Morgan Lucas
Morgan Lucas photographié par Renaud Callebaut pour Le Vif Weekend - DR

Rencontre avec Morgan Lucas, le thérapeute engagé qui libère la parole (et le rapport au genre)

Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Basé à Paris, le thérapeute Morgan Lucas, alias @morgan.noam, pratique une écoute engagée et partage conseils et capsules à ses dizaines de milliers de followers. Egalement formateur en diversité, il vient de publier Ceci n’est pas un livre sur le genre, un ouvrage de vulgarisation qui se veut accessible à tous, surtout aux personnes qui ne connaissent rien au sujet.

D’une voix aussi douce que son approche, qui veille à libérer tant la parole que les consciences, le thérapeute français se livre. Aucun sujet n’est tabou, tout juste s’il s’offre parfois une pause plus longue avant de répondre, car Morgan Lucas sait à quel point chaque mot a son importance. Conversation avec un jeune homme engagé et inspirant.

Sur les chemins de traverse

Toute crise ne contient pas forcément une opportunité. Je ne suis pas très fan de l’adage qui dit que ce qui ne tue pas rend plus fort: parfois, cela affaiblit juste et cela met des bâtons dans les roues. Avant d’être thérapeute, je travaillais dans la production audiovisuelle, mais si j’avais pu choisir, je me serais passé de tous les événements problématiques qui ont conduit à ma réorientation professionnelle. A cause de graves complications suite à ma phalloplastie, j’ai passé 4 mois à faire des allers-retours à l’hôpital, ce qui m’a laissé beaucoup de temps pour réfléchir à ce que je voulais faire de ma vie. Je suis content d’avoir fait le choix de changer de voie et de pouvoir proposer aujourd’hui l’écoute engagée dont j’aurais eu besoin plus jeune, mais j’aurais aimé que cette réorientation puisse se faire dans des circonstances moins traumatiques.

Sur la « thérapie » en ligne

Instagram n’est pas un espace thérapeutique. En voyant les posts défiler sur notre feed, on a tôt fait de se croire atteint de telle ou telle pathologie alors que ce n’est pas le cas. Ceci étant, pour des personnes précarisées qui n’ont pas la possibilité d’aller consulter, avoir accès gratuitement à toute une série de conseils est très précieux. Le tout est de savoir faire la part des choses et de ne pas prendre chaque post pour argent comptant.

Sur l’importance du langage

On ne peut pas se penser si on n’a pas les mots pour le faire. J’ai toujours su que j’étais un garçon, mais à la puberté, la nature m’a fait comprendre qu’elle n’était pas d’accord avec moi. Dès l’âge de 3 ans, j’avais été diagnostiqué «transsexuel», mais ma mère ne me l’a dit que douze ans plus tard, quand j’ai senti que mon corps ne correspondait pas à mon ressenti. Bien qu’elle ait toujours veillé à m’éduquer de manière non genrée, quand on n’a pas de mots pour exprimer ce qu’on vit, on se sent seul au monde, parce que si on ne peut pas parler de ce qu’on ressent, c’est comme si ça n’existait pas. Cela m’a longtemps poussé à tenter de me conformer au genre que l’on m’a assigné à la naissance, ce qui m’a fait énormément souffrir. C’est important que la jeune génération ait accès à ce vocabulaire et à des modèles identificatoires positifs, pour leur montrer qu’ils ont une place et qu’ils peuvent exister.

Sur les années 2000

Grandir dans les années 2000 était électrisant. La culture était en pleine ébullition, c’était l’avènement des ordinateurs et d’Internet, mais aussi la starification de Monsieur et Madame Tout-le-monde avec la télé-réalité… Assister à la naissance de tous ces phénomènes qui allaient changer notre manière de voir le monde était hyper enrichissant, et en dehors du rapport au genre, être jeune à cette époque était vraiment très agréable.

Sur le pouvoir des livres

La lecture permet de rêver plus grand. Les livres ont été un refuge pour l’enfant très solitaire que j’étais. Ils m’ont non seulement permis de cultiver mon imagination, mais aussi de m’évader dans des mondes imaginaires où je me posais moins de questions. Très jeune, j’ai senti que le personnage qu’on m’avait attribué n’était pas le bon, et lire m’a permis de me réinventer dans d’autres identités.

Sur le genre

Il y a quelque chose de surréaliste dans notre rapport au genre. C’est d’ailleurs pourquoi j’ai choisi de m’inspirer de Magritte pour le titre de mon livre. La plupart des personnes qui ont un avis négatif sur la question ont totalement oublié qu’elles ont, elles aussi, un genre, et ne le voient plus que comme un objet d’étude qui va pervertir la jeunesse, voire amener la civilisation à s’effondrer, plutôt que comme partie fondamentale de notre identité. C’est une vision essentialisante, qui interprète l’identité comme découlant du corps sexué, en faisant abstraction totale des aspects sociaux, identitaires et d’appartenance du genre.

Ceci n’est pas un livre sur le genre, par Morgan N. Lucas, éditions Les Insolentes.

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