Mon nouveau moi: rencontre avec des femmes et des hommes qui ont changé du tout au tout
Un événement important peut déclencher l’envie d’adopter un style vestimentaire différent. Quatre personnes nous racontent comment elles ont opté pour une autre garde-robe, parfois malgré elles.
Typhanie Afschrift, une véritable renaissance
Le 7 juillet 2022, Typhanie Afschrift disait adieu à Thierry. L’avocate fiscaliste sexagénaire a changé de genre après une transition qui a tout d’une renaissance.
«Avant, je n’attachais aucune importance à la façon dont je m’habillais. Je m’en fichais, je le faisais juste pour répondre aux conventions, à ce que l’on attend d’un avocat. Je portais des vestes, des pantalons, j’avais juste banni la cravate, depuis plusieurs années, je trouvais l’accessoire trop masculin. Ma tenue, je l’appelais mon déguisement d’homme. Je ne faisais rien pour féminiser mon apparence, je n’aurais pas envisagé de m’habiller en rouge ou rose, parce que cela n’allait pas, de toute façon, dans mon métier, les hommes ont très peu de choix: du gris, du noir, peut-être quelques lignes, des petits carreaux… Mais je souffrais de devoir me déguiser.
La première fois que j’ai porté un vêtement de femme en rue, c’était il y a six ans, à Lausanne. Je me suis promenée en leggings noirs, avec une veste, une jupe plissée noire au-dessus du genoux et un chemisier blanc. Je ne voulais pas en faire trop, c’était un premier essai. J’étais heureuse, je me sentais moi-même. Même si j’étais inquiète du regard des gens, mais cela n’avait pas l’air de les déranger. J’ai même été rassurée par quelque chose que je n’approuverais plus aujourd’hui parce que c’est du harcèlement, je me suis fait siffler…
Ma transition s’est officiellement terminée le 7 juillet 2022. Elle avait débuté en 2015 mais en 2018, j’étais prête, mentalement, psychiquement, physiquement, je considérais que j’étais montrable professionnellement. Pendant longtemps, j’ai eu deux garde-robes, une en tant que femme en Suisse où je travaille la moitié de la semaine et une en tant qu’homme en Belgique. Il y a six mois, j’ai changé mon dressing à 100%. J’ai rasé ma barbe, cela a été une libération. Et j’ai fait cadeau de mes costumes à ma fille qui les vend sur Vinted.
Je veux m’affirmer. Je choisis des tenues clairement féminines et qui correspondent à mon métier: je suis en robe ou en tailleur, jamais de tailleur-pantalon, mais cela viendra peut-être un jour. Je veux aussi afficher de la couleur: pas question de me limiter ni de me cantonner à des teintes tristes, je préfère la gaieté, le rose, le rouge, l’orange ou alors le noir et blanc. Je réfléchis toujours à ce que je vais porter, en fonction de mon agenda: si je donne une conférence, je mets des couleurs vives… C’est l’un des avantages d’être une femme dans certains milieux: je suis souvent la seule parmi les conférenciers et si je porte du rouge, on ne voit que moi!
L’accueil a été plus favorable que ce que j’imaginais, jamais je ne me suis sentie victime d’une discrimination quelconque. Mes enfants ont accepté ma transition, j’ai l’impression que les jeunes sont plus ouverts sur les questions de la différence que nous ne l’étions nous-mêmes. Ma fille est adulte, pour elle, la question ne se posait pas. Le petit dernier va avoir 15 ans. En accord avec mon épouse, nous avons attendu qu’il arrive à un âge où cela l’affecte moins fort.
Je n’ai jamais été aussi heureuse de ma vie, je ne l’avais jamais dit avant. Il n’y aura pas de retour en arrière, jamais.»
Ruth Van Soom, « je ne reconnais pas la femme que je vois dans le miroir »
Après une chimiothérapie pour un cancer du sein, l’influenceuse Ruth Van Soom (37 ans) a pris 12 kilos et deux tailles de pantalon.
«Je n’apprécie pas ce terme, mais j’étais influenceuse avant que ce métier n’existe. J’aime les vêtements depuis que j’ai 6 ans et j’appartiens à la génération qui tenait un blog de mode. J’ai grandi, mais j’ai continué sur cette voie quand j’ai cofondé le magazine en ligne Enfnts Terribles.
Jusqu’à il y a deux ans, j’adorais poster mes tenues sur Instagram. J’avais hâte d’aller à un événement et de porter quelque chose de sympa, de laisser s’exprimer ma créativité et de partager le résultat avec mes abonnés. Aujourd’hui, l’idée même d’être prise en photo me déprime.
Il y a deux ans, on m’a diagnostiqué un cancer du sein. Un cancer hormonodépendant à division rapide qui nécessitait deux types de chimiothérapie, l’une lourde et l’autre plus légère. Comme la chimio affecte la fertilité, j’ai d’abord fait congeler mes ovocytes. Avec la chimio lourde, j’ai perdu mes cheveux, mes cils et mes sourcils, et mon corps a été soumis à une ménopause artificielle, mais mon poids est resté stable. Ce n’est qu’après avoir commencé la chimio plus légère que mon corps a commencé à changer. Je l’ai d’abord remarqué dans mes poignets et mes bras, qui ont gonflé. J’ai pris un kilo par traitement. Après 12 semaines, je pesais 12 kilos de plus.
En quelques mois, j’avais perdu mes cheveux, ma fertilité et mon poids idéal, à peu près tout ce qui définit la féminité. Et le pire, c’est que cette prise de poids ne fait pas partie des effets secondaires connus de ce type de chimio. Les médecins n’ont pas cherché plus loin et m’ont dit que c’était une «une réaction allergique».
Cela fait maintenant un an et demi que j’ai subi la dernière chimio, mais mon poids ne change pas et l’eau ne s’en va pas. J’ai tout essayé: le drainage lymphatique, la fasciathérapie, l’acupuncture, les diurétiques, une alimentation super saine et beaucoup d’exercice. Rien n’y fait, même si j’ai trouvé beaucoup de soutien et de compréhension dans cette communauté alternative. Mes cheveux ont également changé après la chimio. Avant, ils étaient blonds et raides, et aujourd’hui j’ai des boucles brunes. C’est chouette, mais tous ces changements font que je ne reconnais pas la femme que je vois dans le miroir.
J’ai toujours porté des hauts oversize, mais pour les pantalons, je faisais une taille 36 ou 38, et aujourd’hui, je mets du 42. J’ai donc dû acheter des nouveaux vêtements. Bien sûr, je sais que je ne suis pas obèse, et je suis heureuse d’être en vie, évidemment, mais mon image corporelle a beaucoup changé en peu de temps. C’est un enfer et je refuse d’accepter que ce soit mon nouveau moi. L’autre jour, j’ai dit à mon psychologue que je ne porte actuellement que des vêtements noirs parce que je suis en deuil. Je me sens comme une grosse chenille noire, dans son cocon, en deuil.»
Wilfried Eetezonne, une parodie absurde du vestiaire masculin
Wilfried Eetezonne a décidé de parodier le code vestimentaire hétéronormatif de manière colorée après une agression sur une personne transgenre.
«J’ai toujours été un peu décalé d’un point de vue vestimentaire, mais moins que maintenant. En semaine, je portais un jeans et une chemise, certes plus colorés que les traditionnels vêtements bleus et gris ternes prescrits par la mode masculine classique. Mon travail m’amène souvent à assister à des premières et à des spectacles. J’aime porter un costume et une cravate pour ces occasions.
Il y a quelques années, une personne transgenre a été victime d’une agression dans la rue. L’incident a été largement rapporté dans les médias et des voix se sont élevées pour blâmer la victime. «Qu’est-ce que tu cherches quand tu te promènes comme ça?» Ces messages de haine m’ont frappé, d’autant plus qu’ils provenaient souvent de personnalités publiques, censées montrer l’exemple. J’ai été étonné de constater que les vêtements pouvaient encore provoquer des réactions aussi vives alors qu’il ne s’agit essentiellement que de bouts de tissu.
Peu de temps après, une marque a lancé une collection de lingerie pour hommes, ce qui a encore fait grand bruit. J’ai à nouveau pu lire des commentaires sur Internet du genre «nous devons défendre nos valeurs masculines». Je me suis alors demandé quelles étaient exactement ces valeurs et ce que signifiait s’habiller en «homme». J’ai donc décidé de transformer la tenue la plus masculine qui soit — le costume — en une pièce absurde, comme ma parodie personnelle de l’uniforme masculin hétéronormatif. Aujourd’hui, si vous me croisez dans la rue, je suis généralement en costume trois pièces, avec un nœud papillon. Selon mon état d’esprit du matin, je porte des seins, un chapeau melon ou une casquette pour aller avec. En été, j’opte aussi souvent pour un éventail et, si j’en ai envie, un maquillage discret. J’espère qu’en ajoutant un peu de théâtre à ce monde, il deviendra un peu moins gris. C’est ma façon à moi de protester: au mieux, cela rend les gens heureux et je peux les faire réfléchir pendant un moment.
J’ai la chance de pouvoir évoluer dans des environnements sûrs la plupart du temps. Mon entourage est tellement habitué à mon style que si je porte à nouveau des jeans, il pensera que je suis malade. Mais dans la rue, je reçois toujours des regards furieux ou des insultes. La société est toujours victime de la «normalité» qu’elle s’impose. Mais qu’est-ce qui est normal? Un six-pack ciselé pour les hommes et des fesses parfaites pour les femmes? Nous savons que ce genre d’idéaux nous rend malheureux et pourtant nous continuons à les poursuivre. Faire une taille en plus, avoir une cicatrice ou un style fluide n’a rien de problématique. La normalité est un phénomène subjectif. Ce ne serait pas génial si nous pouvions tous porter ce dont nous avons envie sans recevoir de jugement? Je n’ai pas de plate-forme comme Harry Styles ou Sam Smith, mais je crois que toute forme d’audace d’être soi-même — aussi petite ou personnelle soit-elle — peut contribuer à donner corps à cette réalité.»
Axel Leemans, pris de vintage fever
A son arrivée à l’université, Axel Leemans (19 ans) a troqué le combo jeans et pull pour des chemises colorées et des pantalons amples dénichés dans des boutiques vintage.
«J’ai grandi en Campine entre mes parents divorcés. Au début de mon adolescence, j’ai donc régulièrement changé d’adresse, d’école et de cercle d’amis, mais les vêtements que je portais restaient pratiquement les mêmes. A l’époque, je faisais surtout du shopping avec mon père, qui lui-même portait généralement un jeans et une chemise. Avec lui, faire les boutiques se résumait littéralement à entrer et sortir d’un magasin. Souvent, nous n’essayions même pas les habits et nous les emportions simplement avec nous, mais comme il payait, ça m’allait.
Durant mes dernières années d’études secondaires, j’avais la même dégaine que la plupart des autres garçons de ma classe. Jeans slim, pulls à col ras du cou, qui, à l’exception du logo, se ressemblaient tous, et sneakers. Je pensais alors que la mode était surtout réservée aux filles. Je me contentais d’enfiler ce que je trouvais au-dessus de la pile le matin. Je n’avais jamais réfléchi à ce que signifiait «avoir son propre style».
Tout a changé lorsque j’ai commencé mes études de journalisme à Anvers. En flânant le long du Meir, j’ai découvert un tout nouvel univers de styles et de tenues. Le contraste était saisissant avec Turnhout, d’où je venais, où la population est un peu plus âgée et plus conservatrice et où tout le monde se ressemble. En cours, j’ai également rencontré des personnes venant des quatre coins du pays. Elles étaient toutes intéressées par la mode et j’ai peu à peu commencé à comprendre qu’un style vestimentaire peut aussi être une forme d’expression personnelle.
A peu près au même moment, mes goûts musicaux ont changé. J’ai redécouvert le rock psychédélique des années 60 que mon père appréciait tant. Lorsque ma petite amie de l’époque m’a emmené pour la première fois dans un magasin de seconde main, j’y ai soudainement reconnu les vêtements de mes idoles, comme Syd Barrett. Les pantalons larges et les chemises colorées à grand col des années 60 et 70 m’ont immédiatement captivé. Aujourd’hui, j’achète presque tout d’occasion. J’adore chercher des pièces uniques et c’est tellement bon marché qu’un salaire d’étudiant suffit pour se refaire toute une garde-robe.
Je me sens beaucoup plus libre depuis que j’étudie à la haute école. Je vais en cours quand je veux et je porte ce que je veux. Les vêtements ennuyeux que je mettais il y a deux ans appartiennent définitivement au passé. Récemment, j’ai même commencé à me vernir les ongles. Tout le monde me soutient dans cette évolution, sauf mon père. Hier encore, il m’a dit: «Regarde ce que tu deviens!» Heureusement, je ne me soucie pas de son avis. Surtout maintenant que je sais qu’il se rebellait aussi contre son éducation stricte. Véritable punk, il avait peint des graffitis sur ses bottes en cuir. On peut donc dire que j’ai hérité de ses gènes de rebelle.»
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