Psycho : Le Land Art, la nature comme thérapie et inspiration créatrice
Empiler des cailloux sur une plage, aligner des fougères dans un sous-bois, planter des bâtons dans une clairière… Une activité créative, qui peut aider à mieux se sentir dans sa peau.
Alors qu’il étudie au Japon, Alain Dikann, ingénieur en biotechnologie de formation, découvre le mouvement Gutaï, né au milieu du XXe siècle et qui consiste à imaginer des oeuvres in situ au cours d’une performance, les artistes n’hésitant pas à payer de leur personne pour réaliser des fresques sur une toile posée par terre à l’aide de leur corps…
En parallèle, le Français s’intéresse au land art, cette tendance contemporaine venue de l’Amérique des sixties et qui propose de créer des installations éphémères sur la base de ce que la nature dépose, sur un site déterminé – cailloux, feuilles, branchages…
De retour chez lui, en Bretagne, le plasticien et art-thérapeute entrevoit le potentiel des côtes atlantiques et de tout ce que charrie l’océan et poursuit ses recherches entamées en terres nipponnes.
S’il prend plaisir à se retrouver sur la plage, avec des potes, pour agencer des galets et réaliser des totems, il découvre également le côté prometteur de la discipline pour les personnes qu’il accompagne dans le cadre de ses » médiations plastiques « .
Aujourd’hui devenu expert en land art-thérapie, il livre un bouquin, aux éditions Jouvence (*). Rencontre.
Comment en êtes-vous venu à utiliser le land art dans votre travail de thérapeute ?
Je travaille beaucoup dans l’accompagnement d’ados à problèmes et de détenus en phase de réinsertion. J’ai découvert que, pour ce public qui subit un enfermement, qu’il soit symbolique ou réel, le land art leur redonne un sentiment de liberté en lui permettant de se reconnecter à la nature. D’autant que j’ai la chance d’habiter dans une région où les criques, le sable, la mer, offrent de réelles opportunités de s’inspirer. Même les patients atteints de graves maladies psychologiques, pour autant qu’ils puissent se déplacer, peuvent tirer un bénéfice de cette pratique. Et ce parce que l’être humain fait partie intégrante de la nature.
Comment procédez-vous ?
Dans un premier temps, on prépare le terrain avec le groupe en délimitant l’espace de l’atelier… Puis vient le temps de la cueillette, c’est-à-dire de la récolte de ce qui va nous permettre ensuite de travailler. Enfin, on passe à la phase de création. Parfois, je laisse les gens partir dans la direction qu’ils désirent mais il m’arrive aussi de donner des consignes. Par exemple, sur une plage, à marée basse, je pourrais proposer à mes patients de s’allonger par terre dans une position de leur choix, puis de se faire détourer la silhouette par un autre participant. Ensuite, chacun se réappropriera ce corps dessiné, en le creusant ou en le surélevant, et en le remplissant de tout ce qu’il trouvera sur place : bois flotté, algues, coquillages…
On imagine qu’il y a ensuite un débriefing…
Oui, le temps de parole est très important. Chacun exprime son ressenti et je prends des photos qui pourront par après être utilisées dans un atelier plus classique.
Le fait que les oeuvres sont éphémères n’est-il pas frustrant ?
C’est justement ce qui est intéressant d’un point de vue thérapeutique. L’idée n’est pas de s’acharner à créer un chef-d’oeuvre mais de profiter à fond du processus créatif. Ce qui permet de faire émerger des émotions. Le bois, par exemple, pourrait rappeler l’enfance, via ses odeurs ; la plage évoquera les jeux sur le sable quand on était petit…
Et avec les enfants, la land art-thérapie fonctionne bien ?
C’est le public idéal car ils sont tout de suite dans le jeu et ne se soucient pas de savoir si leur réalisation va persister. Parfois, nous restons même jusqu’à ce que la marée monte pour voir l’oeuvre engloutie. Cela permet de parler du cycle de la vie.
Est-ce que cette discipline peut aussi apporter quelque chose aux gens, en dehors de toute pathologie ?
Très certainement. Il est prouvé que se promener en plein air permet de se sentir bien. Créer, c’est encore mieux car on est confronté plus directement à la nature, alors que notre monde actuel nous en déconnecte complètement.
Par ailleurs, le land art développe des capacités d’invention qu’on a en soi mais qu’on n’a pas l’habitude d’aller chercher. Je pense d’ailleurs que cette technique devrait être utilisée régulièrement dans les écoles car nous sommes à une époque où il est très important de prendre soin de soi, des autres et de la planète.
(*) La land art-thérapie, c’est parti !, par Alain Dikann, éditions Jouvence.
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