2012, à un cheveu

C’était pourtant indiqué sur l’enseigne,  » Elle et Lui « , entre parenthèses. Mais de toute évidence, c’est un salon de coiffure principalement féminin. D’où ce traitement inhabituel.

L’Argentin qui généralement me luxe la nuque ( » un peu à gauche s’il vous plaît « ), type à barbiche fanatique de F1, qui joue de la tondeuse comme d’un colt de gaucho, ne m’a pas accoutumé aux bouts des doigts de Soraya, princesse persane, un moment  » transmatérialisé » dans un salon de coiffure prétendument unisexe,  » Elle et Lui « , où j’entre pour la première fois, principalement féminin, bout des doigts que caractérise un vieux mot, morbidesse, exprimant la délicatesse et la mollesse des chairs et des modelés, morbidesse des doigts de Soraya pesant légèrement sur le cuir chevelu, suivant ou guidant les circonvolutions d’une idée juste au-dessous, silencieuse et souple dans son océan d’albumine et de shampoing, eau tiède, quand une goutte telle une larme échappe à l’auréole de mousse, ruisselle sur mon front, zigzague entre les rides et l’étonnement de la peau, surmonte les sourcils — et qui coule à présent refroidie sur ma paupière, et me fait ouvrir les yeux, pour me montrer au fond, tout au bout du salon de coiffure, suspendu à la vitrine noire de nuit et qui pourrait donner sur toutes les villes du monde, le grand chiffre lumineux et clignotant, 2012, oh oui, c’est vrai, 2012, irréel, clignotant, prometteur, rouge, blanc, bonne année, mes amis, j’oubliais, bonne année…

Gregoire Polet

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