Habiter et vieillir: 3 architectes partagent leurs expériences

Habitat vieux
© Getty Image

Les architectes façonnent nos villes, nos villages, nos habitations, mais aussi parfois des maisons de retraite. Mais quel scénario envisagent-ils pour eux ou leurs parents? Vincent Van Duysen, Christine Conix et Marc Corbiau se confient. «Avoir besoin de soins ne devrait jamais être ressenti comme une punition, n’est-ce pas?»

Vincent Van Duysen, 61 ans avec son projet Schelde 21

Vincent Van Duysen © PIET ALBERT GOETHALS

Dans le quartier anversois de Nieuw Zuid, il est possible depuis 2020 d’habiter dans une résidence-services conçue par Vincent Van Duysen. Avec Schelde 21, ce dernier a posé un geste architectural dans lequel il fait référence aux entrepôts qui occupaient autrefois cette zone, dans le style rationnel de l’architecte italien Giuseppe Terragni et avec les boiseries chaleureuses de Louis Kahn.

Les habitants bénéficient d’un service de conciergerie et d’une assistance médicale. En dehors de leur propre logement, ils ont accès à de vastes terrasses protégées du vent parfois vigoureux de l’Escaut, à une bibliothèque, un lieu pour jouer aux cartes ou inviter leur famille, un salon de coiffure, un restaurant et même une salle de fitness et une petite piscine. Le tout dans le style épuré et sensuel du concepteur anversois. Et il ne s’agit pas seulement d’un projet d’assistance aux seniors: toutes les tranches d’âge y sont les bienvenues, aussi bien en tant que propriétaires que comme locataires.

«Cette commande m’a offert une opportunité particulière, explique l’architecte par téléphone depuis l’étranger. Non seulement pour étudier moi-même l’idée d’habiter pendant toute la durée de la vie, mais aussi pour mes parents. J’avais visité un jour avec eux une résidence-services, mais il n’était pas question pour eux de déménager. Ils vivaient alors très heureux et en bonne santé à Lokeren.

Mais j’ai fait une petite tentative: et si je prévoyais pour eux un appartement au sein de Schelde 21 et que, à plus long terme, ils venaient s’installer près de moi, à Anvers? Avec un espace adéquat pour leurs meubles, leur collection d’art, leurs effets personnels. Exactement comme je l’avais fait pour leur habitation à Lokeren. Ainsi ils ne seraient pas du tout désorientés…

C’était surtout ma mère qui s’inquiétait par rapport à la vieillesse. Une résidence-services lui semblait être la solution la plus confortable pour tout le monde. Elle ne voulait pas être un fardeau pour les autres. Mon père, au contraire, était très réticent, même s’il était d’accord sur le principe. Il aurait suivi ma mère n’importe où.»

Lorsque sa mère est soudain tombée gravement malade, ses préoccupations quant à ses vieux jours se sont muées en grande inquiétude pour son mari. «Qui s’occuperait de lui quand elle ne serait plus là?, poursuit Vincent Van Duysen, Après son décès, mon père s’est opposé à l’idée d’une résidence-services et jusqu’à aujourd’hui, il vit toujours dans sa maison à Lokeren, où j’ai prévu un espace où loger une aide à domicile. Mon père est resté dans son environnement, près de ses amis et de sa famille, dans le quartier où il se sent en sécurité. Je prends soin de lui avec beaucoup d’affection et de dévouement. On parle tous les jours via FaceTime, où que je sois. Ça nous apporte à tous les deux de la joie et de la force. Et chaque semaine, nous passons une journée entière ensemble. L’été dernier, nous avons même élargi à toute une semaine. Une semaine à bien manger, discuter et surtout profiter d’être réunis. Mais quand j’en ai l’occasion, je lui fais part de mes préoccupations.»

L’architecte nous confie que maintenant que son paternel commence à voir ses amis déménager dans des maisons de soin, il est plus ouvert à l’idée. Si sa mobilité l’y contraignait, évidemment. «Mon père est très têtu, mais il est surtout encore très autonome pour ses 88 ans. Il continue de refuser la résidence-services (rires). Quant à des mesures de précaution comme un bouton d’appel d’urgence, une canne ou un déambulateur, il n’en est pas question non plus. Mais je ne lâche pas l’affaire. J’ai promis à maman que je m’occuperais de lui. Moi aussi je suis têtu, et en définitive aussi très rationnel.»

Se retirer un jour lui-même dans la résidence-services qu’il a conçue? «Je ne dis pas non, répond-il. Mais alors pas tout seul, plutôt avec un ami ou une amie. Même si je me vois quand même, tout comme mon père, vivre très longtemps dans ma maison. Les chiens ne font pas des chats…»

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Christine Conix, 68 ans, « des habitations les plus accessibles possibles »

Elle a fondé son propre bureau d’architectes à Wilrijk, en 1979, et en a ouvert d’autres à Anvers et Bruxelles. CONIX RDBM, dont la réputation n’est plus à faire, est né de l’acquisition de plusieurs sociétés. Actif en Belgique et à l’étranger, on lui doit la rénovation et l’extension du site de l’Atomium, tout comme la célèbre London Tower à Anvers, mais aussi plusieurs résidences-services. L’architecte est particulièrement fière des réalisations Hooge Platen à Breskens, Dijleland à Louvain ainsi que d’autres projets similaires dans cette région. Ses parents et son beau-père se sont installés dans une résidence-services.

«Je ne suis pas partisane des résidences-services qui se réduisent à des institutions de soins», s’exclame Christine Conix. Elle esquisse le contexte: «Lorsque mon père et ensuite ma mère ont dû emménager dans une résidence-services, nous avons tout mis en œuvre pour rendre leur appartement agréable. Ce n’était pas mal, mais bon… Cette expérience m’a appris que vivre ensemble tout au long de sa vie est essentiel.»

Christine Conix insiste sur le fait que les habitations, quelles qu’elles soient, doivent être le plus accessibles possible… Pas seulement pour les personnes âgées qui y vivent, mais aussi pour les invités. «Mes parents pouvaient tout à fait se déplacer en fauteuil roulant dans notre maison, mais ce n’est qu’après que nous avons mesuré l’importance de cette accessibilité, avoue l’architecte. Et cela s’est confirmé lorsque je me suis cassé la cheville et que j’ai dû m’aider de béquilles et d’un fauteuil roulant pendant des semaines. Il ne faut pas attendre d’avoir 60 ans pour envisager un établissement de soins ; on peut en avoir besoin à tout âge.»

En ce qui la concerne, elle voit l’aspect «vivre ensemble» sous la forme d’un habitat kangourou. «Mon mari et moi avons déjà pensé diviser notre maison en deux parties distinctes ; l’une, occupée par un de nos enfants ou petits-enfants, du personnel de soin ou une personne qui croiserait notre chemin, par exemple un membre de la famille d’une amie ou quelqu’un avec qui nous avons un bon feeling.

Mais nous nous heurtons alors à la législation. On n’a pas le droit de diviser si facilement que ça un appartement ou une maison unifamiliale en plusieurs unités d’habitation. Pour ce faire, on doit prouver qu’on a besoin de soins, chose absurde, parce que ce sera peut-être déjà trop tard à ce moment-là. Pour l’heure, ce n’est pas nécessaire, alors les plans sont gelés. Ce genre de projets doivent être plus flexibles. C’est un défi de taille, non seulement en ce qui concerne les concepts architecturaux qui permettent le vivre-ensemble, mais aussi pour nos autorités.»

Et cela vaut également pour les institutions de soins, souligne-t-elle. «Il faut réfléchir davantage aux fonctions mixtes. Le fait que les choses ne tournent pas seulement autour des soins, mais qu’on y trouve toutes sortes de facilités. Nous avons mené à deux reprises une recherche approfondie dans le cadre de projets de prisons. L’idée était de permettre aux détenus de mener une vie la plus normale possible, en prévoyant un lavoir et des magasins où l’interaction est possible.

Si c’est réalisable dans une prison, pourquoi pas dans une résidence-services? Pour les personnes âgées aussi, le cours habituel de la vie doit être maintenu. Pour contrer l’isolement, les lieux doivent favoriser les contacts, pense-t-elle: «Un magasin, un lavoir, une salle de fitness, un café ou un restaurant, une garderie pour enfants, et pourquoi pas un espace de coworking? Mais il doit être aménagé de manière à ce que les personnes jeunes aient envie d’y aller et ne s’y sentent pas obligées.»

Et de s’interroger: «Pourquoi les salons de coiffure dans les résidences-services sont-ils toujours agencés de façon aussi stérile et utilitaire? Maman détestait cet endroit. Alors toutes les semaines, j’allais la chercher et je l’emmenais chez notre coiffeur. Là-bas, elle profitait de la présence de personnes jeunes et âgées et papotait un peu avec toutes les clientes en buvant une tasse de café. Cela lui plaisait parce que cette sortie la ramenait à sa vie d’avant. En fait, avoir besoin de soins ne devrait jamais s’apparenter à une punition, n’est-ce pas?»

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Marc Corbiau, 80 ans « faire des maisons qui ne vieillissent pas »

L’architecte bruxellois Marc Corbiau

L’architecte bruxellois, connu pour ses projets de somptueuses villas en Belgique et à travers le monde, vit dans une maison signée par l’architecte Jacques Dupuis, à Uccle. Il l’a rénovée et complétée par de nouveaux volumes pour pouvoir à la fois y vivre et y travailler dans des espaces séparés.

Bien qu’il ait passé l’âge de la retraite, le concepteur n’a pas rangé ses crayons à mine graphite. Et il compte bien rester dans ce bâtiment qu’il a aménagé à sa mesure, pour le reste de sa vie entière. Même si au départ il n’avait pas spécialement pour plan d’en faire son logis définitif, force est de constater que tout est mis en place pour qu’il puisse continuer à y vieillir sans embarras. «Je ne savais pas que ce serait la maison de ma vie, on ne sait jamais ce que l’existence réserve. Mais en réalité, c’est parfait pour moi maintenant.

Vu que les deux entités sont totalement séparées, j’ai une paix totale chez moi. Et je ne dépense pas d’énergie inutile à prendre la voiture pour aller travailler. Il me suffit de franchir une porte et un escalier et je tombe sur ma secrétaire et mon bras droit. Que puis-je demander de plus?, s’interroge-t-il. Je ne sais pas jusque quand je resterai actif. J’ai encore rencontré une cliente hier et j’ai plusieurs projets en cours. Je ne me pose pas de questions. Ma femme est décédée et je vis avec quelqu’un. Nous avons acheté un appartement à Lisbonne et nous y allons régulièrement. Si un jour, j’arrête mon boulot, je pourrai toujours louer mes bureaux. J’ai un petit-fils architecte, je lui ai dit en rigolant qu’il pourrait venir ici, qui sait. Je ne me vois par contre pas couper le bien et en revendre la moitié.»

Ce qu’il adviendra de son paradis plus tard, il ne s’en soucie guère vraiment, dit-il… «Pour ma clientèle, je fais des maisons qui ne vieillissent pas, affirment le concepteur. Leurs enfants y habitent, puis partent, puis reviennent avec les petits-enfants. Bien souvent, la demeure reste dans la famille et ils se la réapproprient différemment au fil du temps. Mais en ce qui me concerne, je ne suis attaché à rien. J’adore cet endroit, c’est un lieu de rêve. Mais je n’en fait pas une obsession et je ne sais pas ce qu’en pensent mes enfants», conclut-il.

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