Qui sont les aromantiques, ces femmes et ces hommes qui ne tombent pas amoureux
Elevées au rang d’idéal dans le monde occidental, les relations romantiques ne font pourtant pas rêver tout le monde. Pour les aromantiques, qui ne ressentent pas ou peu de sentiments amoureux, elles sont même une sorte d’aberration.
«Quand tu tapes le mot dans Google, la première définition d’aromantiques qui est donnée est celle d’une personne qui connaît peu ou pas d’attirance romantique pour les autres. Ce qui n’est pas très clair puisque la définition de l’attirance romantique varie selon chacun», pointe Tatiana dans un long article consacré au sujet sur son blog, Idées à Lire. Et la jeune femme, qui se revendique aromantique et asexuelle, de clarifier dans la foulée: «En gros, ça veut dire que je ne tombe pas amoureuse, je n’ai pas de crush et je n’ai jamais eu envie de me mettre en couple avec qui que ce soit.» Un ressenti qui concernerait 1% de la population d’après la sexologue clinicienne suisse Romy Siegrist, qui le définit comme «l’absence ou la présence réduite de sentiments amoureux envers d’autres personnes». Une notion qui n’implique toutefois pas de ne pas ressentir d’amour.
Les personnes aromantiques peuvent très bien aimer leurs amis, les membres de leur famille, et leurs partenaires sexuels ou de vie si elles en ont. Elles peuvent ressentir des sentiments positifs à l’égard des personnes avec qui elles relationnent, mais elles ne ressentent pas d’élan amoureux» décrypte la Suissesse.
Mais cette absence n’est pas toujours simple à identifier. Ainsi que le souligne la psychologue Emily Blake, «ce concept est rarement abordé dans notre culture, ce qui rend son identification difficile par les individus, qui peuvent passer une bonne partie de leur vie à se sentir différents sans en identifier la raison». Mais comment comprendre cet état de fait, dans un monde où la romance et le coup de foudre sont omniprésents et imprègnent chaque aspect de la pop culture, qu’il s’agisse des films, des chansons ou des livres?
Lire aussi: « Vieilles filles », elles témoignent de leur quotidien solitaire mais pas esseulé
Les aromantiques savent, c’est tout
Soulignant qu’il existe une multitude de critères, Infor Jeunes résume que «les personnes aromantiques ne ressentent pas de sentiments amoureux, peu importe leur genre ou leur orientation sexuelle» et liste notamment le fait d’être aussi heureux en couple que célibataire, d’être mal à l’aise face aux manifestations physiques et émotionnelles d’affection ou encore de s’engager dans des relations amoureuses sans sentiments, uniquement par attirance physique ou par peur de la solitude.
Et Tatiana de souligner l’aspect délicat de la question: «C’est un peu comme de demander à un hétéro comment il a su qu’il l’était. On sait, c’est tout.» Quant à comprendre comment on le devient, Romy Siegrist refuse d’avancer la moindre théorie, parce que si on répond à la question, «ça équivaut à pathologiser cette orientation».
On ne va jamais demander à quelqu’un comment il est devenu romantique. Nos expériences, nos rencontres, notre éducation et plein d’autres choses encore influencent notre manière d’appréhender nos rapports à l’autre» Romy Siegrist.
Et il s’agit d’ailleurs de la considérer comme quelque chose de fluide plutôt que comme un état figé.
Vous pouvez modifier vos choix à tout moment en cliquant sur « Paramètres des cookies » en bas du site.
«Comme pour l’asexualité, l’aromantisme est pensé comme un spectre, qui contient toutes les personnes qui sont aromantiques et dans la zone grise, soit qui peuvent éprouver de l’attirance romantique très rarement ou sous certaines conditions précises», nuance l’Association pour la visibilité asexuelle. Qui dénonce l’amatonormativité, soit notre tendance à «privilégier les relations romantiques comme fondamentales et naturelles, en les établissant comme hiérarchiquement supérieures aux autres formes de relations».
En partant du principe que tous les êtres humains sont universellement à la recherche d’amour ou de romance, en particulier par la voie d’une relation monogame de long terme, sans laquelle il est impossible de trouver bonheur et épanouissement, ces personnes entendent souvent que leur orientation romantique est une anomalie qu’il faut corriger, au risque de ne pas pouvoir trouver le bonheur».
Et de mettre en garde contre la «déshumanisation» que ces individus peuvent ressentir, ces derniers étant alors considérés «à tort comme ayant des problèmes de maturité et d’intimité, des gens avec des cœurs de pierre qui n’ont pas la possibilité de s’épanouir et d’être heureux». Si Tatiana confie être beaucoup plus à l’aise aujourd’hui, après une période de déni qui l’a vue vouloir «comprendre à tout prix ce truc incroyable qu’on appelle l’amour», elle garde son orientation romantique pour elle, et y voit une des conditions qui l’aident à bien la vivre. «Ça permet d’éviter des remarques un peu débiles», avoue-t-elle.
S’affranchir des normes (et des étiquettes)
Pour la sexologue Valérie L’Heureux, éviter de se revendiquer à tout prix peut aussi permettre de ne pas se limiter. «C’est un concept qui peut être très enfermant. Dans un premier temps, il y a une forme de soulagement, mais après, c’est difficile de savoir comment le gérer au quotidien.» Un point de vue que ne partage pas nécessairement Romy Siegrist, pour qui «avoir un terme pour penser le vécu relationnel et ses conséquences sur l’intimité est un élément facilitateur dans une relation, d’autant plus que les communautés aromantiques et asexuelles valorisent la diversité relationnelle et donnent des pistes pour en parler».
Car ainsi que le rappelle l’Association pour la visibilité asexuelle, «il n’y a pas de bonne ou de mauvaise manière de tisser et entretenir des relations avec les autres».
Ce n’est ni un choix de vie, ni un symptôme ou un trouble qu’on pourrait soigner, et ces personnes entretiennent des relations interpersonnelles riches et variées. Il n’y a pas de modèle de ce que doit être une relation, et on ne peut pas les hiérarchiser».
D’autant que cette approche n’empêche pas la vie de couple, Infor Jeunes soulignant que «les aromantiques ne manquent pas d’empathie, car s’ils ne peuvent pas éprouver le sentiment amoureux, ils peuvent toutefois ressentir le reste du spectre émotionnel».
L’intérêt de la relation sera donc ailleurs et une intimité sexuelle pourra se développer, comme le souligne Romy Siegrist: «La sexualité est omniprésente dans notre société, donc on va vite se sentir anormal si on ne ressent pas de désir sexuel, tandis qu’il existe une sorte de pudeur autour de l’amour, qui fait qu’on se sent moins bizarre si on n’est pas amoureux de quelqu’un d’autre.» Et d’affirmer qu’une personne aromantique peut tout à fait être heureuse en couple, «parce que chacun va aménager ses relations pour qu’elles lui conviennent. L’important est de discuter des attentes, mais cela vaut quelle que soit l’orientation». Pas seulement pour ceux qui n’éprouvent pas ce type d’attirance.
Lire aussi: Asexualité, besoin de toi envie de rien
La distinction entre élans romantiques et émotions
Il n’est donc ici aucunement question d’absence d’émotions. «Je suis loin d’être un robot, j’ai des sentiments, des amis et tout le blabla qui va avec, témoigne Tatiana. En plus, les deux ne sont pas liés: on peut très bien être aromantique et pas asexuel, ou l’inverse.». Et Valérie L’Heureux de renchérir: «On peut avoir une sexualité très épanouie avec quelqu’un dont on n’est pas amoureux, et il est possible d’avoir des relations intimes épanouissantes pour chacun, même si on ne se donne pas corps ou plutôt cœur et âme.»
Ceci étant, tout n’est pas simple pour autant, car il y a toujours le risque d’un déséquilibre dans les relations. «L’aromantisme n’est pas une forme d’autisme relationnel, mais quand la personne face à vous attend plus de passion, plus de chaleur dans l’expression des sentiments, et qu’elle ne le reçoit pas, cela peut susciter une forme d’incompréhension et de malaise», note encore notre blogueuse. Le plus important, selon elle, pour appréhender ses relations de manière apaisée? Se rappeler qu’on est en construction affective du début à la fin de notre vie. «C’est important de ne pas se coller une étiquette indélébile et de savoir prendre du recul, parce que notre rapport à l’autre évolue avec chaque relation», conclut-elle.
Petit lexique (a)romantique
Demiromantique. Personne qui ne peut ressentir une attraction romantique qu’après avoir formé un lien émotionnel fort avec la personne.
Gris-romantique. Personne qui peut ressentir une attirance rare ou faible envers une autre.
Akoiromantique. Personne qui éprouve une attirance romantique sans désir de réciprocité.
Arophobie. Rejet des personnes aromantiques.
Alloromantique. Personne qui ne fait pas partie du spectre aromantique.
Coups de cœur
Des pistes pour mieux comprendre l’aromantisme.
@plante_aromantique, un compte sur l’aromantisme, en tant que spectre et identité propre.
@ideesavivre, le compte de Tatiana, aromantique et asexuelle.
@aromantiques, qui invite à «s’aimer autrement».
Nous qui n’existons pas, récit autobiographique, par Mélanie Fazi.
Sortir de l’hétérosexualité, manifeste, par Juliet Drouar.
Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici