Sébastien Ianno: « Ce n’est pas en forçant les sourds à s’exprimer oralement qu’on rendra la société plus inclusive »
Les voyages ont été pour lui une formidable école de vie. A 33 ans, Sébastien Ianno est fier de sa double culture: sourd, né dans une famille d’entendants, il est devenu l’un des visages familiers de la langue des signes à la télévision. Un rôle de relais qu’il pratique aussi sur les planches et sur les réseaux sociaux.
La crise de la Covid-19 a rendu la langue des signes plus visible. C’est un grand pas en avant pour la communauté sourde qui n’a pas toujours accès à une information de qualité. Le français n’est pas la langue naturelle de tous les sourds, beaucoup ont d’ailleurs du mal à la lire ou à l’écrire, c’est pourquoi les sous-titres à la télévision ne suffisent pas. Lors des conférences de presse du Comité de concertation, nous avons mis en place une co-interprétation: des interprètes entendants font une première traduction des propos à l’intention des « locuteurs relais » sourds. Ce sont eux qui apparaissent à l’écran car ils vont signer de manière plus fine, apporter davantage de nuances.
L’enseignement prodigué aux personnes sourdes reste trop focalisé sur l’oralité. Ça ne fait que peu de temps finalement que la langue des signes est réellement enseignée à l’école, alors que le français l’est depuis toujours pour les entendants. C’est pourtant une très belle langue et la curiosité qu’elle suscite aujourd’hui fait que de plus en plus d’entendants ont envie de l’apprendre. Lorsque j’étais à l’école ou en formation, j’ai souvent rencontré, parmi mes professeurs, des gens qui pratiquaient plutôt le français signé qui n’utilise pas notre grammaire. Je devais jongler avec la lecture labiale et la compréhension de ces signes. Ce qui m’a amené à jouer très tôt les intermédiaires, à réexpliquer les choses pour ceux ou celles qui ne saisissaient pas bien ce dont il était question. C’est un rôle actif qui me plaît.
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A l’adolescence, j’ai fait le choix d’enlever mes appareils auditifs. Je me suis senti comme libéré. Je suis le seul sourd de ma famille, depuis tout petit j’avais dû me concentrer sur l’oralisation. Ce n’est qu’alors que j’ai pu vraiment découvrir mon identité sourde. Jusque-là on m’attribuait une identité avec ces appareils qui n’était pas la mienne. Cela reste pourtant la tendance aujourd’hui: on appareille les enfants de plus en plus jeunes. Alors qu’on sait que cela peut provoquer de la souffrance, que cela ne convient pas à tout le monde.
Les modèles de réussite que la société met en avant, ce sont la plupart du temps des sourds qui parlent. On a tendance à croire que la seule façon d’inclure les personnes sourdes passe forcément par l’oralisation, via l’utilisation d’implants. Parler, bien sûr, je peux le faire. Mais je ne suis pas d’accord avec cette thèse. Ce n’est pas en forçant les personnes sourdes à s’exprimer oralement que l’on rendra la société plus inclusive mais en faisant en sorte qu’elle soit accessible à tous. Jusque dans les années 80, la langue des signes était même interdite dans les écoles. La communauté sourde a dû se battre pour faire valoir ses droits. Si je peux à mon tour être un modèle, ce sera en rendant visible notre langue et notre communauté.
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La meilleure école du monde, c’est le voyage. Ce que l’on apprend en parcourant le monde vous marque toute la vie. A 25 ans, je suis parti pendant plusieurs mois, j’ai fait tout un périple en Asie. A ce jour, j’ai déjà visité 41 pays. Même si la langue des signes n’est pas un langage universel – il existe bien des signes internationaux, mais c’est une sorte d’espéranto qui n’est pas ce que l’on utilise au quotidien -, cela aide à communiquer, à tisser du lien. Il y a aussi une grande solidarité dans notre communauté: entre sourds, on s’entraide, on se considère comme des membres d’une même famille.
Je suis fier d’être autodidacte. Je n’ai pas étudié l’interprétariat. Mais j’en ai l’expérience car je réalise des traductions depuis cinq ans pour l’ASBL Musk, qui promeut la communication visuelle et l’accessibilité par le langage des signes. Je connais les deux cultures. C’est aussi ce qui m’a amené au théâtre. Avec la compagnie Sur le Bout des Doigts, nous montons des spectacles bilingues en travaillant en binôme pour chaque rôle. L’entendant parle et le sourd signe, simultanément. Le texte est traduit, adapté, étudié pour que tout le public soit touché de la même manière. Je propose des jeux de culture générale et de culture sourde sur les réseaux sociaux en langue des signes. Car il est très difficile pour les sourds de participer aux versions télévisées. C’est une manière d’apprendre et de s’informer.
Notre communauté est franche et directe. Notre culture est très visuelle. Nous recevons tous un prénom « signe » qui correspond à une caractéristique visuelle, qui nous est propre, dans mon cas, c’est une ligne que l’on trace avec le pouce le long du menton en référence à une fossette que j’avais petit. On ne l’imagine pas mais entre régions, il y a même des accents. Les nouveaux mots – comme Covid désigné par ces petites piques ou Instagram par le pouce qui glisse sur la paume de la main – se créent instinctivement. Même de loin, on se comprend, sans avoir à crier.
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