Le rage applying, ou comment vous libérer de votre job toxique et gagner plus en prime

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Le rage applying, un mal pour un bien? Getty Images
Kathleen Wuyard-Jadot
Kathleen Wuyard-Jadot Journaliste

Adieu, quiet quitting: en 2023, l’heure est au rage applying, l’antithèse proactive et potentiellement lucrative à ce phénomène galvaudé. Et un exutoire bienvenu pour ces Belges pour qui le travail est devenu une souffrance.

Pour rappel, le principe du quiet quitting consistait à démissionner l’air de ne pas y toucher, ainsi que son nom l’indique. Attention, il ne s’agissait pas d’annoncer son départ dans un murmure, mais plutôt de rester dans son poste en se contentant d’y accomplir le strict minimum. Une résistance silencieuse aux demandes d’une industrie du travail dont les contours sont toujours plus f(l)ous, la pandémie ayant brouillé un peu plus encore les contours entre professionnel et privé. Accepter une réunion Zoom en dehors des heures de bureau, répondre à des messages WhatsApp de boulot en soirée ou le week-end, multiplier les missions… Les adeptes du quiet quitting disent « non ». Et optent plutôt pour le rage applying.

Désengagés jusqu’à ce qu’un nouveau boulot (ou la pension) se présente? Là où certains y voient un mécanisme de défense et une manière de protéger leur santé mentale des exigences du travail, d’autres choisissent de passer à l’offensive.

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Demandez et vous serez exaucés?

Contrairement à son pendant désinvesti, ce rage applying se traduit de manière moins littérale dans le monde du travail. Il ne s’agit en effet pas de « postuler rageusement », ou du moins, pas au sens où on pourrait l’entendre. Le rage applying consiste plutôt à canaliser la colère qu’un job peu épanouissant ou stressant peut susciter et de se servir de cette énergie pour postuler à tout-va. Objectif: envoyer le plus grand nombre de candidatures possible pour trouver rapidement un emploi et un salaire plus satisfaisants.

À l’origine du mouvement, le réseau chinois TikTok, véritable vortex de tendances et concepts en tout genre, où une Canadienne répondant au pseudonyme de Redweez a affirmé en décembre dernier avoir trouvé un meilleur emploi et gagner désormais près de 30.000 euros supplémentaires par an en attrapant la fureur de postuler.

Je me suis énervée au boulot, et j’ai décidé de postuler de rage à genre, 15 jobs. J’en ai dégoté un, qui me paie 25.000 dollars canadiens de plus par an, et le cadre de travail est super. Lancez-vous dans le rage applying et vous obtiendrez aussi ce que vous désirez » assure-t-elle dans une vidéo vue depuis à plus de deux millions de reprises.

Une autre vidéo, dont l’auteure affirme être passée de 60 000 à 150 000 euros de salaire par an après avoir appliqué la tactique de Redwezz a, elle, récolté plus de 30 millions de vues. C’est que ces capsules se visionnent comme des promesses, celles d’une autre vie, d’une meilleure qualité de vie, même, d’un travail plus épanouissant et d’un salaire plus confortable pour couronner le tout… Trop beau pour être vrai?

Les employeurs, victimes du rage applying?

Le concept séduit pourtant toujours plus de nos compatriotes. Ainsi que le révèlent les données recueillies par le spécialiste du recrutement Walters People, près d’un salarié belge sur trois admet avoir postulé à un nouvel emploi au cours des derniers mois, la principale raison étant une culture de travail toxique (47 %). Une tendance qui s’est accentuée depuis les entretiens d’évaluation annuels, qui se tiennent généralement en janvier. Parmi les autres raisons de cette popularité soudaine du rage applying, un travailleur sur trois (31 %) met en cause un mauvais équilibre entre vie professionnelle et vie privée, tandis que pour un travailleur sur cinq, le fait d’avoir manqué une promotion ou une augmentation de salaire s’est avéré être la principale raison pour laquelle il s’est mis en mode candidature – par vengeance.  

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« Le marché actuel est toujours dominé par les candidats, avec plus d’emplois que de main-d’œuvre disponible. C’est pourquoi les organisations ne peuvent pas se permettre le phénomène de ‘rage applying’ en ce moment. Il est intéressant de noter que ce ne sont pas tant les questions de salaire ou de promotion qui entraînent une réaction aussi hâtive que l’environnement de travail lui-même. Une culture de travail toxique peut rester invisible pour l’employeur pendant un certain temps, mais les répercussions sur le bonheur des employés sont considérables. Pensez, par exemple, à la baisse de productivité ou au manque général de motivation et de persévérance » pointe Özlem Simsek, directrice générale de Walters People.

« Si les salariés d’aujourd’hui ne se sentent pas à l’aise avec la culture de leur entreprise, ils sont plus susceptibles d’aller chercher leur bonheur ailleurs. Les emplois sont nombreux, alors pourquoi ne sauteraient-ils pas le pas ? Il est donc important d’accorder toute l’attention nécessaire à l’adéquation des cultures dans le processus de recrutement, afin que l’employeur et l’employé puissent indiquer clairement le type d’employé ou de lieu de travail qu’ils recherchent ».

Özlem Simsek

Mais l’herbe est-elle forcément plus verte ailleurs?

Prudence est mère de sûreté

Si, sur les réseaux, les témoignages de convertis du rage applying se multiplient, du côté des ressources humaines, on se méfie du phénomène. D’abord, parce que parfois, le problème vient non pas du job mais de la personne en elle-même. Quelqu’un qui multiplierait les changements d’employeur pour une certaine raison joue peut-être de malchance, mais est peut-être aussi acteur de son manque de satisfaction: le problème est-il vraiment que tous vos patrons sont irascibles, ou bien que vous évitez le conflit et ne leur faites donc pas part de vos besoins?

Autre risque, d’un point de vue RH: certaines entreprises interdisent à leurs salariés de postuler à d’autres emplois. Une session de rage applying pourrait donc coûter son poste fixe à quelqu’un qui n’a pas (encore) de plan B sur lequel retomber.

Des mots sur les maux

L’experte en stratégie d’entrepreneuriat Christine Day, elle, revendique tout de même le côté jouissif du rage applying, dont l’attrait numéro un est le sentiment de contrôle qu’il procure. « La personne agit enfin après avoir été insatisfaite pendant (trop) longtemps, or avoir le sentiment de bouger après être resté coincé à la même place fait énormément de bien, on se sent enfin en contrôle de sa propre destinée » assure-t-elle.

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Et d’avancer qu’une autre raison qui rend le processus si agréable est qu’il permet d’obtenir la validation de tiers, mais aussi et surtout, d’avoir enfin l’impression que son travail est reconnu à sa juste valeur.
Même si Christine Day recommande elle aussi de faire preuve de prudence, et d’éviter de postuler au job de ses rêves quand on est aveuglé par la rage de postuler, « parce que quand on est en colère, on déborde d’adrénaline et on est plus prompt à faire des erreurs ».
Postuler la tête froide, donc, plutôt qu’à chaud. Et s’affranchir de la colère: comme le souligne Sweta Regmi, CEO de la firme de consultance Teachndo, « parler de ‘rage’ applying donne une connotation négative à une démarche positive, celle de travailleurs qui agissent pour contrer une source légitime d’insatisfaction sur leur lieu de travail ». Une insatisfaction qui peut également être canalisée différemment.

Du côté de la plateforme d’offres d’emploi Jobat, on évoque le « job-crafting » pour désigner ces employés qui cherchent activement des solutions pour pouvoir rester de manière épanouie dans leur emploi actuel, quitte à créer eux-mêmes le contenu de leur fonction. Et de concéder qu’un « emploi fixe peut sembler confortable, mais cela rend parfois les employés paresseux ou dépendants. En effet, ils ne sont jamais à l’abri d’un ‘bore-out‘ et courent le risque de s’ennuyer à mourir pendant leurs journées de travail ».
Avec tout ce que cela implique comme dangers: à l’été 2022, une analyse des Mutualités Libres des chiffres de l’Institut national d’assurance maladie-invalidité (Inami) révélait que les burn out ont augmenté de 66% en Belgique ces quatre dernières années, tandis que les dépressions, elles, ont connu une augmentation de 12% sur la même période. De quoi expliquer en partie pourquoi, malgré la création de 200 000 emplois ces deux dernières années, avec ses 72,1% de taux d’emploi, la Belgique fait office de mauvaise élève européenne? Le travail, c’est la santé, mais ne rien faire n’équivaut pas à la préserver. Quant à savoir s’il vaut mieux opter pour le rage applying, le job crafting ou encore le quiet quitting, on laissera à chacun le choix de son néologisme anglais préféré…

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