Comment se libérer du stress engendré par les e-mails
L’enfer, c’est les e-mails? Comment gérer le stress engendré par la déferlante de courriels
Niveau reproduction, les e-mails n’ont rien à envier aux rongeurs: on tourne la tête quelques secondes à peine, et hop, ils sont dix fois plus nombreux que lors du dernier check. Résultat, pour beaucoup de personnes, le monde du travail moderne ressemble à une réponse sans fin à des courriels qui n’ont souvent « d’urgent » que leur objet (en majuscules, s’il vous plaît). La parade? Céder aux sirènes de la réponse automatique permanente, même si celle-ci n’est malheureusement pas infaillible.
S’il fallait réimaginer le mythe de Sisyphe à l’ère moderne, il y a fort à parier que celui-ci ne comporterait pas le moindre rocher, mais bien toujours une montagne. Une montagne de mails non-lus, en l’occurence, dont le sommet est d’autant plus impossible à franchir qu’à peine le tri terminé et la dernière missive électronique ouverte, il s’avère que 5 à 10 nouveaux courriels sont arrivés dans votre boîte mails – plus si on compte les dossiers spams et promotions.
Au retour de vacances, quand on se reconnecte après une pause bien méritée, il n’y a rien de tel pour balayer immédiatement les effets de celle-ci que de se reconnecter et de constater que 100, 200 ou même encore plus d’e-mails attendent d’être lus voire même, ainsi que leur objet le rappellent en lettres menaçantes, lus de manière urgente.
Pour peu, on en viendrait à préférer devoir rouler sans fin un rocher sur le flanc d’une montagne, parce qu’au moins, comme ça, on profiterait du grand air.
L’enfer, ce serait donc les mails?
Cdlt,
« E-mail is making us miserable » titre le New Yorker à l’hiver 2021. « How to cope with e-mail anxiety and stress » conseillait LinkedIn au printemps dernier…
Car oui, ainsi que le rappelle la plateforme Psych Central, « l’anxiété des mails » est bien réelle, et elle concerne de nombreux travailleurs. En cause, le fait qu’il est « plus difficile de se détacher de quelque chose qui clignote en permanence sur notre téléphone, et le fait de ne pas avoir de conversation en face à face signifie que les éléments sont plus facilement mal interprétés en cours de route ».
Ou comment la formule a priori plutôt affable « cordialement » est devenue le cri de ralliement de toutes les personnes passives-agressives de ce monde – et c’est sans parler de celles et ceux qui, croyant peut-être bien faire, mais faisant surtout beaucoup de tort à leurs lecteurs, rédigent une variation de « comme mentionné dans mon mail précédent ».
L’ampleur du phénomène est telle qu’au printemps 2023, la société Mailoop et le cabinet Mazars ont mis sur pied le premier Observatoire de l’infobésité et de la collaboration numérique (OICN), dédié à l’étude du stress numérique dans le monde du travail. Verdict après l’analyse de 60 millions d’objets de mail professionnels reçus par près de 9.000 salariés? On recevrait en moyenne 144 courriers électroniques par semaine, voire jusqu’à 400 pour les personnes haut placées dans l’organigramme. Si l’on calcule que le traitement d’un mail, réponse comprise, prend environ 2 minutes, cela représente pas moins de 13.3 heures. Soit un peu plus du tiers d’une semaine de travail de 38h.
Pas étonnant, donc, qu’il vous arrive parfois de quitter le boulot en ayant l’impression de n’avoir rien fait de votre journée: si on passe son temps à tenter de réduire la taille de la pile de courriers électroniques en attente, forcément, la liste de tâches à accomplir, elle, ne diminue pas – que du contraire.
De l’anxiété numérique à l’apnée de l’e-mail
Une surcharge informationnelle que l’OICN qualifie de « pénibilité numérique », susceptible de « provoquer un sentiment d’urgence permanent générant du stress et de l’anxiété ». Voire même, « d’apnée de l’e-mail ». Théorisé par l’auteure américaine Linda Stone, il s’agit du phénomène qui voit certains (littéralement) retenir leur respiration au moment de relever leur boîte mails.
Une théorie publiée en 2008 sur l’Huffington Post, et réfutée depuis par des ORL, qui l’accusent de n’être basée sur aucune étude scientifique… Mais le ressenti, dans tout ça? Que celui ou celle qui n’a jamais serré les dents (ou senti son ventre se serrer) au moment de relever une boîte mails dont on sait déjà qu’elle déborde jette la première pierre envoie le premier courriel courroucé à Linda Stone.
La parade trouvée par certaines victimes de cette surcharge numérique? Avoir recours à un « out of office » permanent. Une pratique qui gagne tellement en popularité, que sur le forum Reddit, les utilisateurs s’échangent conseils et astuces pour élaborer la réponse automatique parfaite. C’est qu’il ne s’agit pas prétendre être en vacances en permanence (votre boss n’appréciera pas) ni prévenir chaque correspondant que son mail ne sera pas lu pour cause de surcharge mentale (même si c’est tentant) mais bien plutôt de trouver une manière de mitiger le stress suscité par le sentiment de devoir répondre « dans les meilleurs délais » à ces e-mails.
En 2018 déjà, Arianna Huffington mettait l’accent sur ce « nouveau mouvement de réponses automatisées » en réponse à la culture de la performance et aux frontières toujours plus poreuses entre le travail et la vie privée. Et d’inviter, en bref, à répondre aux courriers électroniques comme s’il s’agissait de courriers traditionnels.
Car si personne ne s’attend à ce que vous répondiez à une lettre dans la demi-heure grand max, pourquoi en irait-il autrement de courriers tapés sur un clavier plutôt que rédigés sur du papier?
Traiter les e-mails comme des lettres
Voyant dans le phénomène « un signe que les gens prennent le contrôle de la technologie dans leur vie, au lieu de la laisser les contrôler », Ariana Huffington, qu’on ne peut pourtant certainement pas qualifier de glandeuse, pointe qu’une bonne manière d’y parvenir « est de créer des messages d’absence et des réponses automatiques pour les courriels de tous les jours, et pas seulement lorsque nous partons en vacances ».
Et de confier en recevoir de plus en plus en réponse à ses e-mails, prenant en exemple celui de sa consoeur, la journaliste star Maria Menounos: « Bonjour à tous 🙂 Merci de m’avoir contactée. Je ne consulte que rarement mes e-mails afin de pouvoir me concentrer sur mes projets et ma vie plutôt que sur les e-mails 🙂 ».
Pour sa part, la CEO de Campbells, Denise Morrison, apportait un autre élément dans sa réponse automatique, précisant relever ses mails une fois par jour seulement, à la fin de sa journée de travail. Une manière d’éviter de la commencer sur une note pénible, mais aussi, d’endiguer quelque peu le flot virtuellement intarissable de mails en le confinant à un moment précis?
Dans un article rédigé sur Medium, et dédié à ses pratiques numériques (titre: « Pourquoi je ne prends pas mon téléphone dans ma chambre ») Ashton Kutcher avait ces mots pour décrire les mails: il s’agirait selon lui de « la to-do list que les autres établissent pour vous ». Or, alors que la vôtre est déjà probablement remplie de tâches à accomplir de manière plus ou moins urgente, pourquoi donc accepteriez-vous cette responsabilité supplémentaire?
« Si quelqu’un sonnait à votre porte et vous convoquait toutes les deux secondes, vous déconnecteriez probablement votre sonnette. Ou vous changeriez de maison »
pointe encore Ariana Huffington.
Débranche, tout: France Gall aurait-elle anticipé les supplices du travail moderne?
Couper court
Si la réponse automatique systématique peut apporter un sentiment d’allègement, celui-ci n’est malheureusement que passager: à moins d’avoir un boss (très) compréhensif ou d’exercer le job d’ermite, il semble inconcevable de répondre à chaque interlocuteur par « je ne vous répondrai pas ».
En prime, cette alternative, bien que tentante, n’est pas aussi bonne pour l’environnement que pour la charge mentale: quand on sait que, selon les dernières estimations, les e-mails génèreraient pas moins de 410 millions de tonnes de CO2 par an, et que ce problème, lié à l’impact écologique du stockage informatique, est aggravé par la quantité de courriers électroniques qui s’accumulent dans nos boîtes de réception, laisser ceux-ci végéter plus longtemps encore et remplir les boîtes de nos correspondants de réponses automatiques en prime tiendrait presque de l’irresponsabilité écologique.
Alors quoi, on fait le gros dos et on espère que la montagne virtuelle de mails ne finisse pas par nous écraser? Pour la psychologue Kia-Rai M. Prewitt, de l’Université de Cleveland (qui a consacré un guide à la gestion de l’anxiété liée aux mails) il s’agirait plutôt de parvenir à établir des limites. Qui ne passent pas forcément par la mise en place d’une réponse automatique H24, mais plutôt par la décision, à l’image de Denise Morrison, d’établir un moment quotidien dédié à la lecture des mails – et en dehors, tant pis pour les « Urgent !!!!!!!« , ce sera géré plus tard.
En outre, « étant donné que notre cerveau doit passer au crible une grande quantité d’informations chaque jour, il est préférable d’envoyer des courriels plus courts » suggère le Dr Prewitt, qui invite à être direct et concis, et à limiter vos e-mails à 3 à 7 phrases en fonction du type d’information à communiquer.
Pour lutter contre le stress lié aux e-mails, l’OICN recommande également de limiter leur usage conversationnel: on reçoit une question, on y répond, et s’il faut faire un suivi, on passe à l’oral plutôt que de multiplier les chaînes de 10 à 12 courriers électroniques (avec mention spéciale pour les personnes qui ajoutent de pauvres victimes innocentes en copie en cours de route).
Ce n’est pas un hasard si, dès 2017, la France a fait passer une loi limitant l’usage des e-mails en dehors du travail. Concernant les entreprises de 50 employés ou plus, la mesure avait été décrite par la Ministre du Travail de l’époque, Myriam El Khomri, comme une tentative d’endiguer les cas croissants de burnout dans le pays.
De quoi donner une idée de l’impact mental potentiellement catastrophique d’une boîte mails débordant de courriers électroniques. Et inviter à repenser la place qu’on accorde à ces e-missives dans nos vies.
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