Les fresques intérieures, tendance déco du moment (et comment vous y mettre)
Plus tendance que jamais, les fresques habillent nos parois intérieures comme des tatouages, leur donnant une personnalité unique. On puise ses idées dans le street art, Sol LeWitt, Jean Cocteau, Le Corbusier… ou on laisse libre cours à sa créativité, pourquoi pas.
Les peintures murales ont la cote. Selon Google, le nombre de recherches sur « living room murals » a augmenté de 48% l’année dernière et ce n’est pas étonnant: ces fresques contemporaines rendent une maison unique et ont le même effet qu’un tatouage pour les murs, faisant des lieux une extension ultime de la personnalité de leurs habitants. Ces dessins donnent instantanément de l’éclat à une pièce, même si la décoration n’a rien d’extraordinaire. Et c’est pourquoi cette tendance séduit ces derniers temps le commerce et l’horeca. Voyez la designer américaine Laura Kirar. Il y a deux ans, elle a ouvert au Mexique une maison d’hôtes comprenant trois chambres et un magasin de déco: Meson Hidalgo à San Miguel de Allende. L’endroit n’est devenu viral que lorsque Brenda Jaramillo a peint une fresque dans la boutique. Résultat? 50 000 likes sur le compte de Nowness.
Le peintre paysagiste anversois Nils Verkaeren, lui, a récemment réalisé une oeuvre pour l’Hôtel Robert, à Anvers. « Elle s’étend jusqu’au plafond. On peut la voir lorsqu’on est couché dans la baignoire », explique l’artiste. Quant à la designer textile bruxelloise Claire de Quénetain, elle a mis en beauté le restaurant parisien La Gare, dont les clichés ont aussi fait le tour du monde. Et à juste titre, car sa création magnifie l’espace. Elle a planché pendant dix mois sur cette commande, qu’elle a reçue de l’architecte d’intérieur Laura Gonzalez. « Je peins environ cinq fresques par an, explique la créatrice. Je ne travaille jamais avec un croquis, je me lance directement sur le mur. Bien entendu, je discute au préalable des nuances et du design avec le client. Les couleurs d’une telle fresque sont beaucoup plus fraîches que celles d’un papier peint. L’avantage est qu’une peinture murale ne s’arrête pas au mur, vous pouvez également inclure tous les coins et recoins. Le résultat est toujours très homogène. On a l’impression d’entrer dans un tableau. »
Oser le figuratif
« Muralists are the new ceramists » , a titré le magazine américain Domino. « La peinture murale est la forme d’art du moment, lit-on dans l’article. Ce qui rend ces oeuvres si intéressantes, c’est qu’elles peuvent transformer complètement un environnement. Elles apportent de la vie aux espaces. Et elles vous donnent souvent le sourire. »
Rien n’est plus vrai pour les peintures de Philippine d’Otreppe. L’illustratrice bruxelloise possède un joli studio (38, rue Blaes), où elle peint et dessine sur papier, toile et céramique. Et aussi sur les murs. Elle s’est récemment attaquée à sa cuisine. Dans son style typiquement féminin, elle a imaginé des scampis, des citrons, des pêches et une femme nue aux formes voluptueuses. La pièce en elle-même n’a rien de particulier, mais cette oeuvre lui confère un style inégalable.
Bien que la cuisine y soit un peu moins banale, Luke Edward Hall a réalisé une fresque tout aussi savoureuse au Flamingo Estate, en Californie. Le Britannique a figuré la silhouette d’un jeune homme nu, posant entre des colonnes grecques et de la végétation. Il s’est inspiré de Jean Cocteau, l’artiste français qui, en 1950, n’a pu s’empêcher de peindre la quasi-totalité des parois de la Villa Santo Sospir sur la Côte d’Azur. Non pas avec des fruits, mais avec des scènes homo-érotiques aux accents méditerranéens.
Maxi ou minimaliste?
Amusantes, les peintures murales figuratives sont toutefois assez souvent littérales. Elles tendent vers l’anecdotique, tandis que les graphismes abstraits sont un peu plus suggestifs. Ramdane Touhami, fondateur de la marque de produits de beauté Buly 1803, s’est d’ailleurs inspiré de Sol LeWitt plutôt que de la chapelle Sixtine pour son salon. Ses couleurs vives et ses contours puissants rappellent même littéralement les dessins muraux du minimaliste américain. « J’ai été principalement influencé par l’espace lui-même, raconte-t-il. Nous vivons dans un duplex des années 30, construit au-dessus d’une maison de maître du XVIIIe siècle à Paris. J’ai d’abord imaginé la fresque, puis le canapé et les poufs en velours assortis. Les nombreuses teintes vives conviennent à nos goûts maximalistes. »
Une question cruciale: une telle fresque nécessite-t-elle un intérieur somptueux ou dépouillé? « Tout est affaire de goûts », explique Ellen Van Laer, architecte d’intérieur chez Æ Studio. Elle qui préfère le minimalisme cherchait à sublimer sa cage d’escalier. « De nombreuses pièces donnent sur cet espace, qui avait un grand potentiel, poursuit-elle. Mon ami Arno et moi venions de visiter le site du Bauhaus à Weimar. Nous avons été influencés par l’utilisation de la couleur dans leurs aménagements. En me basant sur leur palette et leurs lignes modernistes, j’ai commencé à peindre une fresque dans cette atmosphère. Petit à petit, la composition avec des zones de couleur et des diagonales s’est développée. En tout, j’ai travaillé pendant un an. Le motif peut être dynamique, mais la peinture murale crée toujours un sentiment de calme. Et cela se vérifie, car on nous a récemment demandé de réaliser quelque chose de similaire dans un bureau. »
Même scénario pour Florence Geens. L’illustratrice bruxelloise est connue principalement pour ses oeuvres d’art numériques abstraites et ses imprimés. Mais lors du premier confinement, elle s’est lancée dans l’aventure, juste pour le plaisir, et a réalisé sa première fresque, à la maison. « Je voulais savoir ce que c’est que d’être confrontée à un mur plutôt qu’à une toile. J’ai partagé mon processus sur les réseaux sociaux, et les gens ont rapidement manifesté leur intérêt. Quelques semaines plus tard, j’ai reçu ma première commande, de la part de l’espace de coworking bruxellois Womade. J’y ai traduit mes croquis numériques en une grande oeuvre avec de la peinture acrylique, des feutres, des stylos et des feuilles d’or. »
De Frida Kahlo à Le Corbusier
Aujourd’hui, nous utilisons indifféremment les termes « fresque » et « peinture murale ». Mais techniquement parlant, les fresques sont des peintures murales ou des peintures de plafond qui sont réalisées directement sur la chaux humide. C’est extrêmement difficile, car la chaux sèche rapidement et les retouches sont pratiquement impossibles. Les Egyptiens, les Etrusques et les Romains utilisaient déjà cette technique pour décorer les temples, les palais et les maisons. Au Moyen Age et à la Renaissance, c’était considéré comme une forme d’art à part entière, comme le montrent Giotto, Piero della Francesca, Michel-Ange ou Cimabue.
La technique elle-même a failli disparaître au XXe siècle, mais les peintures murales n’ont pas perdu de leur superbe. Les exemples célèbres abondent. Gustav Klimt en a exécuté plusieurs chez des particuliers vers 1900, dont le palais Stoclet à Bruxelles. Frida Kahlo et Diego Riviera ont multiplié les réalisations au Mexique, où le « muralisme » était un mouvement important. Chez nous, l’artiste Jozef Peeters a transformé son studio en une grande oeuvre murale, où de subtiles zones de couleur se chevauchent. Et dans son appartement de Rome, l’Italien Giacomo Balla a recouvert son hall d’entrée et son atelier de formes organiques folles. Cherchant à réaliser une « synthèse des arts », l’architecte-artiste Le Corbusier aimait également intégrer de tels éléments dans ses projets, dont Le Cabanon. Bien qu’il ait peint sa fresque la plus célèbre dans la villa côtière moderniste de sa collègue Eileen Gray. Il y a figuré des scènes suggestives de femmes nues et même un trio, probablement en guise de commentaire sur la bisexualité assumée de celle-ci. Jalousie ou question d’ego? L’Irlandaise parle de vandalisme, son biographe, de « viol ». Mais le passé n’a pas empêché William Philips de reproduire les peintures murales du Cabanon — sa cabane compacte de 13 m2 — dans son appartement d’Ostende. « Je les ai copiées en utilisant une grille, explique l’artiste. L’effet est fantastique. Surtout parce que les couleurs sont vives et donnent de l’énergie. Elles ont le pouvoir de transfigurer un espace. C’est pour ça que je les aime tant. »
Street art à domicile
Selon Bjørn Van Poucke, commissaire du festival d’art The Crystal Ship d’Ostende, cette tendance découle du street art. Les artistes décorent souvent les murs des espaces publics avec leurs créations grand format. Et puisque que le street art s’impose progressivement comme un courant dominant, ces artistes sont aussi parfois sollicités pour réaliser des choses à l’intérieur. « Momo, l’artiste américain que nous avons récemment exposé en solo, a déjà réalisé des fresques pour Facebook, Pepsi et le World Trade Center. Maya Hayuk a également accepté de telles commandes pour des intérieurs », explique leur galeriste Alice van den Abeele, de la galerie éponyme à Bruxelles.
Chez nous, les exemples ne manquent pas non plus. Steve Locatelli réalise des peintures murales d’intérieur, sur commande, tout comme Oli-B, Jeps & Boris, NOIR et le collectif Hell’O Monsters. Antoine Detaille et Jérôme Meynen, les artistes qui composent celui-ci, ont en effet déjà exécuté quelques missions pour des clients privés. « La dernière fois, c’était à Mons. Nous y avons peint un joli mur rempli de plantes, explique Antoine. Dans ce cas-là, nous sommes moins libres que lorsque nous travaillons dans un lieu public. On nous assigne un mur. Et la palette de couleurs et les motifs sont convenus au préalable avec le propriétaire. Mais le résultat correspond toujours à notre style, qui est très optimiste. Nous ne nous mettons pas subitement à faire autre chose. »
Do-it-yourself
Si l’envie vous prend de donner une touche encore plus personnelle à votre intérieur, il est bien sûr possible de demander à un artiste ou à un peintre professionnel, mais cela risque de se chiffrer rapidement à quelques milliers d’euros. Pourquoi dès lors ne pas se lancer seul? A l’aide d’un vidéoprojecteur ou d’un rétroprojecteur, on dessine d’abord un motif ou on le fixe avec du ruban adhésif, puis on le remplit avec de la peinture. On peut également s’y mettre à main levée. Pas besoin de talent particulier pour cela: des formes simples comme des rayures ou des points peuvent générer quelque chose de très décoratif. Cherchez « Niele Toroni » sur Google pour trouver de l’inspiration. Le site de Domino Magazine fourmille également d’idées.
L’artiste américaine Angela Chrusciaki Blehm a par exemple laisser faire ses enfants pour la salle de jeux. Elle l’a ensuite un peu retouchée avec du blanc. « Une maison sans humour n’en est pas une », a-t-elle ainsi déclaré. Bien sûr, on peut aussi utiliser un modèle. Avec Wonderwalls, la marque Colora a développé une série d’autocollants muraux qu’il suffit de coller et des modèles à peindre soi-même. Pratique: une fresque comme celle-ci nécessite moins de peinture. Quelques testeurs sont souvent suffisants. Et pour ceux qui hésitent encore: le pire qui puisse arriver est de devoir tout repeindre et tout recommencer. Plutôt rassurant, non?
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