La santé mentale, défi principal de 2021?
Si le premier confinement avait suscité son lot de nouveautés, la deuxième vague de coronavirus se révèle particulièrement épuisante pour notre moral. Anxiété, déprime et profonde lassitude touchent désormais la majorité des Belges. La santé mentale semble bien la perdante oubliée de cette année.
Au cours de ce mois de mars 2020, qui d’entre nous ne s’est pas laissé tenter par un e-apéro? Sur toutes les plates-formes, les événements virtuels se sont multipliés pour tenter de garder un lien malgré le lockdown. Aussi étonnant que cela puisse paraître, ces rassemblements numériques avaient presque un je-ne-sais-quoi de festif, où chacun trinquait joyeusement face à son écran. Nous n’avions toutefois pas encore conscience que la situation allait perdurer bien au-delà de l’été. « Je n’avais jamais observé une telle chose en trente ans de carrière, s’exclame Benoit Gillain, psychiatre et chef du service de psychiatrie de la Clinique Saint-Pierre à Ottignies. Lors de cette vague, nous avons vu beaucoup moins de malades qu’à notre habitude. Tous mes patients avérés allaient mieux. Pour eux, ce confinement revenait à ce que le monde entier partage ce qu’ils étaient en train de vivre de manière isolée », commente-t-il.
Comme ces derniers, Océane, 25 ans, a relativement bien vécu cette première vague de coronavirus: « Par nature, je suis quelqu’un d’assez solitaire et je vis très bien ma seule compagnie. Et c’est vrai que le beau temps et l’ambiance inhabituelle qui régnait en cette période rendaient tout cela plus supportable. C’était aussi le moment idéal pour apprendre à se recentrer sur soi et, dans un premier temps, c’était assez agréable », avoue la jeune femme.
Pourtant, plusieurs mois après le premier pic de l’épidémie de Covid-19, les professionnels de la santé s’inquiètent des répercussions moins visibles de la crise sanitaire, à savoir ses conséquences sur notre psychisme. Une pandémie qui perdure et une lassitude renforcée par une impression de retour à la case départ: il n’en fallait pas plus pour que le mental et le moral de l’ensemble de la société ne commencent à sérieusement fléchir.
Une génération sacrifiée
Au début de l’automne, une enquête menée par Sciensano avait démontré l’augmentation des troubles anxieux et dépressifs, touchant respectivement 18% et 15% de la population adulte belge suite à la crise. Au regard des derniers chiffres, les jeunes entre 18 et 24 ans constituent l’une des tranches d’âge les plus mises à mal. « J’ai un peu l’impression de passer à côté de ma jeunesse », confie Théo, 20 ans. Comme pour beaucoup de jeunes adultes, la situation s’avère particulièrement éprouvante pour l’étudiant en sciences politiques: « Nous nous sommes habitués à rester enfermés alors que nos belles années, nous devrions surtout les passer dehors avec nos amis, regrette-t-il. Il y a aussi le stress lié au cours et aux études en général, c’est beaucoup plus difficile de les suivre de loin… » Marina Blanchart, psychothérapeute, évoque également les répercussions de l’enseignement à distance sur le moral des étudiants, « même si les écrans les mettent en relation, ce sont des relations virtuelles. Et il a été démontré qu’elles renforcent encore plus le sentiment d’isolement. Comme ils n’ont plus aucun autre contact qui les nourrit, cela peut être extrêmement compliqué pour eux », analyse la spécialiste.
Tout comme ces jeunes, d’autres franges de la population prennent de plein fouet ce second confinement, à l’instar des seniors, des gens isolés, et plus largement de toutes les personnes fragilisées d’une manière ou d’une autre. Mais alors que nous avons désormais tous fait l’expérience d’une certaine forme d’isolement, la majorité d’entre nous éprouvons toujours des difficultés à comprendre ses répercussions sur notre équilibre. Quand certains se lancent à coeur perdu dans le travail, d’autres développent des troubles du comportement pour fuir une situation anxiogène. « La crise est un contexte pathogène qui va créer des problématiques dans un terrain qui était déjà propice à les développer, ou qui va renforcer une problématique déjà présente », explique Marina Blanchart (lire encadré).
Des peurs nouvelles
Pire: la pandémie mondiale, qui pouvait sembler passagère au printemps, oblige à présent la population à puiser dans des ressources mentales déjà bien entamées. « Avec le reconfinement, nous avons perdu cette excitation de la première vague, précise le docteur Gillain. Toute une série de patients qui, au début, disaient aller mieux, ont commencé à décompenser. » De plus, les élans de solidarité qui s’étaient largement manifestés en mars se sont eux aussi mis à décliner… « L’effort collectif était très valorisé lors du premier confinement, alors que le deuxième a plutôt mis en lumière la souffrance personnelle, indique Pierre Oswald, psychiatre et directeur médical du Centre hospitalier Jean Titeca, à Schaerbeek. Toutes ces pathologies de l’anxiété et de la dépression démontrent une souffrance individuelle qui a considérablement augmenté auprès de la majorité de la population », déplore-t-il.
Océane en a, elle aussi, fait la douloureuse expérience. « J’ai décidé de profiter de l’isolement pour exercer une activité complémentaire, tout en conservant mon travail initial à temps plein », raconte-t-elle. Si la jeune femme est, dans un premier temps, particulièrement fière et heureuse d’atteindre ses nouveaux objectifs, le revers de la médaille ne tarde pas à se dessiner. « J’avais développé le besoin maladif de tout contrôler. Une journée où je jugeais ne pas avoir assez bossé me rendait littéralement malade. Il m’arrivait parfois de fondre en larmes sans aucune raison ou même de faire des cauchemars la nuit. Je n’avais plus goût à rien, uniquement au travail car cela me donnait un objectif pour tenir la journée… mais cela me rendait encore plus stressée », confie-t-elle.
La société a encore du mal à accepter qu’à l’instar d’une jambe cassée, un épisode dépressif nécessite une prise en charge médicale.
Comme de nombreuses personnes qui n’étaient jusque-là jamais allées consulter un psychologue ou un psychiatre, la jeune femme s’est trouvée démunie face à un phénomène qu’elle ne comprenait pas. D’autant que la société a encore du mal à accepter qu’à l’instar d’une jambe cassée, un épisode dépressif nécessite une prise en charge médicale. Marina Blanchart attire également l’attention sur des problématiques qu’elle n’avait encore jamais rencontrées auparavant. « Une patiente m’a récemment confié sa peur du retrait du masque lorsqu’il sera autorisé. Elle se dit être à l’aise avec celui-ci et craint de devoir à nouveau montrer son visage… Les dispositions prises pour enrayer la propagation du virus suscitent de nouvelles craintes que nous n’avions absolument pas anticipées », déplore l’experte.
Des préjugés bien ancrés
Les conséquences de cette année 2020 hors normes sur notre psychisme sont donc indéniables. C’est pourquoi, d’aucuns insistent désormais pour que la santé mentale soit davantage, et largement, prise en compte dans cette crise sanitaire sans précédent. Certains suggèrent même que des spécialistes des sciences sociales – psychologues, sociologues… – soient consultés, au même titre que les virologues, par les instances décisionnelles. Encore faut-il s’entendre sur le terme complexe de « santé mentale ». Nombre d’experts s’accordent pour dire qu’il n’en existe pas une seule définition. Quant aux troubles qui y sont associés, le docteur Oswald les décrit comme « une douleur interne, qu’on a du mal à localiser, mais on sait que quelque chose ne tourne pas rond. C’est une souffrance subjective, difficilement nommée mais qui existe. »
Si les troubles mentaux sont si peu pris en considération, c’est donc d’abord parce qu’ils suscitent beaucoup de peurs et d’inquiétudes face à l’inconnu. Ils sont d’ailleurs encore fréquemment utilisés sur le ton de l’insulte ou de la moquerie dans le langage quotidien: « T’es complètement schizo, arrête d’être parano… » Dans l’inconscient collectif, les malades dits mentaux sont très souvent exclus de la société. L’imagerie véhiculée par la culture populaire, et le cinéma notamment, continue à dépeindre les gens atteints de tels troubles comme potentiellement dangereux. Pensez au film Vol au-dessus d’un nid de coucou, ou plus récemment, à Shutter Island qui exploitent tous deux cette idée du déséquilibré retenu par une camisole de force. « Cela ne reflète évidemment pas la réalité, ponctue Pierre Oswald. Pourtant, il y a toujours une stigmatisation et une mise à l’écart des malades mentaux qui demeurent très importantes. Des comportements surtout guidés par la peur, car il est difficile de comprendre quelque chose qu’on ne voit pas. »
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Une opportunité à saisir
Ecrit en chinois, le mot « crise » se compose de deux caractères: l’un représentant le danger et l’autre l’occasion à saisir, l’opportunité. Dans notre société occidentale où prime la course au temps et à la performance, il est presque devenu malvenu de se plaindre. Nous nous refusons le droit d’être triste ou d’aller mal. Après, on se persuade que si on déprime, c’est aussi parce que nous le voulons bien. Que c’est un peu de notre faute, finalement.
Mais si nous nous trompions complètement de cible? Plutôt que de nous flageller, si nous apprenions à mieux nous écouter? D’autant que la troisième vague de coronavirus pourrait être psychiatrique… « J’ai très peur pour les prochains trimestres, confie le docteur Gillain. Le pire est à venir, et il commence déjà à apparaître. » Marina Blanchart pointe également « cette obsession de protéger la santé physique, au détriment de la santé mentale du reste de la société, et cette peur de la mort obsessionnelle. On nous empêche de vivre pour ne pas qu’on meure… »
Il semblerait toutefois que les conséquences de la crise aient poussé certains patients à adopter des changements positifs. Selon Marina Blanchart, « le contexte actuel est propice à déclencher une remise en question. Cette crise est en quelque sorte le déclencheur qui les amène, malgré un passage par un trouble mental plus ou moins important, à mettre en place les éléments nécessaires pour les conduire vers un mieux », assure la psychothérapeute. Si nous ne pouvons changer toutes les situations, nous pouvons choisir la façon dont nous y faisons face. Et c’est peut-être à partir de là que la réflexion doit se faire.
D’après Pierre Oswald, les événements de cette année auront au moins permis un progrès, à poursuivre: « Avant cela, il était très difficile de se parler entre médecin psychiatre et médecin non-psychiatre. Mais ici, dans notre établissement, nous avons été obligés de travailler ensemble et cela a porté ses fruits. Si on peut aussi tirer la leçon qu’une médecine davantage intégrative et pluridisciplinaire permet vraiment d’améliorer le pronostic des gens, alors cette crise sanitaire aura servi à quelque chose », conclut-il.
Les troubles anxieux
Ils regroupent divers troubles en lien avec une anxiété excessive et difficile à gérer, qui se manifestent de façon variable. Il peut s’agir d’attaques ou de crises de panique aiguës, de phobies… Ils font partie des troubles mentaux les plus fréquents. L’isolement social, la crainte de la contagion et la perte de revenus ont considérablement aggravé l’anxiété des Belges en général.
Le trouble dépressif
Touchant près d’une personne sur quatre, il est caractérisé par une tristesse et une angoisse quasi permanentes, une perte de plaisir et d’estime de soi, des idées suicidaires, une grande fatigue et des troubles du sommeil.
Les troubles obsessionnels compulsifs
Les personnes qui en souffrent sont confrontées à des pensées préoccupantes qui reviennent sans cesse. Pour les chasser, elles sont contraintes de se livrer à des rituels particuliers. Parmi les TOC les plus répandus figure la crainte des germes et de la saleté. La crise sanitaire n’a fait qu’exacerber les compulsions des personnes déjà touchées.
Les troubles addictifs
Les troubles addictifs sont liés à la consommation de substances entraînant une dépendance, telles que l’alcool, le tabac ou les drogues. Ces substances modifient notre fonctionnement mental. Elles sollicitent de manière excessive le circuit de récompense dans notre cerveau, celui qui produit la sensation de plaisir.
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