« Y a pas de bien à se faire du mal », pourquoi continuons-nous à nous auto-saboter ?

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Fumer, procrastiner ou se coucher tard: nous nous accrochons à des comportements pourtant néfastes. Voici notre mode d’emploi pour tenter d’y remédier. Et si c’était notre résolution pour cette fin d’année?  

Vous vous couchez trop tard le soir? Vous n’êtes pas les seuls! Malgré la résolution prise presque chaque matin de faire autrement à la fin de la journée, nombre d’entre nous continuons à rejoindre Morphée à des heures déraisonnables. Et ce n’est pas forcément parce qu’un documentaire sur Arte racontant la vie d’un cinéaste taïwanais dont on ne sait même pas prononcer le nom nous fait de l’œil… C’est juste que nous trouvons agréable de sentir à quel point la soirée prend une autre tournure après 23 heures.

Une sorte de sérénité nous envahit lorsque nos voisins s’endorment peu à peu et que l’éclairage de leur maison s’éteint progressivement. Le hic, c’est que ce moment, aussi agréable soit-il, est en réalité mauvais pour le sommeil. Parce que le matin suivant, le réveil interrompt d’office une nuit trop courte. Conséquence: le vendredi soir, nous ressemblons à un zombie et ce tant attendu repas entre amis se transforme en combat pour rester debout. Et le pire, c’est que même si nous savons pertinemment que se coucher tard n’est pas recommandé, nous ne parvenons pas à nous départir de cette vilaine habitude. Tout simplement parce que la récompense d’une douce parenthèse sous les étoiles nous semble valoir le mal-être de la fatigue.

Un mal commun

En réalité, que ce soit cette manie de ne pas voir filer le temps le soir ou d’autres comportements que nous nous infligeons, nous sommes tous victimes de cet autosabotage. Certains procrastinent les tâches barbantes… et finissent par se retrouver dans une maison en bazar avec un placard à provisions vide. «Ça fait déjà un petit moment que je suis en train de ranger notre garage, mais au lieu de faire ça à fond pendant un week-end, je le fais petit à petit, raconte David qui souffre de ce travers. Je me contente d’une heure ou deux par semaine, et je passe régulièrement mon tour. Je n’arrête pas de reporter ce boulot. C’est plus fort que moi.» 

Lies, de son côté, est du genre à prendre un bain deux fois par jour et à y rester bien trop longtemps. «En soi, ce n’est pas un gros problème, mais je pourrais tout aussi bien passer la soirée à regarder la télé avec mon copain. Ce qui n’arrive quasiment jamais parce que je peux facilement rester une heure et demie dans l’eau. Ce n’est bon ni pour ma peau, ni pour notre facture d’eau. Il est déjà arrivé que mon copain, inquiet, vienne voir ce qui se passe. Du coup, j’ai honte, parce que ça n’apporte rien de positif. A part le fait que je sois détendue – mais pour ça, une petite demi-heure suffirait», rigole-t-elle.

Dans le cas de Lies, l’autosabotage ne pose pas de grand problème pour elle ou son conjoint, mais dans d’autres situations, cela peut s’avérer nettement plus problématique. Tensions familiales, problèmes de santé… Les corollaires sont nombreux.

La faute au cerveau

Mais pourquoi alors ne pas changer la donne? «Pour le dire simplement, notre comportement est géré par deux canaux, parfois antagonistes, explique le professeur Rudi D’Hooge, chef du laboratoire de psychologie biologique à la KULeuven. Les zones supérieures du cerveau contrôlent le comportement raisonné, qui est lié avec notre conception morale. Le fait que nous n’allons pas conduire une voiture en état d’ivresse, par exemple, en est la conséquence. Les zones inférieures du cerveau impliquent, elles, un pilotage plus automatique de notre comportement, pour prendre des décisions rapides sur la base de considérations primitives. Celles-ci sont plus rapides et sont surtout orientées vers la survie. La dichotomie entre ces deux zones fait que nous commettons des actes qui en réalité ne sont pas bons pour nous.» 

Autrement dit: les parties inférieures de notre cerveau, responsables de la survie mais également orientées vers le confort, prennent «en otage» les parties supérieures, qui représentent la raison. «Il faut souvent être accompagné pour changer de comportement, en déduit l’expert. De cette manière, nous pouvons faire l’effort nécessaire pour maîtriser les systèmes inférieurs. Cela peut se faire avec des médicaments, une thérapie ou la combinaison des deux. Mais cela demande clairement un effort.» 

Les facteurs aggravants

Le fonctionnement de notre cerveau est un des aspects de l’explication, mais il y a évidemment davantage en jeu. «Il n’y a pas une seule raison spécifique qui explique l’autosabotage, affirme la professeure Barbara De Clercq, maître de conférences au département Psychologie à l’UGent. L’important, c’est qu’il existe différentes sortes d’autosabotage. D’un côté il y a les comportements qui sont liés à la santé, comme fumer, boire trop d’alcool, aller dormir trop tard et mal manger. Mais il y a aussi des choses qui sont davantage liées à la gestion du temps, comme la procrastination ou le fait de partir systématiquement trop tard à ses rendez-vous.» 

Et de préciser que l’ancrage de comportements négatifs en matière de santé peut s’expliquer de différentes façons: «D’un côté, il y a des facteurs liés à la personne, qui appartiennent en grande partie au domaine de ce qu’on appelle le caractère consciencieux: des traits de caractère orientés vers la tâche, tels que l’autodiscipline, la planification et la persévérance. Les gens qui ont peu d’autodiscipline présenteront plus vite un manque de comportements positifs pour la santé. Ce n’est évidemment pas une stratégie consciente, mais ils arrivent moins ou moins longtemps à avoir des comportements positifs. D’autre part, des individus justement très consciencieux peuvent aussi s’autosaboter en dégageant trop peu de temps pour faire du sport ou cuisiner sainement. Souvent ces gens ont un niveau d’ambition élevé et ils ont des métiers très exigeants et prenants, dès lors prendre soin de soi ne fait pas partie des priorités.»

Une prévention possible

Il y a également des facteurs contextuels qui entrent en ligne de compte, souligne Barbara De Clercq: «Notamment les conditions socio-économiques. Les campagnes de prévention anti-tabac ou anti-alcool touchent souvent moins bien les classes socio-économiques inférieures parce que celles-ci ont moins accès aux canaux d’information et sont souvent moins instruites. Ce qui fait que ces campagnes manquent d’efficacité pour ces groupes-cibles. En plus, les gens des classes socio-économiques inférieures ont souvent plus de soucis en tête que de manger sainement ou de dormir suffisamment. Ils ont par exemple des difficultés à trouver du travail ou un bon logement. Quand il y a de l’eau qui s’infiltre dans les murs de sa maison, on se préoccupera moins d’un mode de vie sain.» 

Quand on a grandi dans une famille pas vraiment orientée sur des comportements sains – où on fume, où on boit souvent de l’alcool, où on va systématiquement dormir tard – on a plus de chance de reproduire inconsciemment ces schémas

Barbara De Clercq

En dehors des aspects socio-économiques, notre éducation joue également un rôle. «Quand on a grandi dans une famille pas vraiment orientée sur des comportements sains – où on fume, où on boit souvent de l’alcool, où on va systématiquement dormir tard – on a plus de chance de reproduire inconsciemment ces schémas. Les parents peuvent ici jouer un rôle préventif pour leurs enfants.» 

Trouver une autre motivation

Un troisième facteur est aussi lié à la santé mentale. «Souvent, les personnes qui souffrent de troubles mentaux sont plus susceptibles d’adopter des stratégies d’adaptation inadéquates pour gérer le stress ou la frustration. Comme par exemple fumer ou boire de l’alcool dans les moments difficiles. Les problèmes mentaux prennent alors tant de place qu’on n’a pas l’énergie pour adopter des comportements positifs pour la santé, parce que cela exige pas mal de motivation.» 

Elise connaît ça par cœur. «Je vapote depuis plusieurs années, raconte-t-elle. Avant, je fumais des cigarettes, mais j’ai arrêté il y a quatorze ans. Je pensais que j’avais évolué et que je n’étais plus fumeuse, mais après une période mentalement difficile, j’ai commencé à vapoter. Juste au moment où les cigarettes électroniques jetables sont arrivées sur le marché. Et croyez-moi, elles sont très addictives – encore plus que les cigarettes, je trouve. Ce qui me dérange surtout, ce n’est pas tellement l’aspect santé, mais leur coût.»

Accro, elle remarque toutefois que la question évolue dans sa tête et qu’elle ne va pas continuer comme ça éternellement. «Mais ce n’est vraiment pas facile de stopper totalement, poursuit-elle. J’ai lu qu’il y aurait un lien entre le vapotage et l’acné. C’est sans doute vrai, parce que quand j’ai commencé, l’état de ma peau a empiré. Pour moi, c’est la motivation la plus importante. Je suis obsédée par le soin de ma peau et j’espère que ça va me stimuler.» Là se trouverait donc une piste de solution: celle de chercher une raison personnelle et motivante, au fait de changer ses habitudes.

Gagner en maturité

Parallèlement à l’autosabotage lié à la santé, il existe aussi, nous l’avons dit, des comportements qui touchent par exemple la gestion du temps. «Cela aussi est fortement lié à la personne, précise Barbara De Clercq. Cette compétence est subordonnée à ce qu’on appelle le processus de maturation normatif. Au fur et à mesure que nous vieillissons, nous développons au niveau normatif un profil de personnalité plus mature.»

En d’autres termes: avec les années, les gens sont en moyenne plus conscients de leurs responsabilités et ont moins tendance à procrastiner. «Une des raisons qui expliquent pourquoi la procrastination prospère pendant l’adolescence est liée au fait que dans cette phase une grande part de la maturation doit encore se produire au niveau neuromoteur. Quand nous vieillissons, nous allons endosser plus de rôles et prendre plus d’engagements: nous formons un couple, nous choisissons un travail, nous avons des enfants, nous remboursons une maison, etc. Tous ces rôles font que, contextuellement, les attentes structurées se multiplient. Et cela rend la procrastination moins possible.» 

« C’est difficile de changer parce que ce type de comportement est fortement ancré dans un schéma d’habitudes et a aussi une fonction. Pour s’en libérer, il faut beaucoup de motivation. »

Tout se résoudrait donc avec l’âge? Pas sûr! «C’est effectivement difficile de changer parce que ce type de comportement est fortement ancré dans un schéma d’habitudes et a aussi une fonction, analyse Barbara De Clercq. Pour casser ce schéma, il faut beaucoup de motivation. Surtout si ce comportement vous apporte à court terme une satisfaction, ce sera difficile de changer. Quand à 22 heures on s’installe confortablement dans son canapé, sous un plaid, pour regarder la télé ou écouter de la musique, on profite de ce moment et on s’apaise. A cet instant, ce sentiment est prioritaire par rapport à la fatigue annoncée le lendemain.» 

Se faire aider

Mais comment faire alors? Pour Barbara De Clercq, «il faudra apprendre à choisir consciemment le comportement qui conduit à terme au meilleur résultat. Mais alors il faut effectivement, de sa propre conviction, donner la priorité à ces objectifs. Des astuces comme mettre un réveil à l’heure d’aller se coucher ne fonctionneront pas si on n’est pas soi-même convaincu de l’utilité de la chose.»

Une fois décidé, il peut aussi être conseillé d’être encadré par un professionnel. Ainsi, si la procrastination gêne votre fonctionnement, le moment est peut-être venu de demander une aide au niveau psychologique. Il est aussi possible, s’il on ose en parler, de bénéficier du soutien positif de ses proches… Quoi qu’il en soit, «la motivation intérieure reste la clé du succès», insiste la spécialiste.

Il est également important de se débarrasser de l’aspect irrationnel de nos mauvaises habitudes. «C’est typique de la procrastination par exemple: quand on commence effectivement cette tâche postposée, on se rend compte que ce n’est pas si compliqué, explique le professeur Rudi D’Hooge. Souvent, on se fait une représentation erronée de la tâche, ce qui fait que le seuil pour l’entamer est irrationnellement haut. Il est alors difficile pour la partie supérieure du cerveau de surpasser l’inférieure.» Le fait de sauter le pas du changement peut dès lors débloquer la situation parfois plus facilement qu’on ne le croit. On essaye?

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