L’effet Mandela ou quand tout le monde se trompe… ensemble

Vous avez déjà très certainement entendu parler de l’effet Mandela. Depuis les années 2010, cette fâcheuse tendance à partager un faux souvenir à des milliers de reprises prend de l’ampleur. Un phénomène qui éveille des théories sur des univers parallèles, à moins qu’il ne s’agisse de simples illusions de la mémoire? Décryptage d’un mystère fascinant.
Vous souvenez-vous de cette phrase mythique à la fin de la chanson We are the Champions de Queen, le « Of the world… » qui tire en longueur, ou bien la réplique culte de Dark Vador dans Stars Wars, « Luke, je suis ton père »? Et bien, figurez-vous que votre cerveau vous joue des tours. Les paroles finales de la chanson de Queen n’existaient pas au départ, ce « Of the World » est arrivé bien après. Et Dark Vador n’a jamais dit le prénom de son fils avant de lui annoncer sa paternité.
Pas de panique, vous n’êtes pas seul.e à avoir cette fausse impression sur des événements passés. « Je viens donc d’apprendre qu’il n’est pas décédé, raconte Anna, alors qu’avec mes frères on a une bonne culture cinématographique pourtant. Mais je suis ravie d’apprendre que Michael Douglas est toujours parmi nous…
C’est dingue ça fait des années qu’on en est persuadés qu’il est mort, allez savoir pourquoi.
Et on ne nous a jamais dit que nous nous trompions à propos du décès de cet acteur. » Prévenir quand quelqu’un se trompe, c’est un acte de bonté. Se taire, c’est parfois un plaisir coupable… Comme on peut le constater, même autour de nous ce type de phénomène est bien présent et est répandu plus que ce qu’on ne le croit.
Cela c’est l’effet Mandela, qui se produit quand un grand nombre de personnes se partagent exactement le même faux souvenir.
L’origine de ce phénomène
Retournons quelques années en arrière, en 2009, lors d’une conférence sur le paranormal.
Une blogueuse américaine, Fiona Broome et d’autres intervenants viennent à bavarder en coulisses de la mort de Nelson Mandela. La blogueuse ainsi que d’autres participants se disent persuadés que Mandela était décédé en prison au début des années 90, comme l’expliquent deux podcasteurs québécois dans le podcast Distorsion, dans un épisode dédié au phénomène L’effet Mandela – c’est-à-dire une distorsion de la mémoire collective.
Car évidemment, Nelson Mandela n’est jamais mort en prison mais a bel et bien été libéré en février 1990 après plus de 27 ans d’emprisonnement.
Fiona Broome expliquera avoir été persuadée de cette version de l’histoire suite à des récits partagés avec d’autres personnes. Leur point commun ? Elles avaient toutes en tête des images des obsèques de l’ancien président, qu’elles auraient vu à la télévision. Mais Nelson Mandela n’est pourtant mort qu’en 2013.
Étrange, non?
Pourquoi tant d’erreurs collectives?
Pour faire simple, notre mémoire n’est pas une bibliothèque complètement ordonnée. C’est plutôt un auteur en improvisation permanente qui, il faut l’admettre, réécrit les chapitres en fonction de ce qui l’arrange. L’influence des autres et les émotions jouent des rôles considérables dans ce traitement et classement des informations. Dit autrement, quand le cerveau oublie un détail d’une histoire, il ne se dit pas « je ne sais pas ». Il sera plutôt enclin à inventer pour combler ce manque d’information. Olivier Klein, professeur en psychologie sociale à l’ULB, avance une seconde hypothèse: notre mémoire à tendance à fonctionner par schémas. « On a des représentations bien précises en fonction des stéréotypes.
Prenons l’exemple du personnage du jeu Monopoly. Vous le visualisez avec un monocle, n’est-ce pas ? Et bien… Il n’en est rien. On ne fait pas que de remplir des vides laissés par notre mémoire, on a également cette tendance à stéréotyper certaines de nos idées car c’est ce à quoi on s’attend. Le cerveau fait des prévisions, en quelque sorte. Ainsi, pour ce personnage du Monopoly, on imagine une personne âgée du début du 20e siècle, assez riche et cela fait sens de lui imposer le monocle. »

Toujours dans le podcast L’effet Mandela – une distorsion de la mémoire collective, on apprend que Jean Piaget, célèbre psychologue suisse, a cru pendant des années à un souvenir… qui n’était jamais arrivé. Enfant, il était convaincu d’avoir vécu une scène bien précise, souvent racontée par sa tante. Cette histoire, riche en détails, avait fini par s’ancrer dans sa mémoire comme un fait réel. Ce n’est que bien plus tard qu’il a découvert que tout avait été inventé. Une preuve frappante de la manière dont notre mémoire peut nous jouer des tours. Et à tous.
Fondamentalement, ne pas avoir une mémoire exacte du passé n’est pas dangereux en soi, c’est de toute façon pratiquement impossible, mais ce qui pourrait être plus problématique, ce sont les faux souvenirs induits comme dans le cas de Jean Piaget. Des faux souvenirs racontés par une personne peuvent s’immiscer dans une simple conversation. Le cerveau, troublé, hésite : a-t-il réellement vu cette information ou l’a-t-on simplement évoquée ? Avec le temps, la frontière s’efface, et le souvenir inventé finit par sembler authentique. » Un mécanisme qui est susceptible de discréditer des discours d’un accusé mais aussi d’un condamné, par exemple », précise Olivier Klein.
Une mémoire collective fragile ?
Car derrière ce côté presque amusant du phénomène, l’effet Mandela montre à quel point les souvenirs communs peuvent être manipulés, transformés, amplifiés. Parfois – souvent même – sans que nous en ayons conscience. Selon le professeur Klein ce n’est pas tant l’effet Mandela en lui-même qui pose problème mais ce qui peut en découler. « L’effet Mandela n’est pas un effet qu’il faut redouter ce sont plutôt les discours complotistes qui remettent en cause la réalité qui sont à craindre. Le problème est là : certaines figures tentent d’influencer et de convaincre une partie de la population qu’ils ne doivent plus avoir confiance en leurs propres sens et en ce que disent les scientifiques. »
Des théories parfois absurdes
Avec un tel effet existant dans notre société actuelle, il fallait bien que des théories loufoques voient le jour. Aux États-Unis, Max Loughan, un jeune scientifique avance une théorie intrigante : notre univers aurait tout simplement cessé d’exister… rien que ça ! Selon lui, une série d’expériences menées en Suisse au CERN (Conseil Européen pour la Recherche Nucléaire) aurait causé l’effondrement de notre réalité et nous vivrions dans dans une copie quasi conforme de notre monde. Ceci expliquerait, toujours selon le jeune scientifique, l’effet Mandela : si certaines personnes se souviennent d’événements qui n’ont jamais eu lieu ou sont sujettes à des visions erronées de la réalité c’est parce qu’elles garderaient en mémoire des fragments vécus dans des réalités parallèles. Notre conscience aurait ainsi la capacité de voyager entre ces dimensions multiples – ce qui brouillerait, forcément les souvenirs.
Aussi séduisante la théorie soit-elle, nous ne sommes pas dans un Multivers comme en science-fiction… Des failles au niveau de la mémoire sont en effet bien plus plausibles.
Dans tous les cas, il convient de rester prudent, car selon le professeur Olivier Klein, encore aucune théorie bien précise n’est écrite dans la littérature scientifique. « Il y a bien quelques études sur le sujet mais beaucoup trop peu et elles ne sont pas assez précises. Et malheureusement, les scientifiques n’arrivent pas encore à déterminer les causes de cet effet. Il n’y a donc pas de réponse bien définitive sur la question, pour le moment. »
En fin de compte, que l’on croit aux univers parallèles ou simplement à la fragilité de notre mémoire, l’effet Mandela nous rappelle que notre cerveau est parfois un fabuleux illusionniste. Et si l’on se trompe tous ensemble, c’est peut-être parce que, quelque part, on aime aussi un peu rêver collectivement. Après tout, dans un monde où tout va très vite, il est plutôt rassurant de savoir que certaines bizarreries peuvent encore nous faire sourire — et nous rassembler.
Quelques effets Mandela (troublants) qui vont peut-être chambouler vos souvenirs
1. La phrase célèbre de la reine dans Blanche-Neige, « Miroir, miroir sur le mur, qui est la plus belle ? », est elle aussi tombée dans le piège de l’effet Mandela. En réalité, la réplique exacte est : « Miroir magique au mur, qui a beauté parfaite et pure ? ». On est d’accord c’est assez semblable mais bon comme on est précis…
2. Candle Cove, une émission fabriquée par notre mémoire collective ? Au début des années 2000, des internautes échangent sur un forum des souvenirs d’une étrange émission télévisée qu’ils auraient regardée dans les années 1970, dans l’Ohio : Candle Cove. L’émission, centrée sur une petite fille en lien avec des pirates et des grottes mystérieuses, laissait un souvenir à la fois fascinant et inquiétant. Une centaine de personnes sur le forum affirmaient l’avoir vue. Problème : Candle Cove n’a jamais existé. Aucun enregistrement, aucune preuve, aucun programme TV d’époque ne la mentionne. Au fond, cet « effet Mandela » s’apparente plutôt à une « creepypasta », une légende urbaine diffusée sur Internet. Pas très rassurant tout ça…
3. La vache qui rit, ce fromage de l’enfance et de l’insouciance… Cette vache, on l’imagine rouge avec des boucles d’oreilles à l’effigie de la marque. Mais certains, quant à eux, sont persuadés qu’elle possède en plus un anneau de nez. On est plus à y croire que vous ne le pensez…
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