Dominique de Villepin

Dominique de Villepin ne dort pas. Alors pour contrer la noirceur de ses nuits blanches, l’ex-Premier ministre français convoque à son chevet les poètes qu’il aime, dans son Hôtel de l’insomnie. La littérature en guise de somnifère.

Vos nuits insomniaques sont-elles plus belles que vos jours ?
L’insomnie est un devoir ! Dans ces moments particuliers de la nuit, où le monde et la vie font silence, l’insomnie nous permet de reconstituer le puzzle de nos vies. Même si elle est parfois douloureuse, cette faille épouvantable dont parle Borges, où nous avons le sentiment d’une terrible immortalité…

La poésie, art de vivre ou exutoire ?
On a tendance parfois à cantonner la poésie dans la mise en vers et en une jolie musique. Au contraire, c’est l’outil le plus révolutionnaire pour changer la vie. Et c’est une charge de dynamite absolument formidable. D’ailleurs, tous ces poètes ont des itinéraires souvent tragiques parce qu’on ne prend pas ce risque-là sans péril. La poésie, c’est un chemin que l’on invente, là où l’on pensait qu’il n’y avait parfois plus de chemin. Et ce chemin, on le creuse en soi, on le creuse avec les autres, dans la vie même. Parfois à mains nues et parfois dans la chair vive. Tout cela est souvent très douloureux, mais c’est un chemin indispensable pour ceux qui attendent davantage de la vie.

La plume ou l’ordinateur?
Moi, j’écris à la plume ou au bic. Je choisis des outils simples, parce que je les égare facilement. Et puis le contact avec le papier et l’encre rend le poème plus charnel, permet de l’enraciner, y compris sur la feuille blanche.

La littérature ou la politique ?
Je ne sépare pas les deux. De la même façon, je pense que, quand on avance dans la vie, il faut une inspiration et une expiration. Si l’expiration est le champ de la politique, il faut une inspiration qui donne un sens à cette politique, mais y compris pour soi-même. Car comment faire de la politique si on ne cherche pas à appliquer ce qui nous guide -l’exigence de liberté, d’égalité, de justice, de paix ? Il faut recentrer la politique sur l’essentiel et pour cela, elle a besoin de boire à autre chose qu’à des sources individuelles, politiciennes. Elle doit donc s’inspirer de l’art et de la culture.

Rabat, Caracas, Fort de France, New York. De toutes les villes de votre enfance, laquelle est la plus chère à votre souvenir ?
Je suis né à Rabat, j’ai forcément une fidélité particulière à cette terre du Maroc. J’aime ses paysages ascétiques et en même temps, j’aime la luxuriance de l’Amérique latine, sa malice indigène et son surréalisme. Chaque lieu a son inspiration, son imaginaire. Et je pense que l’on a constamment besoin de fortifier son propre imaginaire en s’épaulant sur des lieux, des cultures, des peuples différents. C’est autant d’attachements, autant de raison de vivre supplémentaires.

Votre rêve d’enfant ?
Vivre d’aventures, dans l’exploration des peuples et des contrées. L’aventure permet toujours de découvrir de nouvelles choses sur soi et de faire reculer les frontières. Or, nous vivons par trop dans des mondes de frontières et de peur. Chasser la peur me paraît être le premier objectif. Et c’est ce que je pressentais, enfant, le besoin d’aller vers un ailleurs, un inconnu qui permette en permanence de se dépasser.

Votre dernier marathon ?
Il date d’il y a bien une dizaine d’années. Je cours tous les jours, mais jusqu’à maintenant, je n’ai pas eu la chance de pouvoir m’entraîner suffisamment pour réessayer un marathon. Je ne désespère pas de pouvoir en courir un très vite avec mon fils. De préférence, un petit marathon, à la campagne. Mon vrai rêve, c’est de faire les cents kilomètres de Millau, encore faut-il que les genoux tiennent…

Votre fille Marie, mannequin, fierté ou frayeur ?
Un peu des deux. Mais fierté pour ce qu’elle est parce qu’elle aime la vie. Elle aime la découvrir et l’approfondir. Et je lui fais confiance !

Un discours mémorable ?
Je ne m’attarde pas sur mes propres discours. Mais j’aime ceux des autres, je lis ceux des grandes figures de l’histoire, de De Gaulle, Churchill, Napoléon, mais aussi les discours plus modestes – dans la Révolution Française, il y en a d’absolument magnifiques. J’aime la voix, quand elle est s’adresse à d’autres.

Que vous autoriseriez-vous dans Second Life ?
Je n’ai aucun goût pour le monde virtuel. Je me sens très paysan de ce point de vue-là. Autant j’aime le voyage, autant je suis attaché à la réalité et aux racines de la vie. Je préfère les hommes et les femmes et les rêves que l’on peut toucher et réaliser à ceux qui ne s’accomplissent qu’à travers des écrans.

Que craindre le plus, comme vous l’écrivez, l’effroi de l’âme ou le combat des hommes ?
Les deux sont à craindre. Mais le combat des hommes est plein de vanités, ce n’est donc pas celui qui m’effraie le plus ! Il est parfois très vain. Il faut savoir se concentrer sur l’essentiel qui est cette capacité que l’on a à pousser plus loin son aventure et son exigence, pas dans ces combats mesquins, ces combats de pouvoir, d’ego, qui très souvent nous humilient, nous avilissent et nous rapetissent.

Le sujet qui fâche ?
Aucun, je me sens très apaisé.

Démission, courage ou lâcheté ?
Cela dépend des circonstances et de la conscience qui guide le choix. Il est très difficile de juger les uns ou les autres. Dans Hôtel de l’insomnie, je parle d’un certain nombre d’auteurs qui ont été conduits au suicide. Faut-il juger le suicide d’un Paul Celan, d’un Jean-Pierre Duprey ? Il y a des zones de mystère dans la vie des êtres… Il faut savoir faire silence. Chercher à accompagner, mais respecter.

Si vous deviez vous réincarner ?
Oh, il y a l’embarras du choix. J’aime cette idée que l’on puisse se métamorphoser. J’adorerais vivre plus près de la terre, être un paysan en Patagonie, cela me plairait.

Votre épitaphe ?
Je ne m’attache pas assez d’importance pour m’en inventer une. Le testament de Jean Charcot, « Avions rêvé davantage. Avons fait du mieux possible », me va très bien comme épitaphe! Il y a beaucoup à apprendre de ceux qui sont dans l’épreuve : il adresse ce télégramme à l’Académie des sciences, dans un moment critique, puisqu’il est à la tête de son brise-glace, le Pourquoi pas ?, qui va faire naufrage. Et il a cette idée merveilleuse d’aller libérer les mouettes adoptées comme mascottes avant de partir lui-même au fond des mers…

Propos recueillis par Anne-Françoise Moyson

Hôtel de l’insomnie, Dominique de Villepin, Plon, 195 pages.

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