Le gros coup blues des papys et mamies
Avec l’épidémie du coronavirus, le quotidien des grands-parents a été complètement bouleversé. Eux qui, encore très actifs, continuaient à faire petits boulots, dîners entre amis et activités avec leurs petits-enfants, se retrouvent avec l’étiquette de personnes à risque et coupés du monde extérieur. Comment le vivent-ils ? Quel impact cela a-t-il sur leur moral ? Chiffres et témoignages.
Récemment, Happy grandsparents.be, la première communauté de grands-parents en Belgique, publiait une enquête sur l’impact du confinement sur les « jeunes » mamies et papys. En effet, les plus touchés psychologiquement par la crise seraient les 55-75 ans, soit des hommes et des femmes généralement encore très actifs. Des personnes qui ne se considèrent pas toutes à risque (seuls 40,9% d’entre eux pensent l’être), et qui vivent donc difficilement cet isolement presque total. La première raison ? Le manque de leurs petits-enfants. En effet, sur 1 528 sondés, environ 90% n’ont plus aucun contact avec eux, et la majorité estime que c’est là l’élément le plus difficile à vivre dans ce confinement, suivi par la diminution d’activité et la solitude.
« Nous le savons par différentes études, le lien social est un facteur clé de bien-être chez les personnes âgées afin de lutter contre le sentiment de solitude et de dépression », explique Elsa Guillier, psychologue et coach de vie. Sachant que la relation grands-parents – petits-enfants est une relation privilégiée et bien différente de celle parents – enfants, ce lien désormais coupé, le papy ou la mamie a davantage de risques de ressentir une détresse psychologique.
Un chamboulement dans leur quotidien
Habituées à travailler, à s’engager dans des projets associatifs ou à prendre soin de leurs petits-enfants, ces personnes, à cause du confinement, voient leur quotidien se modifier. Selon Elsa Guillier, un individu va mieux ou moins bien vivre la situation en fonction de sa personnalité et de sa capacité à rééquilibrer ses ressources et ses identités. « Professionnelle, sociale, associative, de loisirs… l’être humain possède différentes identités que le confinement vient bousculer, explique-t-elle. Nous devons dès lors apprendre à vivre avec des facettes de nous-mêmes que nous n’exploitions plus vraiment en temps normal. Tout est une question de gestion des ressources qu’il nous reste, de maintien de la balance entre celles-ci et les stresseurs. « Pendant le confinement, les grands-parents actifs se voient retirer des ressources comme leur travail ou leur famille, alors qu’augmentent les sources de stress comme l’isolement par exemple. La clé du bien-être est donc de rééquilibrer la balance en ajoutant de nouvelles ressources ou en exploitant des anciennes. » Pour maintenir le contact, certains grands-parents deviennent très inventifs : ils lisent des histoires devant une caméra, ils inventent des jeux à faire à distance… « , illustre Elsa Guillier.
Un lien social maintenu
Heureusement pour eux, une des particularités de cette génération de grands-parents est leur capacité d’utilisation des nouvelles technologies. Facebook, WhatsApp, Skype… ils savent (presque) tous en faire usage. 83% des répondants citent même ces applications comme étant une des alternatives principales pour rester en contact avec leurs proches, avant le téléphone. Elsa Guillier précise tout de même que même si elles permettent de maintenir le lien social, ces technologies ne le remplaceront jamais. » Des études l’ont montré : le lien tactile est très important. Voir quelqu’un à travers une vitre ou un écran n’est pas comparable à un bisou ou un enlacement « , précise-t-elle.
Qu’importe l’âge, Elsa Guillier espère que le confinement se terminera bientôt car « cela n’est pas dans la nature de l’homme, nous sommes des êtres sociaux. Fonctionner ensemble, échanger, transmettre, déposer nos émotions est indispensable à notre bien-être psychologique. »
Passer d’une vie à la retraite où l’on n’est jamais chez soi, à une situation où l’on est forcé d’y être pour protéger sa santé, ce n’est pas toujours facile à vivre. Voici le quotidien de trois » jeunes » grands-parents, obligés de rester confinés.
Colette, 69 ans
Médecin retraitée, elle travaillait encore trois demi-jours par semaine et s’occupait énormément de ses petits-enfants. Ses journées étaient bien remplies. Aujourd’hui, elles le sont toujours… mais différemment.
» Pour l’instant je ne bouge plus du tout. Cela fait trois semaines que je ne me suis plus déplacée, à part une fois pour aller à la pharmacie et une autre pour faire des courses. Même si c’est difficile de passer d’une vie active à une vie comme ça, un peu végétative, je dirais qu’aujourd’hui, je me suis résignée.
Les premiers jours je zappais. Je commençais à mettre un peu d’ordre, puis je regardais mes messages, mes mails. À la fin de la journée, j’avais l’impression de n’avoir rien fait, d’avoir des difficultés à me concentrer et d’avoir la tête à l’envers. Maintenant, j’ai donc mis des choses en place. Je me lève toujours à une heure régulière, vers 8 heures. Ensuite, de 10 heures à midi, je m’occupe de mon petit-fils puisque ses parents font du télétravail. Il a 8 ans donc il a du mal à s’occuper tout seul. Je lui fais répéter ses leçons, puis on fait des bricolages, on joue… Tout ça par Skype ou Facetime.
Je bichonne mes chargeurs parce que ne plus avoir d’ordinateur serait une catastrophe
L’après-midi, vers 15 heures, j’ai à nouveau un rendez-vous, mais cette fois-ci avec les autres grands-parents et petits-enfants. Chacun doit proposer une activité. Entre-temps, je mets de l’ordre, je passe des coups de téléphone à des personnes que j’estime plus isolées que moi, et je jardine car j’ai la chance d’avoir un jardin. Il n’aura d’ailleurs jamais été autant dépourvu de mauvaises herbes. J’essaye aussi de moins suivre le journal. C’est trop anxiogène. À la place, j’écoute de la musique, classique ou autre. Et pour finir ma journée, le soir, j’ai régulièrement des appels par Skype soit avec mes enfants, soit avec des amis. On passe une heure à papoter et à prendre l’apéro ensemble.
Le plus difficile dans cette situation est de ne plus voir physiquement mes enfants, et surtout mes petits-enfants. Heureusement qu’on a les outils informatiques et le GSM (je bichonne mes chargeurs parce que ne plus avoir d’ordinateur serait une catastrophe), mais cela ne remplace pas le contact physique : les voir en chair et en os, les toucher. Puis, devant un écran, les rapports sont différents. Quand je suis avec eux, ils se chamaillent… alors que devant leur ordinateur, ils sont relativement figés. Ce n’est pas vraiment la vraie vie. Il me tarde de pouvoir sortir et d’aller les voir, même si je ne peux pas encore les serrer dans mes bras. «
Jeannine, 76 ans
Pour elle, le plus difficile à vivre, à côté du manque de sa famille, est d’être enfermée chez elle 24 heures sur 24. Une vie de confinée qui ne lui plaît pas tant que ça, mais qu’elle n’a pas d’autre choix que d’assumer.
« Avant le 18 mars, j’avais la bougeotte. Je me promenais quand je le voulais. J’allais voir mes enfants, je m’occupais de ma petite-fille, je passais régulièrement voir une dame âgée dont je m’occupe. Et maintenant je suis bloquée à la maison. Les rares fois où je sors faire mes courses, quand je rentre, je me dis : ‘waouh j’ai enfin vu autre chose’. J’ai eu ordre de mes enfants de ne pas bouger de chez moi, donc à la place, je lis, je travaille dans le jardin, je fais des lessives et nettoie ma maison de fond en comble. Faire le ménage, cela ne me plaît pas toujours, mais je suis obligée car nous ne disposons plus de l’aide à domicile.
Quand je vois ma fille (de loin), médecin en hôpital, et la tristesse qu’elle a dans ses yeux, cela me retourne
De temps en temps, je suis très stressée. Les informations qu’on nous donne sont toujours les mêmes, et ça m’angoisse. La journée, je coupe même la radio. Par rapport à mes enfants et mes petits-enfants, je le vis difficilement. Ils me manquent beaucoup. Puis quand je vois ma fille (de loin), médecin en hôpital, et la tristesse qu’elle a dans ses yeux, cela me retourne. Donc pour me remettre du baume au coeur, je leur téléphone beaucoup. Heureusement qu’il est là le téléphone. J’ai déjà le temps long, mais qu’est-ce que cela serait sans ? La première chose que je ferai quand on sortira du confinement, est d’organiser une grande fête avec tout le monde et on boira une bonne coupe de champagne pour l’occasion. «
Luc, 76 ans
Ingénieur à la retraite, il continue de dépanner ses quelques clients comme il le peut. Résigné à devoir rester chez lui il a décidé de s’armer de patience et d’attendre la fin du confinement à la maison, en se soumettant aux règles.
« Je suis obligé d’accepter la situation. Je serais idiot d’aller à l’encontre de la mesure, donc je me résigne. Ne pouvant plus facilement aller à l’extérieur, lors d’un dépannage informatique, je dois être inventif pour aider les gens. Intervenir à distance ou avec un contact minimum. Toute la partie humaine de mon travail m’échappe donc. Or, le contact humain est important dans la vie. Voir les gens, les embrasser et voir leurs yeux au moment où on leur parle, c’est important pour moi et ça me manque. Ça doit aussi manquer aux autres sûrement car nous avons besoin de l’affection avec des gestes, du contact, et pour le moment, ça fait cruellement défaut.
Je téléphone énormément. Canada, Italie, France, je prends des nouvelles de tout le monde
En avril, nous devions réaliser des travaux dans la maison, mais en ce moment, tout est ralenti. Il n’est pas question de faire venir des ouvriers pendant le confinement, et nous ne pouvons pas exiger une grande réactivité de la part de l’administration communale, donc je m’arme de patience. Pour m’occuper, je passe beaucoup de temps dans le jardin et je téléphone énormément. Canada, Italie, France, je prends des nouvelles de tout le monde. Je me tiens également au courant des mesures prises afin de savoir ce que je peux faire ou pas. Je suis convaincu que la situation ne se règlera pas du jour au lendemain, donc j’exploiterai les paliers qui me sont permis d’avoir. Je serai patient, même si cela est difficile. «
Par Justine Delpierre
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