Scroller « sainement » et réussir sa détox digitale: les conseils d’une experte des réseaux sociaux

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Mode vacances activé. © Getty images
Aylin Koksal
Aylin Koksal Journaliste

Sans surprise, les détox digitales connaissent un succès croissant. Mais jusqu’où faut-il aller pour en ressentir réellement les bienfaits? Nous avons posé la question à une scientifique, qui a elle-même tenté l’expérience.

Cette interview fait partie de notre dossier « Temporairement indisponible ».

Un mois sans réseaux sociaux: quels effets cela a-t-il sur votre esprit, votre corps et votre vie quotidienne? Notre journaliste a tenté l’expérience sous la supervision scientifique de deux professeures de l’Université de Gand.

Vous pouvez lire ses conclusions sur Temporairement-indisponible

Nous passons en moyenne trois heures par jour sur notre smartphone, à répondre à des notifications incessantes, tout en perdant peu à peu le contrôle de notre vie numérique. La professeure Mariek Vanen Abeele, de l’UGent, est spécialiste du bien-être numérique et elle-même passée par l’expérience. « La technologie, c’est comme la nourriture. Certains savent s’arrêter après une part de gâteau. D’autres, comme moi, savent que si il y en a à la maison, ils mangeront tout d’un coup. »

Pourquoi ce besoin massif, aujourd’hui, de se retirer temporairement de la vie numérique?

Mariek Vanden Abeele: « Pour moi, la détox digitale s’inscrit dans une démarche plus large : celle du numérique. On le définit comme la volonté consciente et délibérée de limiter sa connectivité. Il ne s’agit pas simplement de ne plus être en ligne un moment, mais de le faire avec une intention claire. Parce qu’on veut, par exemple, vivre davantage l’instant présent, être plus productif ou renforcer ses liens avec les autres.

On parle aussi aujourd’hui de techlash, une forme de rejet des technologies, en réaction à un secteur qui a évolué pendant des années sans réelle régulation. Ces plateformes ne sont pas neutres. Elles sont volontairement conçues pour que vous ne soyez pas le client, mais bien le produit. Les gens sentent qu’ils sont prisonniers de schémas où ils scrollent sans fin et réagissent constamment. On observe un besoin de se désengager, et ce besoin se manifeste partout. »

Concrètement, qu’est-ce que cela signifie, « se découpler numériquement »?

« Cela varie énormément d’une personne à l’autre. Pour certains, il suffit de poser leur smartphone face cachée sur la table pendant un café entre amis. Pour d’autres, cela va beaucoup plus loin : suppression des comptes, abandon des appareils, périodes planifiées de silence numérique. »

Ce que beaucoup de gens ont en commun, c’est qu’ils ne commencent pas forcément cette démarche par militantisme, mais par instinct de protection. Ils ressentent les effets négatifs et se disent : je ne veux plus de ça. En ce sens, c’est aussi une forme de résistance, même douce. C’est une manière de poser une limite personnelle face à un système qui exige trop. »

Vous avez vous-même quitté les réseaux sociaux. Pourquoi?

« J’ai supprimé Instagram, Facebook et WhatsApp. Pas parce qu’ils me manquaient, bien au contraire. Je me suis rendu compte que je n’en avais pas besoin, et je ne voulais plus faire partie de cet écosystème.

Je restais coincée dans des routines qui ne m’apportaient pas grand-chose. Je vérifiais, je faisais défiler, mais sans me sentir mieux. Alors j’ai su que cela ne fonctionnait pas pour moi. Je compare souvent cela à l’alimentation. Certains savent manger un biscuit et s’arrêter. Moi, si j’ai des melocakes à la maison, je les mange tous. Donc, je préfère ne pas en avoir chez moi. »

« Il est difficile d’établir un lien clair entre réseaux sociaux et santé mentale dans l’absolu. C’est une affirmation trop large. »

Les réseaux sociaux sont-ils à l’origine de tout ce mal-être mental?

« C’est une question plus nuancée qu’il n’y paraît. Nous aimons les réponses simples, tranchées : est-ce que les réseaux sociaux sont “bons” ou “mauvais” ? Mais la vraie question, c’est : quels risques représentent-ils pour notre bien-être social et mental ?

Pour certains, ils sont une source de créativité, d’expression, de lien. Pour d’autres, ils sont frustrants, épuisants. La littérature scientifique est assez claire lorsqu’il s’agit, par exemple, de jeunes femmes confrontées en permanence à des images de corps “parfaits” : cela peut réellement nuire à leur image de soi et à leur santé mentale. On sait aussi que la distraction permanente, les interruptions constantes, nuisent à la concentration, à la productivité et aux interactions sociales. Mais affirmer un lien global entre réseaux sociaux et santé mentale est trop simpliste. »

Pourtant, beaucoup disent se sentir « accros » à leur téléphone. Est-ce un terme adéquat?

« Je préfère éviter ce mot. Il a une connotation clinique, lourde. Je préfère parler en termes de nutrition. La technologie, comme la nourriture, est nécessaire. Mais c’est à nous de choisir ce que nous consommons. Certains peuvent savourer une part de gâteau sans excès. D’autres, dont je fais partie, savent qu’ils iront trop loin si c’est accessible.

Pour ces personnes, il vaut mieux simplement supprimer la tentation. Pas de biscuits, pas de tentation. Pour moi, cela signifie : pas de réseaux sociaux sur mes appareils. »

Et alors, est-ce que ça fonctionne?

« Certaines études montrent des effets positifs d’une détox numérique, d’autres ne relèvent quasiment aucune différence. La science n’est pas unanime. On ne dispose pas encore de conclusions définitives et solides.

Il faut aussi comprendre que les gens se lancent souvent dans une détox parce qu’ils se sentent déjà mal à l’aise avec leur comportement numérique. Ils espèrent un changement, et cette attente influence inévitablement leur expérience. Je reste donc prudente.

C’est précisément pour cela que nous menons actuellement une nouvelle étude, qui sera bientôt publiée dans Nature Reviews Psychology. Nous y examinons les biais méthodologiques liés à ce type de recherche. C’est un sujet complexe. Chaque participant sait qu’il prend part à une expérience, et cette seule conscience peut déjà influencer les résultats. (C’est ce qu’on appelle l’effet Hawthorne, ndlr.) »

« Supprimer les réseaux sociaux ne se fait pas dans le vide. Si vous passiez trois heures par jour sur Instagram, il faut prévoir autre chose à la place. »

Les effets sont-ils donc entièrement personnels?

« Absolument. C’est ce que mes recherches ont confirmé à maintes reprises. Ce qui fonctionne pour l’un ne fonctionne pas forcément pour l’autre. Et inversement. Il n’y a pas de conclusions applicables à l’ensemble de la société. C’est une démarche individuelle. Ce que vous ressentez, ce dont vous avez besoin, ce que vous êtes capable d’assumer : cela varie d’une personne à l’autre. »

Quand peut-on dire que notre usage des écrans est “sain”?

« Lorsque vous gardez le contrôle. Si votre consommation d’écrans ne perturbe pas votre sommeil, ne génère pas de conflits, n’affecte pas négativement votre humeur. Si vous regardez une demi-heure de TikTok et que cela vous détend : parfait. Mais si vous êtes sans cesse distrait, que vous remettez les choses à plus tard, que vous vous sentez mal : là, il y a un vrai problème. »

Et concrètement, comment peut-on s’y prendre?

« Une détox n’est efficace que si vous avez réfléchi à ce qui viendra remplacer ce que vous supprimez. Supprimer les réseaux sociaux ne se fait pas dans le vide. Si vous passiez trois heures par jour sur Instagram, il faut que cette plage horaire soit comblée. Lisez, sortez marcher, voyez des amis. Et surtout, demandez-vous ce que vous cherchiez sur cette plateforme. Du contact ? De l’inspiration ? Une distraction ? Et cherchez une alternative.

L’autorégulation est très personnelle. Certains mettent des minuteurs, ou utilisent des applications pour limiter leur usage. Pour moi, ça ne marche pas. Je sais que si j’ai accès à l’application, j’en ferai trop. Donc je fais le choix de ne pas y avoir accès. »

Est-il encore possible aujourd’hui de se déconnecter totalement?

Vanden Abeele : « Presque pas. Et ce n’est peut-être pas souhaitable non plus. La connexion numérique est aujourd’hui imbriquée dans tous les aspects de nos vies : travail, relations, loisirs. La question n’est donc pas si nous sommes connectés, mais comment. Peut-on vivre avec la technologie d’une manière qui nous corresponde, sans se perdre en chemin ? C’est là que se situe le véritable enjeu. Et cela ne demande pas une rupture brutale, mais des choix réfléchis. »

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