Quelle est (vraiment) l’importance du sexe dans le couple? « Les données scientifiques dressent un tableau différent de celui des médias »
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Préférer Netflix à un câlin sous la couette, est-ce un problème? Si les relations amoureuses ne se résument pas au sexe, la fréquence des rapports est souvent perçue comme un baromètre du lien entre partenaires.
Mais est-ce vraiment le cas? «L’idée que les hommes ont toujours envie est un mythe », affirme Sam Geuens sexologue et enseignant.
Fréquence des rapports sexuels et santé du couple
Laura regarde son amie avec hésitation. « À quelle fréquence êtes-vous intimes, ton partenaire et toi? » lui demande-t-elle. Le visage de son amie s’empourpre, elle essaie d’éluder la question: « Pourquoi tu me demandes ça? » Laura pousse un profond soupir. « Avec Idris, tout va bien, nous construisons une maison, nous voulons nous marier. Mais côté sexe? Presque plus rien depuis des mois. Quand j’essaie d’en parler avec lui, il me dit qu’il est trop fatigué ou qu’il n’en a tout simplement pas envie. Je commence à douter de lui et de moi-même: est-ce qu’il m’aime encore? Suis-je toujours assez attirante? J’ai l’impression que tout s’effondre. Que dois-je faire? »
Une recherche en ligne plus tard, nous tombons très vite sur des témoignages étrangement similaires à celui de Laura, accompagnés d’une avalanche de conseils contradictoires. « Trois fois par semaine est le minimum », affirme une source. « Trois fois par mois, c’est très bien », avance un autre article. « Moins d’une fois par semaine? Votre couple est en danger », prévient un troisième. Et puis, il y a le sex fasting, une tendance qui prône l’abstinence temporaire comme bénéfique pour la relation. Nous refermons les onglets, plus confus que jamais, avec une question: la fréquence des rapports sexuels dit-elle réellement quelque chose sur la santé d’un couple?
Sexe et amour, une chose moderne?
L’incertitude de Laura vis-à-vis de sa vie sexuelle n’a rien d’exceptionnel dans une société où le sexe est considéré comme le miroir émotionnel d’une relation. Pourtant, cette conception est relativement récente. Comme l’explique le philosophe Michel Foucault dans Histoire de la sexualité, jusqu’à la fin du XVIIIᵉ siècle, le sexe était loin des idéaux romantiques que nous tenons aujourd’hui pour acquis. Le mariage était avant tout un contrat social et économique, et non une histoire d’amour. La sexualité servait à assurer la descendance familiale. L’infertilité représentait alors une menace sérieuse pour le statut matrimonial et social. Avoir un héritier était essentiel. Songez aux scènes presque comiques de la série Netflix Bridgerton, où la reine Charlotte exhorte ses enfants, avec une urgence panique, à procréer rapidement.
Ce regard sur le sexe a radicalement changé au XIXᵉ siècle, sous l’influence des Lumières et de mutations culturelles. Le mariage, autrefois une affaire pragmatique, devient un champ de bataille pour l’amour romantique – un thème que Jane Austen exploite brillamment dans Orgueil et Préjugés. Le sexe dépasse alors la simple dimension physique: il devient un moyen d’explorer et de comprendre son partenaire et soi-même. Ce changement culmine avec la révolution sexuelle du XXᵉ siècle, lorsque la sexualité devient un symbole de liberté, d’expression de soi et d’autonomie individuelle. Aujourd’hui, l’intimité est loin d’être secondaire: elle est souvent perçue comme la clé de voûte d’une relation. Lorsque la flamme s’éteint ou faiblit, l’alarme se déclenche pour beaucoup.
Une condamnation à mort?
L’idée que le sexe est essentiel à la relation est massivement amplifiée par les médias, qu’ils soient traditionnels ou sociaux. Entre les articles qui prescrivent une fréquence minimale de rapports et les études affirmant que le sexe réduit le risque de cancer et de dépression, on pourrait croire qu’un manque d’activité sexuelle est une condamnation à mort pour soi et pour son couple.
Ces affirmations spectaculaires doivent être prises avec du recul, avertit Sam Geuens, sexologue et enseignant à la haute école PXL (Limbourg). « Il est vrai que rester sexuellement actif en vieillissant présente des bénéfices pour la santé physique. Mais l’idée que le sexe sauve un couple est purement mensongère. Quant aux chiffres avancés sur la fréquence idéale, la dernière grande étude flamande sur la sexualité, l’étude Sexpert de 2013, dresse un tableau bien différent: en moyenne, nous avons un rapport toutes les une à deux semaines. Un chiffre bien éloigné de l’image véhiculée par les médias. »
« Quantifier la fréquence des rapports sexuels est inutile. »
Dans un article récent sur le sujet, nos confrères du Vif rapportent que, « d’après la vaste enquête Contexte des sexualités en France, menée par l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) et l’ANRS-Maladies infectieuses, en 2023, la population française vivant en couple ou avec un partenaire sexuel privilégié a eu, en moyenne, six rapports dans les quatre dernières semaines chez les femmes, 6,7 chez les hommes. »
Notre perception des normes sexuelles est fortement influencée par notre bien-être mental et relationnel. « Pour les personnes qui luttent déjà avec leur estime de soi, individuellement ou en couple, ces attentes irréalistes peuvent être destructrices », poursuit Sam Geuens, avant d’ajouter que la sexualité est infiniment plus complexe que ce que veulent nous faire croire les médias ou même l’imaginaire collectif.
Katrien Koolen, thérapeute de couple et enseignante à la même haute école, est tout aussi critique: « Quantifier la fréquence des rapports sexuels est inutile. Fixer des standards irréalistes ne fait qu’ajouter de la pression, alors que l’essentiel réside dans la dynamique unique de chaque couple. »
Le mythe du désir masculin
Outre la pression sur la fréquence des rapports, des stéréotypes persistants continuent de façonner notre vision de la sexualité. « Prenez par exemple l’idée tenace selon laquelle les hommes devraient toujours avoir envie, et qu’un manque de désir de leur part serait anormal », explique Katrien Koolen.
Laura en a bien conscience: « Sur TikTok, je vois constamment des vidéos où des couples affirment qu’un homme doit être insatiable et avoir un grand appétit sexuel. Mais ce n’est absolument pas le cas pour mon partenaire. Son désir est presque inexistant, et c’est ce qui m’a poussée à me poser mille questions. »
« Je ne suis pas fan du terme “libido”, confie encore la thérapeute de couple. « Il donne l’impression que le désir est une donnée fixe, alors qu’il varie énormément selon la situation de vie, l’interprétation des signaux sexuels et l’état de la relation. »
Un élément souvent sous-estimé est le rôle du cerveau dans le désir. « La testostérone rend le cerveau plus réceptif aux stimuli sexuels », explique Sam Geuens. « C’est une des raisons pour lesquelles les hommes semblent capter plus rapidement ces signaux. Mais cela ne signifie pas qu’ils ont toujours envie. » Il ajoute: « L’idée que les hommes sont plus facilement excités que les femmes est fausse. En réalité, les femmes peuvent atteindre le même niveau d’excitation aussi vite que les hommes. Ce qui compte, ce sont les bons stimuli. »
La clé: communiquer
Les stimuli, qu’ils soient physiques ou émotionnels, ne sont pas toujours spontanés. Dès qu’un obstacle apparaît, la situation se complique. « La sexualité ne fonctionne jamais en vase clos », souligne Sam Geuens. « Elle repose sur un équilibre entre santé physique, mentale et sociale. Si l’un de ces éléments vacille, le désir en est immédiatement affecté. »
Que faire alors? « L’essentiel, c’est la communication », insiste Geuens. « Parlez-en avec votre partenaire, sans reproches, en partageant honnêtement ce que vous ressentez. L’important est d’ouvrir la discussion, sans attendre une solution immédiate. Pour votre partenaire, ce sujet peut être une révélation, alors laissez-lui du temps pour digérer l’information. Ensuite, vous pourrez chercher ensemble des solutions. »
L’importance des petits gestes
« Le sexe ne doit pas être l’unique mesure d’une relation saine », rappelle Katrien Koolen. « Un manque de rapports peut refléter une distance émotionnelle, mais il ne signifie pas nécessairement une faiblesse du couple. Si parler ne suffit pas, il existe d’autres façons de se sentir proche : un contact physique, un baiser, une étreinte. Ces moments d’intimité sont tout aussi précieux. »
Pour Laura, qui se sentait perdue dans le silence de sa relation, cette perspective est une délivrance. « Peut-être que je me suis trop laissée influencer par l’idée qu’il fallait absolument une certaine fréquence », dit-elle. « Mais finalement, ce qui compte, ce sont les petits gestes, les sourires échangés, la tendresse du quotidien. Et ça, nous en avons en abondance. »
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