Couples: qui se ressemble s’assemble?

© IP3 PRESS/MAXPPP

Le sociologue Pascal Duret décrypte, dans son nouveau livre, le fonctionnement de ces duos amoureux que tout oppose.

Le sociologue Pascal Duret décrypte, dans son nouveau livre, le fonctionnement de ces duos amoureux que tout oppose.

On a longtemps cru que s’aimer, c’était regarder ensemble dans la même direction, comme le disait Saint-Exupéry. Est-ce toujours le cas aujourd’hui? Pas sûr. A l’heure des unions libres et de l’individualisme triomphant, comment les membres d’un couple s’accommodent-ils de leurs désirs si multiples, si différents? Pascal Duret, enseignant à l’université de La Réunion, apporte des réponses dans son livre S’aimer quand on n’a pas les mêmes valeurs. Entretien.

Elle est végétarienne, il est carnassier. Elle aime Bob Marley, il est fan d’AC/DC. Elle adore la déco années 1950, il ne jure que par les années 1980. Qu’est-ce qui rassemble des couples aux valeurs dissemblables?

Dans ce cas, ce sont plus des goûts que des valeurs qui séparent. Même si l’on n’aime pas la même musique, ni la même cuisine, on a malgré tout des points communs, comme d’aimer la musique et la cuisine en général. Dans de nombreux domaines, vivre en couple ne réclame pas une totale correspondance des goûts.

Est-il plus facile aujourd’hui qu’hier de vivre avec quelqu’un qui ne partage pas les mêmes valeurs que soi?

Hier, c’était plus simple dans un certain sens puisqu’une famille unie était celle qui parlait d’une seule voix: celle du paterfamilias, gardien des valeurs de la maisonnée. Aujourd’hui, la famille « démocratique » a changé la donne et la famille unie est celle où les individus savent articuler leurs différences et où toutes les convictions ont désormais droit de cité. Ce qui est, bien sûr, un progrès évident!

Au XXIe siècle, peut-on encore parler de valeurs féminines et masculines?

Dans ce domaine, rien n’a vraiment évolué! Aujourd’hui comme hier, les valeurs liées à l’affrontement et à la compétition sont culturellement plutôt masculines, alors que celles liées à la sollicitude et aux soins sont généralement associées aux femmes.

Quand même, les valeurs masculines ne se sont-elles pas un peu transformées?

Les hommes ont dû attendre le dernier quart du XXe siècle pour avoir d’autres choix possibles que les archétypes virils. Il aurait été impensable pour nos parents de voir Lino Ventura, Jean Gabin ou Humphrey Bogart exprimer une trop grande sensibilité. Aujourd’hui, une multitude de modèles a émergé (Fabrice Luchini, Romain Duris, William Hurt…). Ce qui ne rend pas les choses plus faciles: face à la profusion de ces nouvelles icônes, les hommes sont contraints de se construire dans une plus grande insécurité identitaire.

Aujourd’hui, qui de l’homme ou de la femme est le plus enclin à modifier ses valeurs?

On ne peut guère généraliser. Ce n’est pas une affaire de sexe. Tout dépend de l’histoire du couple et du parcours affectif de chacun de ses membres. Après une ou deux expériences traumatisantes, l’homme, comme la femme, met en place des principes de protection: on choisit de ne pas trop s’éloigner de ses valeurs pour ne pas y laisser des plumes.

Pourquoi se dispute-t-on même lorsque l’on partage des valeurs similaires?

Rien n’est plus faux pour moi que le postulat de « l’harmonie des semblables ». On peut partager une même valeur mais la « vivre » différemment. Un écart peut subsister entre des principes partagés en théorie et des actes qui ne les traduisent pas en pratique. Sur l’égalité domestique, par exemple, les deux membres du couple peuvent très bien soutenir « en paroles » cette égalité mais, en pratique, dans la vie quotidienne, cela devient une tout autre histoire. Il est également possible de défendre une même valeur, mais pas avec la même intensité. C’est souvent le cas quand les conjoints ont la même sensibilité politique mais que l’un est plus militant que l’autre. Quand l’un veut aller coller des affiches le week-end et que l’autre préfère rester douillettement au lit pour faire la grasse matinée, cela tend à créer des frictions. Enfin, les valeurs sont un système hiérarchisé. Deux conjoints peuvent partager des valeurs semblables, sans les classer pour autant dans le même ordre d’importance, ce qui peut là encore être source de conflit.

Qu’est-ce qui agace particulièrement les hommes sur le plan des valeurs ?

Ils se plaignent massivement de se sentir à l’étroit dans leur vie de couple. Ils aiment s’imaginer en héros. Ils reprochent souvent aux femmes d’être trop terre à terre. Le personnage féminin qu’ils exècrent le plus, c’est « la chieuse », parce qu’elle brise la machinerie du rêve. Elle les empêche de se raconter des histoires, de se faire des « petits films » dont ils jouent les premiers rôles. Elle ne les décrit pas tels qu’ils se rêvent mais tels qu’ils sont parfois: ordinaires, fades, incohérents… Si la conjointe n’est pas bon public, alors qui le sera? Une oreille complice, un simple regard admiratif, la plupart du temps, les hommes n’en demandent pas plus. Ils espèrent toujours de leur compagne des regards de petite fille émerveillée en même temps qu’ils souhaitent pouvoir se reposer sur elle comme sur une maman. Difficile, pour les femmes, de faire face à de telles contradictions!

Emilie Dycke

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content