Maternité posthume: « Mon mari est mort quand j’étais enceinte de trois mois »
Longtemps tue, la maternité posthume a fait l’actualité ces derniers mois avec le combat d’une Flamande pour donner naissance au bébé de son mari décédé. Un choix conscient, mais la vie après la mort s’impose aussi sans crier gare chez d’autres mamans. Le point sur le sujet entre témoignage et avis d’expert.
Elle s’appelle Laura Verhulst alias Madam Bakster, du nom de sa pâtisserie végétale de Gand qu’elle a adopté en pseudo sur les réseaux sociaux, et à l’âge où d’autres construisent une vie avec leur moitié, elle a dû dire adieu à la sienne, Kobe. Âgé de 30 ans seulement, ce dernier est mort d’un cancer de l’estomac en décembre 2022, et sa veuve de 28 ans a alors commencé un combat contre la montre. C’est que le couple avait un projet d’enfant que la mort imminente de Kobe n’a fait que renforcer, mais en Belgique, le délai pour se faire inséminer avec le sperme de son conjoint décédé est actuellement de deux ans. En ce compris une période obligatoire de réflexion ainsi que le temps nécessaire entre les diverses inséminations s’il s’avère qu’il faut plusieurs tentatives. Et si Laura a eu la chance de pouvoir mener son projet à bien malgré ce timing serré, et s’apprête à donner naissance à l’enfant de son mari décédé, elle n’aura eu de cesse de militer pour que le délai légal soit allongé.
Avec succès: reconnaissant que la situation actuelle ne fait qu’ajouter une pression supplémentaire à des femmes déjà malmenées par la perte de l’être aimé, le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke, a mis sur la table un projet de modification de la loi, avec non plus deux mais bien dix ans pour réaliser une insémination. Un soulagement pour celles qui font le choix de la maternité posthume. Laquelle s’impose parfois aussi à des femmes qui doivent faire le deuil de leur partenaire alors même qu’elles portent la vie en elles.
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Une coquille (pas si) vide
C’est ce qui est arrivé à Françoise il y a trente ans de ça, et même si plusieurs décennies ont passé depuis, quand elle accepte notre proposition d’entretien, elle prévient d’emblée: elle n’est pas certaine de pouvoir mener l’interview à son terme, parce que le sujet reste encore difficile à aborder pour elle. Et qui pourrait la blâmer? Du jour au lendemain, elle a non seulement perdu son mari mais aussi le père de la fille qu’elle portait dans son ventre, un bébé voulu et attendu avec impatience par ceux qui étaient alors ensemble depuis près de neuf ans et avaient « très envie d’un enfant ensemble ».
Pour Françoise, la maternité posthume a donc d’abord été une sidération. « Mon mari est mort dans un accident de parapente en montagne quand j’étais enceinte de trois mois. Il avait prolongé nos vacances en France pendant que moi j’étais rentrée en Belgique pour reprendre le travail. Les amis chez qui il logeait savaient que j’étais enceinte, donc ils n’ont pas voulu me prévenir par téléphone et ils ont appelé la famille de mon mari. Tout le monde avait peur que je perde le bébé à cause du choc, donc mon beau-frère est venu chez nous alors qu’on rentrait du cinéma avec ma soeur. Quand je l’ai vu, je me suis tout de suite dit que ce n’était pas normal, et une fois qu’il m’a appris la nouvelle, il a fallu qu’il me réexplique plusieurs fois ce qui c’était passé parce que je refusais d’y croire et je ne comprenais pas de quel accident mon mari avait été victime. Quand j’ai compris, j’ai eu l’impression de me transformer en coquille vide, et c’est un sentiment qui m’a suivi pendant un bon moment ». Sauf que la coquille en question était plutôt remplie que vide, et que le bébé qui grandissait en Françoise allait l’aider à affronter l’inimaginable.
« Cet enfant, on le voulait de tout notre coeur, donc c’était une vraie chance d’avoir pu concrétiser ce souhait malgré tout. Avec le recul, je pense qu’être enceinte m’a aidée à tenir le coup: je ne pouvais pas m’effondrer parce que je portais une vie en moi, mais malgré tout, je devais faire mon deuil en parallèle. C’était très ambivalent, parce que d’un côté j’étais très heureuse d’être enceinte, mais de l’autre, j’avais la tristesse de la perte de mon mari »
Et d’affronter les premières échographies ainsi que le partage du sexe de leur bébé, une petite fille, en composant avec le regret que son mari ne soit pas à ses côtés. Sans oublier le choix du prénom, heureusement facilité par le fait qu’ils avaient déjà discuté du sujet ensemble et fait part de leurs préférences, même si aucune décision n’avait encore été prise en duo. De son accouchement, celle qui a aujourd’hui la soixantaine et est maman de deux filles, se souvient de sa chance « d’avoir été très entourée. Ma soeur avait mis sa fille au monde quatre mois avant et était là en salle d’accouchement avec ma maman, sans oublier tout le personnel soignant, qui était au courant de ma situation et extrêmement prévenant ».
Maternité posthume, entre la vie et la mort
Et si Françoise souligne que sa fille « n’a pas vécu la perte, puisqu’elle n’a pas connu son papa », elle confie que cette dernière a toutefois passé les premières années de sa vie « avec une maman en grand deuil. Plus grande, elle m’a dit avoir le souvenir de moi qui pleurais beaucoup quand elle était petite, alors que je n’avais pas eu l’impression de lui faire porter ce poids-là ».
« J’ai mis 20 ans avant de pouvoir reconnaître que j’étais en colère contre mon mari de m’avoir laissée dans cette situation. On aimait tous les deux la montagne, mais il avait choisi de rester plus longtemps sur place pour aller voler, et parce qu’il a fallu rapatrier son corps dans un cercueil plombé, je n’ai même pas pu vraiment lui dire adieu. Quand j’ai enfin accueilli cette colère, ça a été salutaire et j’ai dit à ma fille que j’enterrais son père pour de bon. Ce à quoi elle m’a répondu qu’il était temps »
Trente ans après avoir été plongée bien malgré elle dans la maternité posthume, la sexagénaire confie que l’expérience lui aura « permis de découvrir des ressources que je ne me connaissais pas. Bien sûr, j’aurais préféré que ça ne m’arrive jamais, mais j’ai été surprise de me découvrir une résilience et une capacité à faire face énormes, et ces capacités me sont restées. Cela m’a permis aussi d’apprendre à mettre les choses en perspective. Si j’ai un dossier en retard au boulot, ça ne veut pas dire que je ne stresse pas, mais je relativise, parce qu’au fond, il n’y a que la vie qui compte. Je souhaite à toutes les mamans posthumes de trouver cette force en elles aussi, et de ne pas vivre uniquement dans le souvenir ». Même si, reconnaît Françoise, « c’est une situation à laquelle il est impossible de se préparer ».
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Et l’éthique dans tout ça?
Et pourtant, en Belgique comme ailleurs, chaque année, des femmes font le choix de Madam Bakster et donnent volontairement la vie après la mort. Une pratique qui reste toutefois plutôt rare sous nos latitudes, affirme le Docteur Christian Moulart, gynécologue spécialiste des grossesses à risque et membre du comité d’éthique des Cliniques de l’Europe, à Bruxelles. Pour lui, si les deux membres du couple sont d’accord, il n’y a pas d’argument éthique à opposer à cette pratique, « parce que c’est techniquement faisable et le droit d’avoir des enfants est fondamental ». Même si, émotionnellement parlant, la situation est plus compliquée.
« Avoir un enfant d’un partenaire décédé peut consoler et diminuer le traumatisme, mais extraire la vie de la mort reste compliqué pour l’enfant qui naît et qui devra faire face aux conséquences émotionnelles de cet acte. Même si, en règle générale, les enfants ont bien plus de ressources qu’on ne le pense, et si une situation, aussi terrible soit-elle, leur est bien expliquée, ils peuvent l’accepter »
Dr Christian Moulart
Plus complexe: la réalisation de ce projet d’enfant pas (tout à fait) comme les autres. Car si, dans le cas d’une maternité posthume voulue, la loi belge n’émet qu’une condition temporelle, et pas d’opposition, dans les faits « l’éthique est subjective, et la couleur progressiste ou religieuse de chaque hôpital va jouer » pointe celui pour qui « la force et la faiblesse de la Belgique, c’est que c’est un pays surréaliste, et en matière de FIV, chacun fait sa popote. On est dans un pays où l’éthique est très variable, et en fonction du pilier catholique où libéral qui régit tel ou tel hôpital, les gens savent qu’ils ont plus ou moins de chance d’obtenir certains traitements ».
« La maternité posthume reste rare en Belgique, d’autant que la plupart des cas sont passés sous silence parce que la famille ne va pas le crier sur tous les toits, et les médecins non plus puisqu’il ne s’agit pas d’une prouesse scientifique » explique encore Christian Moulart, pour qui cette omerta a une conséquence regrettable: « on part du principe que c’est un phénomène isolé, donc il n’y a pas de marche à suivre globale, et chaque praticien fait comme il l’entend ».
Tout sauf une relique
Si, pour sa part, Françoise comprend que certaines femmes puissent faire le choix de la maternité posthume « dans le choc de la mort, qui dit que six mois plus tard, elles réfléchiront encore comme ça? Quand on est en deuil, cela semble impensable, et pourtant, la vie finit toujours par reprendre son cours et on réalise qu’on peut continuer à vivre même sans enfant de la personne qu’on aimait. En sachant ce que j’ai vécu et à quel point ça a été difficile, je ne sais pas si j’aurais fait ce choix, mais je peux tout à fait comprendre que d’autres le fassent ». Et de souligner que « quand on est veuf jeune, on ne fait pas seulement le deuil d’une personne mais de tous les projets qu’on avait ensemble et toute une vie projetée ». Même si la situation est loin d’être entièrement négative pour autant.
Au contraire, même: « l’enfant n’est pas un rappel de ce qu’on a perdu, parce que comme chaque enfant, il a en lui une partie de chacun de ses parents, mais est avant tout sa propre personne. Il ne faut surtout pas voir cet enfant comme une relique de l’être qu’on a perdu: ma fille est extraordinaire parce que c’est sa fille, mais aussi et surtout parce qu’elle est elle-même, tout comme sa cadette, d’ailleurs ».
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