Qui fait écho sans le savoir au manifeste Tomboy.
Passé recomposé
« On a toujours mis le je-m’en-foutisme en avant, l’envie de faire ce qu’on voulait et de proposer un look décomplexé sans jamais demander l’autorisation à personne. C’est notre leitmotiv, c’est ça qui nourrit la manière dont on crée et dont on imagine nos muses, des filles têtes brûlées qui font ce qu’elles veulent » confie encore la plus brune des soeurs Piron.
Qui se souvient, enfant, s’être baladée dans les bureaux de l’entreprise paternelle et être fascinée par les secrétaires aux longs ongles vernis dont les cendriers débordaient, notant qu’aujourd’hui encore, la cigarette lui évoque le glamour de ces souvenirs « rassurants » plutôt que « quelque chose de mal ».
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« C’est glam de picoler, c’est glam de bouffer des gâteaux, c’est glam de s’allumer une clope, et c’est surtout une manière de dire que d’une certaine façon, je vous emmerde » sourit Vincent Grégoire.
Et de rappeller que « la cigarette a longtemps été un instrument de la domination masculine, puisque les hommes refaisaient le monde au fumoir tandis que les femmes étaient confinées au boudoir. Il a fallu attendre que des femmes émancipées comme Marlene Dietrich s’affichent clope au bec pour que la cigarette devienne pour les femmes une manière de combattre le patriarcat en s’appropriant les codes de l’adversaire ».
Est-ce donc si surprenant que la cigarette fasse un retour remarqué pile au moment où nombre de droits acquis de dure lutte s’envolent en fumée?
D’après les résultats d’une étude finalisée fin 2024 par des scientifiques du University College London, fumer une cigarette réduirait le temps de vie de 20 minutes. Plus qu’un postulat glamour ou qu’une posture nostalgique, l’attrait de la nicotine est donc peut-être plus tragique: quand tout va mal, finalement, autant réduire ses bonnes résolutions en cendres. Après tout, c’est toujours ça que le patriarcat ne nous prendra pas.
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