Thi-Mai Nguyen, danseuse et chorégraphe: « Avec Stand By, j’ai envie de chercher le sens du geste »
Thi-Mai Nguyen danse et chorégraphie comme on respire. Avec Stand By, son troisième opus ardent à voir au Théâtre Marni à Bruxelles, elle convoque l’intimité, la solitude, la vie et la mort.
Elle danse depuis qu’elle a 5 ans. Elle a quitté la France aimantée par Anne Teresa De Keersmaeker, intégré P.A.R.T.S., travaillé durant neuf ans dans la compagnie de Wim Vandekeybus puis dans la troupe de James Thierrée pendant huit autres années. Depuis, forte de son Prix de la critique du meilleur spectacle de danse pour la saison 2017-2018, Thi-Mai Nguyen danse et chorégraphie pour elle.
On vit dans un monde où les artistes contemporains doivent être bien accrochés.
Il nous faut vraiment faire confiance à la vie. J’ai eu la chance de travailler avec des gens intéressants et passionnés, qui sont humbles et le restent. Avec Wim Vandekeybus, où j’ai pu accéder au texte et au jeu, avec Jaco Van Dormael dans Mr. Nobody où on me voit trois secondes, avec Kore-eda Hirokazu dans La vérité, c’est l’un de mes réalisateurs préférés, ses films m’inspirent − l’intime m’intéresse… On se tourne toujours vers des artistes qui sont proches de la façon dont on voit le monde.
‘Il y a un endroit où il faut laisser parler le corps, les émotions.’
Quand on est maltraitée, on ne questionne pas, surtout quand on est une enfant.
Ma rencontre avec la danse ne s’est pas bien passée. J’ai été dans le même conservatoire à Villejuif, de mes 5 ans à mes 15 ans et je suis tombée sur une femme qui était obsédée, folle en fait. Elle a misé sur moi, comme sur un cheval, elle m’a investie. Le point positif, c’est qu’elle m’a appris toute ma technique: à 15 ans, je faisais des variations classiques sur pointe, j’étais hyper performante, je gagnais tous les concours mais j’étais terrorisée par elle. Elle me violentait, elle me balançait contre les miroirs, me tapait sur la tête… Je faisais comme si de rien n’était. Elle me répétait tout le temps: «Qui aime bien châtie bien.» C’était son désir à elle que je danse et que je performe, ce n’était plus le mien. Après, je suis partie au Conservatoire National Supérieur de Danse de Paris, où j’ai finalement pu respirer et commencer à apprécier et oublier, faire un déni même.
Il faut garder une part d’innocence.
Ne pas être trop conscient par rapport à ce que l’on fait, surtout en tant qu’interprète, performer, artiste. Il y a un endroit où il faut laisser parler le corps, les émotions. Si cela devient trop mental, cela devient faux.
Quand on crée, on perd une partie de soi.
C’est en lien avec les limites. Et cela effraie de se livrer aussi intimement. De ne pas savoir comment cela va être vu et perçu ni comment les gens vont le lire, c’est presque une peur enfantine. J’aime surprendre le public et l’amener quelque part où il ne s’attendait pas à aller. Je le fais parce que je le désire mais c’est aussi parce que, en tant que spectatrice, j’ai envie d’être transportée là où je n’aurais pas pensé être transportée.
C’est intéressant d’être confrontée à une autre génération.
J’ai un garçon qui va avoir 14 ans, ce n’est plus un petit enfant. J’aime voir sa pensée se dérouler. Par rapport aux femmes, notamment. Et j’aime sa manière de s’indigner quand il se demande comment c’est possible qu’elles n’aient longtemps pas eu le droit d’avoir un compte en banque et comment on a pu accepter cela.
Mon rapport à mes racines vietnamiennes est en dents de scie.
Quand j’étais petite, je détestais mon prénom, qui signifie Fleur de prune, il marquait ma différence, les autres se moquaient de moi. A l’adolescence, par contre, j’ai voulu découvrir d’où je venais. Chez mes grands-parents, c’était très «Vietnam», ils vivaient à Montpellier, j’y passais les deux mois d’été, j’y ai donc goûté, je sais ce que c’est, je reconnais la langue même si je ne la parle pas. Et je ne suis toujours pas allée là-bas mais j’y tiens vraiment, j’aimerais m’y rendre avec mon fils et mes parents, avant qu’il ne soit trop tard.
40 ans, c’est le début d’autre chose.
C’est une deuxième jeunesse. Avant, j’étais explosive et très puissante, je peux encore l’être mais cela ne m’intéresse plus. J’ai envie désormais de chercher le sens du geste, presque comme une anthropologue.
Une création n’est pas finie une fois qu’elle est présentée.
Elle doit être jouée et constamment réfléchie. Il faut pousser l’idée plus loin, développer les qualités de mouvement, tout le temps. La danse est un prétexte pour raconter des histoires. Et c’est peut-être ça mon grand amour, raconter des histoires.
Stand By, de Thi-Mai Nguyen, en collaboration avec Mehdi Baki, au Théâtre Marni dans le cadre du D Festival, les 28 et 29 janvier. theatremarni.com
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