Bye bye les JO de Paris (6/6) / Charline Van Snick, judokate: «J’ai vécu un burn out sportif, il faut davantage en parler»

Charline Van Snick à Tokyo, en 2021. © Belga Image
Fanny Bouvry
Fanny Bouvry Journaliste

Le Vif Weekend part à la rencontre de ces champions belges qui ne pourront pas briller aux jeux Olympiques de Paris. Parmi eux, le judokate Charline Van Snick (33 ans), qui a mis fin à sa carrière en janvier dernier suite à un burn out sportif.

«Le burn-out sportif est très fréquent mais on en parle peu. Les athlètes sont habitués à pousser le corps le plus loin possible dans ses derniers retranchements, à supporter énormément de charges de travail, à ne pas se plaindre. C’est la mentalité du «no pain, no gain». Marche ou crève. Et ça peut être vraiment très violent. Moi aussi, j’ai été comme cela pendant des années. Mais j’ai vraiment l’impression qu’on est un peu traités comme des vaches à lait. On tire, on tire, on tire, on tire et puis après on envoie à l’abattage.»

«J’ai vraiment l’impression qu’on est un peu traités comme des vaches à lait.»

«Il est toutefois arrivé un moment où j’avais besoin d’adapter cela à mon âge. Je ne m’entraînais plus comme un jeune. Selon moi, c’était encore possible d’aller aux JO, mais avec un mode d’entraînement différent, qui n’a pas été mis à ma disposition. J’ai aussi ressenti beaucoup de pression au niveau institutionnel car j’avais un contrat avec l’ADEPS et donc des objectifs fixés qui selon moi étaient inatteignables.»

Les signes du burn out

«Tout se passe exactement comme dans le burn out professionnel. Face à des objectifs inatteignables, on subit une pression constante. Je ressentais aussi énormément de fatigue. Je n’arrivais plus à récupérer. Je ne voulais plus aller en stage avec mon équipe. A chaque fois que je rentrais, j’étais épuisée. Je me sentais isolée.»

«Il y avait beaucoup de clash aussi avec mon entraîneur et une mauvaise ambiance au sein de l’équipe, avec des réflexions à table qu’on pourrait qualifier de racistes ou humiliantes. Je ne supportais plus les conditions de travail. Je ne me sentais plus du tout à ma place. Certaines choses ont été mises en place par le Comité olympique, mais au sein même de la Fédération sportive, je n’ai pas eu le soutien que j’espérais. Je me suis sentie mise de côté et usée.» 

Charline Van Snick en 2021 à Tokyo. Copyright: Belga Image

«Ce qui m’a fait comprendre que j’étais en burn out? Je suis quelqu’un qui n’a pas eu énormément de blessures graves durant ma carrière. Et d’un coup, j’ai commencé à me mettre en danger dans mon intégrité physique avec une hernie discale qui est apparue aux cervicales. Ensuite, mon contrat avec l’ADEPS n’a été reconduit qu’à mi-temps et je me suis rendue compte que je n’aurais pas les fonds nécessaires pour continuer la préparation pour les jeux Olympiques.»

«Je me suis alors sentie désavouée, on ne croyait plus en moi. C’était en novembre dernier, je me suis dis : «Bah voilà, j’ai une hernie, ça ne va plus avec mon équipe, je n’ai plus les fonds, je suis épuisée mentalement…» Le constat s’est imposé à moi.»

Mieux considérer la santé mentale des sportifs

«J’ai pris conscience de l’existence de la dépression post-olympique quand le champion de natation Michael Phelps en a parlé pour la première fois. Là ça a fait «tilt» en moi. Les athlètes consacrent tellement à ce projet qui les dépasse. Cela demande tout leur investissement mental, physique aussi, social. Il y a beaucoup d’abnégation. Et derrière, en fait, il y a un vide immense.»

«J’ai vécu cela après Londres, après Rio, après Tokyo. Peut-être faudrait-il mettre quelque en place pour l’accompagnement. Que des stars comme Michael Phelps en parlent, c’est vraiment très intéressant. J’essaye de le faire aussi à mon à mon niveau, mais je n’ai pas l’aura médiatique.»

«Les athlètes consacrent tellement à ce projet qui les dépasse. Et derrière, en fait, il y a un vide immense.»

«La santé mentale est un vrai problème de notre société. J’ai été très soutenue par mes proches. Mais de manière générale, quand on est touché par un burn out, une dépression, un trouble de stress post-traumatique… il y a encore énormément de tabous. Beaucoup de gens ne comprennent pas et essayent d’être bienveillants. Mais c’est un peu comme demander à quelqu’un de monter un escalier alors qu’il a une jambe dans le plâtre.»

«On ne se rend pas compte de l’impact que ça peut avoir. Et ce n’est pas juste dans la tête. Il y a aussi des conséquences sur la physiologie du corps, sur les hormones, sur les neurotransmetteurs, sur la mémoire. On gagnerait à avoir une meilleure compréhension des problèmes de santé mentale, que ce soit un peu moins stigmatisé, qu’on puisse aller plus facilement chez le psy, chez le psychiatre… C’est vraiment ce que j’ai envie de partager.»

Les jeux Olympiques 2024

«C’est difficile de renoncer à ces jeux Olympiques. C’est comme un deuil. Ils ont lieu ici à côté. J’aurais bien voulu y participer, mais en même temps, je suis sortie d’un système qui est souvent néfaste.»

«Et puis, j’ai aussi un souci avec les valeurs que les JO véhiculent aujourd’hui. Les jeux Olympiques, c’est toujours beaucoup de nettoyage social. C’est une grande usine dans laquelle on est juste des pions qui participent. Je trouve également qu’on a perdu l’esprit initial de la trêve olympique. Les Russes ne peuvent pas participer. Par contre, Israël peut être présent. Quel est le sens à tout ça? Les jeux en principe sont l’occasion de faire une pause dans les conflits géopolitiques. Aujourd’hui, je ne trouve plus de cohérence.»

Sur le balcon de l’hôtel de ville de Bruxelles, en 2021, avec la délégation belge de Tokyo. Copyright: Belga

«Regarder les JO de Paris? Je ne sais pas… J’ai été invitée à aller voir les basketteuses, donc je vais aller supporter les Belgian Cats. Mais par contre, je ne pense pas que je regarderai ma catégorie. C’est trop douloureux. Je suis dégoûtée de ce sport. Je ne le pratique plus, à part pour des initiations. On me verra plutôt du côté de la Pride House, sur le village olympique. J’ai envie de m’investir pour tout ce qui est discriminations de la communauté LGBT cesse.»

Le positif dans cette aventure

«Je garde néanmoins une fierté pour tout ce que j’ai accompli. J’ai la carrière la plus médaillée de l’histoire du judo en Wallonie. Je fais partie des plus grandes sportives du pays. Et c’est cette fierté là que j’ai envie de garder.»

«J’aimerais tellement pouvoir utiliser mon nom, mon expérience, ma carrière pour faire quelque chose d’utile dans la société.»

«Aujourd’hui, mon rêve est de mettre en place des projets avec les écoles, pour faire des journées sportives, des journées olympiques, pour parler des valeurs du sport en général. Grâce à mon parcours, j’ai beaucoup de choses à transmettre, à apprendre aux enfants, afin de réussir à utiliser le sport comme vecteur d’inclusion, d’aide à la confiance en soi, de bien-être mental et physique. Pour les ados, qui sont parfois un peu perdus dans ce monde, ça peut être très riche aussi. J’aimerais tellement pouvoir utiliser mon nom, mon expérience, ma carrière pour faire quelque chose d’utile dans la société. Je pense que ça donnerait du sens à tout ça.»

Retrouvez d’autres témoignages dans notre dossier Mes JO manqués

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