Le « jeûne de parole » est-il la clef pour être plus à l’écoute de soi et des autres? Damso l’affirme, la science nuance

Le jeûne du silence fait-il vraiment du bien? Getty Images
Le jeûne du silence fait-il vraiment du bien? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

A priori, le rappeur Damso est plutôt habitué à donner de la voix. Et pourtant, c’est pour avoir abordé sa pratique du « jeûne de parole » que notre compatriote fait désormais parler de lui. Mais qu’est-ce donc?

On l’admet bien volontiers, le nom du concept semble assez indicatif de ce qu’il implique: on pratique le jeûne de parole, donc en bref, on se tait. Mais pendant combien de temps? Et pourquoi, au fond?

Pour ce qui est du timing, Damso, invité ce mardi sur le plateau de Quotidien, a révélé à un Yann Barthès quelque peu abasourdi qu’il lui arrivait régulièrement de se taire volontairement… Pendant une à deux semaines tout de même.

Objectif avoué? Tout à la fois « développer une relation avec une forme d’humilité » mais aussi et surtout (ré)apprendre à vraiment écouter.

« Quand on se tait, on finit par essayer vraiment d’écouter l’autre. Très souvent, quand les gens parlent entre eux, ils ne taisent pas leur voix intérieure. Et quand on fait ce jeûne de parole, en tout cas quand moi je le fais, j’arrive à taire ma voix intérieure »

a ainsi expliqué Damso.

Et de préciser être joignable uniquement une heure par jour via une adresse mail durant ses périodes de silence volontaire.

Un concept qui ne vous parle pas? Sachez pourtant que notre compatriote, en pleine tournée promotionnelle pour son nouvel album J’ai Menti, est loin d’être son seul adepte. Et que s’il faut en croire celles et ceux qui jouent à cette version surprenante du Roi du silence, elle n’aurait que des bienfaits.

Moins de bruit, moins de stress

Lesquels ne seraient pas tant liés au fait de se taire, qu’au silence que ça implique.

En effet, en 2013, une étude scientifique publiée dans la revue Brain Structure and Function révélait que contrairement aux rongeurs entourés de bruit, les souris exposées quotidiennement à deux heures de silence développaient de nouvelles cellules dans l’hippocampe, la région cérébrale responsable notamment de nos processus de mémorisation et d’apprentissage.

Et ce n’est pas tout puisque ces mêmes moments de silence, de préférence choisis plutôt qu’imposés par des chercheurs en laboratoire, permettraient de diminuer la pression sanguine, faire baisser les niveaux de cortisol (alias « l’hormone du stress ») mais aussi de calmer le rythme cardiaque.

Est-il donc vraiment surprenant que le sage Hindou Ramana Maharshi ait passé une grande partie de sa vie dans le silence le plus complet, après avoir eu ce qu’il a qualifié de révélation de l’existence d’un « océan de conscience pure en chacun d’entre nous »? Forcément, comme ça, c’est très joliment dit. Et ça fait d’autant plus envie que le jeûne de paroles aurait également d’autres bénéfices pour celles et ceux qui le pratiquent.

Dans un exposé sur la question pour Psychology Today, le psychologue Robert N. Kraft, professeur émérite de psychologie à la Otterbein University, révèle ainsi que chaque année, il enjoint ses étudiants à pratiquer une journée de silence complet du lever au coucher. Un silence qui s’applique à la parole parlée, mais aussi, à la parole écrite: à part la préparation de notes brèves indiquant « je ne parle pas aujourd’hui » pour apaiser d’éventuels interlocuteurs interloqués, interdit de bavarder, mais aussi, d’échanger SMS et autres messages instantanés.

Le verdict des participants au terme de l’expérience?

Le jeûne de parole, oui, mais volontaire alors

Parmi les ressentis partagés, le Dr Kraft note tout d’abord que c’est en se taisant qu’on réalise à quel point on parle beaucoup sur une journée.

Prise pour acquise, la parole rythme tellement le quotidien de la plupart des gens que ce n’est que quand ils en sont privés qu’ils réalisent combien elle était présente avant. Cela vaut pour les étudiants de Robert N. Kraft, mais aussi, par exemple, pour le grand-père de l’auteure de cet article.

Lequel, après que son épouse ait été placée en maison de repos, a réalisé, étourdi et triste, et alors qu’il avait pourtant l’habitude de vivre dans l’agréable silence affable des personnes qui ont passé plus de 60 ans de leur vie ensemble, que désormais, il se taisait « tout le temps ».

Pourtant, paradoxalement, cette absence de babillages nous permettrait également d’être plus à l’écoute, « en partie parce qu’on ne gaspille pas notre temps à penser à ce qu’on va répondre ».

Même si, ainsi que le souligne le psychologue américain, « passées les deux premières heures et l’effet de nouveauté, ce qui pouvait être curieux ou amusant devient juste ennuyeux ». Et ce n’est pas le pauvre grand-père privée de sa partenaire de papote qui dira le contraire.

C’est que selon les observations faites par le Dr Kraft au gré des années de cette expérience auprès de ses élèves, privés de la parole, nous serions aussi privés de notre sens de l’humour. Logique, selon lui, puisque ce dernier nécessite la précision, le sens du timing et la nuance inhérents au langage parlé.

Et de conclure en précisant que lorsqu’on s’astreint à un jeûne de paroles, on réalise que « parler ne se limite pas à communiquer avec précision. Cela définit aussi notre façon d’être avec les autres et cela guide nos actions ».

Pas étonnant donc, que ce silence, quand il est choisi, puisse être source d’introspection bénéfique, alors que lorsqu’il est imposé, il est au mieux inconfortable, et au pire douloureux.

Tout en nuances

En 2014, le professeur de psychologie de l’University of Virginia Thimothy Wilson avait demandé à des volontaires de rester assis, en silence et inactifs, durant dix minutes.

Bien loin des unes à deux semaines de bouche cousue prônées par Damso, donc, et pourtant: pourvus de petits appareils leur permettant de s’infliger des microstimulations électriques légèrement douloureuses, les participants à l’étude ont été nombreux à s’infliger volontairement des micro-décharges afin de « passer le temps » ou d’éviter d’être « seuls avec leurs pensées ».

DR @emmassedditts / TikTok

Et si, pour certains, la pratique du silence peut s’avérer inconfortable, il en va de même aussi pour les personnes qui les entourent.

Ou du moins, disons qu’on ne se fait visiblement pas plus de potes à coup de salade (pour citer Homer Simpson) qu’en se taisant. Une étude publiée en 2022 dans la revue Psychology and Social Personality Bulletin révélait ainsi, sur base d’un exercice dont les participants étaient invités à prendre la parole entre 30 et 70% du temps de la conversation, que les personnes perçues comme étant les plus appréciables étaient celles qui parlaient le plus.

De quoi mettre en perspective les longues plages silencieuses de Damso, et la pratique du jeûne de parole?

Pas forcément, car il est possible de l’adopter avec nuance, pour bénéficier de ses avantages en évitant ses inconvénients.

Après tout, la plupart des chanteuses et chanteurs célèbres ne pratiquent-ils pas quotidiennement une forme de silence auto-imposé pour préserver leur voix? Il serait donc parfaitement envisageable de choisir de se taire consciemment entre le lever et l’arrivée au boulot, ou bien, pour les personnes qui ont de jeûnes enfants, entre l’heure de leur coucher et la vôtre.

Peut-être que le silence est d’or, et la parole est d’argent, mais en combinant les deux, on obtient les métaux les plus précieux.

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