Cosmétiques : potions ou poisons ?

Les produits de beauté représentent-ils un danger pour notre santé ? L’impact de certains ingrédients est-il surestimé ou, au contraire, sous-évalué ? Bien souvent, le débat s’inscrit dans un registre plus émotionnel ou politique que réellement scientifique… Le professeur Vera Rogiers y apporte quelques nuances.

Crèmes solaires cancérigènes, flambée des allergies aux parfums, déodorants mis en cause dans le cancer du sein… Les messages alarmistes reviennent régulièrement à la une, suscitant l’inquiétude d’un public de plus en plus sensible à tout ce qui touche à la santé et à l’environnement. Chacun s’efforce donc de traquer, dans la liste des ingrédients de ses crèmes ou shampooings, ceux qui semblent suspects… et comme le terme d’huile de lavande semble plus rassurant que celui de butylparabens, un nombre croissant de personnes se tournent vers des produits « naturels ». Une balle que l’industrie n’a pas manqué de saisir au bond, pour offrir au consommateur exactement ce qu’il demande : un produit avec ou sans parabens, à base d’ingrédients « naturels », sans composants aux consonances dangereuses.

Mais le « naturel », c’est quoi au juste ? Ces produits sont-ils forcément meilleurs ? Pas si simple de dénicher une information objective, tant nombre de livres et de sites Internet semblent, à bien y regarder, être en réalité des instruments de propagande au service d’activistes ! Nous avons donc consulté le Pr Vera Rogiers, chef du département de Toxicologie, Dermato-Cosmétologie et Pharmacognosie de la VUB et vice-présidente du Comité scientifique pour la sécurité des consommateurs de la Commission européenne (CSSC). « Il est en effet fréquent que la discussion autour des risques des cosmétiques pour la santé soit déformée et tirée de son contexte, confirme-t-elle. Sans compter que le débat est fortement orienté par les lobbys qui se battent l’un pour l’interdiction des tests sur les animaux, l’autre pour une attention accrue à l’environnement… tout en étant évidemment tous demandeurs de cosmétiques à base de produits « sûrs ». »

En outre, alors qu’il devrait être mené à un niveau scientifique, le débat autour des perturbateurs endocriniens (des substances à effet oestrogénique – NDLR : et susceptibles d’avoir des effets indésirables sur la santé), comme par exemple les parabens, est en réalité très politisé. « La vision scientifique se voit écartée par l’énorme pression politique des lobbys qui prêchent chacun pour sa petite chapelle. Et l’industrie cosmétique non plus ne simplifie pas la tâche des scientifiques : elle propose des produits sans parabens simplement afin de répondre à la demande de certains consommateurs, tout en étant convaincue, d’un point de vue scientifique, qu’il n’existe guère d’alternatives efficaces à ces substances. Les firmes importantes peuvent se le permettre… mais pour les petites marques, c’est parfois la porte ouverte à la faillite. »

Dans quelle mesure les substances traversent-elles la peau ? « En une année, notre peau absorbe deux kilos de produits chimiques » : un bon exemple d’affirmation sensationnaliste et alarmiste. « L’épiderme est un système ingénieux qui n’a vraiment rien d’une passoire », rappelle le professeur Rogiers. Intacte, la barrière cutanée ne laisse très probablement passer que quelques pour cent de la plupart des substances, car son alternance de couches aqueuses et adipeuses est très difficile à traverser, sauf pour les éléments qui possèdent des propriétés à la fois hydrophiles et lipophiles. Lorsque vous prenez un bain, vous ne voyez ni votre épiderme absorber le contenu de la baignoire ni votre corps se vider de sa substance : ce n’est qu’après un certain temps que la peau se fripe, signe que la barrière cutanée commence à être endommagée. En outre, lorsque vous appliquez un produit sur votre peau, vous ne l’étalez en réalité que sur la couche superficielle, composée de cellules mortes qui s’en détachent en permanence. »

Cosmétiques « naturels », mais encore ?

« Il n’est pas rare que les produits dits naturels ou biologiques contiennent plus de 90 % d’ingrédients synthétiques : émulsifiants, conservateurs, eau, lipides, colorants, parfums, etc. explique le professeur Vera Rogiers. Ceux-ci sont en effet à la fois meilleur marché et plus purs que les extraits naturels, qui présentent parfois d’importantes différences au niveau des plantes utilisées, du lieu et de la température de culture, du mode de récolte, etc. En outre, il suffit d’ajouter un extrait végétal à la formule pour pouvoir bénéficier du label « naturel ». Il n’existe aucun cadre législatif, et l’appellation est donc bien souvent dictée par des considérations commerciales ; dans la pratique, elle ne veut donc pas dire grand-chose. »

Les substances « dangereuses » passées au crible

Les filtres UV

Ce sont… des substances minérales et chimiques qui absorbent ou réfractent les rayons ultraviolets.

On leur reproche… d’influencer le système hormonal.

Pr Vera Rogiers : « Des tests sur l’animal ont montré que les filtres UV (et les parabens) sont effectivement des « perturbateurs endocriniens », susceptibles d’avoir un impact sur le système hormonal. Une affirmation qu’il convient toutefois de nuancer car ce risque potentiel correspond à une propriété intrinsèque de ces substances mais ne dit encore rien de la menace effective qu’elles représentent pour l’homme : ce n’est pas parce qu’un produit possède une propriété qu’il a nécessairement aussi un effet. Prenez l’exemple d’un bidon d’acide : un acide fort est susceptible de brûler la peau et est donc potentiellement dangereux mais, correctement conditionné, il ne présente qu’un risque minimal. Les consommateurs relèvent souvent des « substances dangereuses » dans les ingrédients de tel ou tel produit – comme, justement, cet acide qui est en effet dangereux en soi… mais qui, à raison de quelques gouttes dans une formule cosmétique, peut abaisser le pH d’une crème et la rendre ainsi beaucoup moins agressive pour la peau.

Il faut aussi garder le sens des proportions : l’action des filtres UV est parfois un million de fois plus faible que celle de nos propres hormones ou de certains extraits végétaux. En outre, les études prévoient une marge de sécurité énorme, car elles se basent sur l’espèce animale la plus sensible (rat ou souris, généralement), le test le plus sensible et l’organe le plus sensible pour examiner l’administration quotidienne à long terme (généralement 90 jours) d’une dose orale de filtre UV – bref, un véritable scénario-catastrophe, qui revient à introduire directement dans la circulation sanguine ce que nous appliquerions normalement sur notre peau ! Les chercheurs mesurent ensuite l’effet sur les principaux organes, retiennent dans chaque cas la valeur la plus sensible et y appliquent un facteur de sécurité égal au moins à 100 (pour tenir compte des différences possibles entre l’homme et le rat, voire entre deux personnes) pour définir la dose qui ne provoquera aucun effet délétère chez l’homme. La valeur ainsi obtenue est évidemment extrêmement prudente. »

En conclusion : même en quantités démesurées, l’application de crème solaire est sans danger pour l’homme. Ne pas l’utiliser comporte un risque bien plus important, car l’effet carcinogène des rayons solaires est, lui, bien établi.

Les parabens

Ce sont… des agents conservateurs utilisés dans les cosmétiques, l’alimentation et les médicaments.

On leur reproche… d’influencer le système hormonal (voir aussi le paragraphe consacré aux filtres UV) et d’être une cause potentielle de cancer du sein.

Pr Vera Rogiers : « La campagne anti-parabens a été déclenchée par une série d’articles publiés en 2004, qui évoquaient un possible lien entre déodorants et cancer du sein. L’un d’eux surtout, rédigé par une personne sans formation en toxicologie qui affirmait que ces substances se retrouvaient dans les tumeurs mammaires, a fait beaucoup de bruit. Truffée d’erreurs, l’étude ne méritait pourtant pas d’être prise au sérieux…

Mais le mal était fait et la presse s’est emparée de l’information, soulevant une vague d’inquiétude dans le grand public. Il est un fait que ces produits possèdent des propriétés oestrogéniques in vitro et in vivo. Celles-ci sont fonction du type de parabens, mais restent de toute façon de mille à un million de fois moins puissantes que celles des hormones féminines naturelles. En outre, une fois dans la peau, les parabens y subissent une « biotransformation » qui les décompose en acide parahydroxybenzoïque, exempt d’effet oestrogénique.

Après avoir analysé l’ensemble des études, la Commission européenne a mis complètement hors de cause les méthylparabens et éthylparabens, tout en recommandant de réduire de moitié le seuil maximal pour la teneur en butylparabens et phénylparabens, les substances les plus lipophiles. Des marges de sécurité tellement importantes qu’elles me semblent presque absurdes.

Comme pour les filtres UV, des tests chez l’animal ont relevé un effet oestrogénique potentiel, et un possible impact sur la fertilité masculine. Il s’agit toutefois là encore d’un risque théorique, et non d’un danger avéré pour l’homme. »

En conclusion : utilisés depuis de nombreuses années, les parabens sont des substances bien connues. Ce sont d’excellents agents conservateurs, entre autres parce qu’ils ne provoquent pratiquement pas d’allergies. Les cosmétiques sans parabens contiennent d’autres agents conservateurs – sans quoi ils seraient rapidement contaminés – qui ne sont souvent pas mentionnés en tant que tels. Si vous voulez des produits sûrs, optez pour ceux dont les agents conservateurs figurent sur la liste officielle et font l’objet d’un contrôle par les instances européennes !

Les colorations capillaires

Ce sont… des shampooings colorants et colorations d’oxydation (coloration permanente grâce à une réaction chimique avec du peroxyde).

On leur reproche… d’accroître le risque de cancer.

Pr Vera Rogiers : « Suite à une série d’articles relatifs à un possible risque de cancer, la Commission européenne a réclamé et examiné les dossiers de tous les produits de ce type commercialisés en Europe. Cette analyse, qui se bornait autrefois à vérifier la sécurité du colorant utilisé, s’intéresse aujourd’hui aussi à la réaction chimique avec le peroxyde (dans le cas des colorations d’oxydation ou permanentes). »

En conclusion : de nombreux produits ont été interdits faute d’un dossier satisfaisant, mais ceux qui sont aujourd’hui disponibles sur le marché européen ont été contrôlés et jugés sûrs.

Les sels d’aluminium

Ce sont… des substances contenues dans les antiperspirants, qui forment une sorte de « bouchon » dans les glandes sudoripares des aisselles et permettent ainsi de retenir la sueur.

On leur reproche… de boucher les pores et d’y bloquer les déchets, provoquant l’accumulation de ces derniers dans l’organisme.

Pr Vera Rogiers : « Selon le degré d’acidité cutanée, les sels d’aluminium et leurs complexes vont former un bouchon dans les pores et empêcher l’humidité de s’en échapper. Cela ne pose aucun problème, car nos aisselles ne produisent en réalité qu’un pour cent de la transpiration de notre corps : si celle-ci semble abondante à ce niveau, c’est tout simplement parce que la position de nos bras l’empêche de s’évaporer. En outre, les glandes sudoripares n’ont pas pour fonction d’éliminer les toxines – ce qui se fait par l’urine et les selles – mais de rafraîchir notre corps et de maintenir sa température et celle du cerveau à un niveau constant. »

En conclusion : l’utilisation de sels d’aluminium dans les antiperspirants ne pose aucun problème, à condition d’être limitée aux aisselles.

Les alkylsulfates

Ce sont… des agents moussants utilisés dans les shampooings, gels douche, bains mousses et savons liquides.

On leur reproche… d’être des dégraissants agressifs qui perturbent la barrière cutanée.

Pr Vera Rogiers : « Le laurylsulfate de sodium et son homologue plus doux, le lauryléthersulfate de sodium, sont les détergents les plus couramment utilisés. Ce sont effectivement des dégraissants puissants, qui sont généralement combinés à d’autres agents détergents afin de réduire leur caractère agressif. On s’imagine souvent que, pour être efficaces, les shampooings ou savons doivent produire abondance de mousse, ce qui n’est pas forcément vrai. En fait, celle-ci signe souvent une concentration trop élevée en détergent, car le produit ne fait plus rien d’autre que produire de la mousse et perd son effet nettoyant. Il existe des alternatives plus douces qui moussent moins… mais les consommateurs ont tendance à en utiliser de plus grandes quantités, faute de quoi ils ont l’impression que le produit ne nettoie pas bien. »

En conclusion : rincés assez rapidement, les alkyléthersulfates ne provoqueront pas le moindre problème chez l’utilisateur moyen. Par contre, les bains moussants sont à déconseiller de par l’exposition plus prolongée qu’ils impliquent : en éliminant les lipides, ils endommagent la barrière cutanée et irritent la peau qui, ainsi détériorée, laisse passer des substances qu’elle aurait normalement retenues.

Les colorants synthétiques

Ce sont… des pigments.

On leur reproche… de provoquer des réactions allergiques.

Pr Vera Rogiers : « Certains colorants sont en effet toxiques ; on ne dénombre toutefois guère de dossiers problématiques parmi ceux qui sont autorisés et, si les médias les évoquent souvent dans la foulée d’autres « poisons », les réactions allergiques sont rares. Il faut dire qu’ils ne sont présents qu’à des concentrations infimes… là encore, c’est toute la différence entre risque potentiel et risque réel. »

En conclusion : les problèmes sont rares avec les colorants autorisés.

L’huile minérale

C’est… une substance grasse qui dépose un film sur la peau afin de limiter l’évaporation de l’humidité.

On lui reproche… d’avoir un effet occlusif sur la peau, ce qui, à long terme, endommagerait la barrière cutanée.

Pr Vera Rogiers : « Mieux vaut ne pas utiliser l’huile minérale – ou huile de paraffine – pure. En combinaison avec d’autres matières grasses, elle exerce toutefois une légère action occlusive très bénéfique pour les peaux sèches. Les proportions des différents lipides seront adaptées en fonction du type de peau. »

En conclusion : l’huile minérale possède en effet des propriétés occlusives. Dans les produits cosmétiques, elle est toutefois généralement combinée avec d’autres matières grasses en fonction du type de peau, et n’est donc présente qu’en concentrations limitées.

Les parfums

Ce sont… des produits généralement fabriqués à base d’huiles essentielles et/ou d’aromes synthétiques.

On leur reproche… de provoquer des réactions allergiques.

Pr Vera Rogiers : « Les parfums à base de produits naturels sont généralement les plus agréables, mais ils sont aussi onéreux et présentent une composition complexe, multipliant les ingrédients… et les allergènes. Une teneur maximale autorisée a été définie pour 26 substances ; leur mention sur la liste des ingrédients est obligatoire.

L’industrie se trouve actuellement confrontée à une demande – pas forcément simple à satisfaire – de parfums ne contenant pas ces allergènes. Il existe donc des produits très simples et entièrement synthétiques, dont la composition est connue et parfaitement sûre ; nombre de consommateurs continuent toutefois à privilégier les produits riches en ingrédients naturels, pour leur parfum plus agréable ou… pour le chic ! »

En conclusion : pour les soins de peau, préférez les produits inodores. Pour les parfums proprement dits, limitez l’application à certains endroits, car ces produits – et surtout les formes concentrées – viennent en tête des causes de réactions allergiques, et le nombre de personnes qui en sont victimes ne cesse de progresser.

Par Sofie Albrecht

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