Expresso

Avec un nom signifiant « pierre flottante », Marie-Claude Pietragalla semblait prédestinée pour la danse. Et pourtant, que de travail acharné ! L’étoile atypique se dévoile dans un livre, qui exalte sa force et sa fragilité.

Que reste-il du petit rat de l’Opéra ?
Une discipline acharnée, l’envie de découvrir et de m’émerveiller. J’ai gardé mon regard d’enfant.

En quoi vous distinguez-vous des autres « étoiles filantes »?
Il est très rare qu’une danseuse étoile dirige sa propre compagnie, tout en étant interprète et chorégraphe. Cultiver sa différence représente une force.

Comment s’inscrire dans un art éphémère ?
Ce côté éphémère donne justement de la rareté. Aussi est-on obligé de capter cet instant et de le vivre pleinement.

Quand vous dansez, vous vous retrouvez face à quelle part de vous-même ?
La part la plus intime qui soit. Même si je me réfugie dans mes personnages, je suis très à nu. Sur scène, j’essaye d’être la plus vraie possible… Ce sont cette authenticité et cette grande fragilité que les danseurs donnent à voir.

Y a-t-il un décalage entre votre être et votre paraître ?
Il y a un fossé entre mon côté inaccessible et mon envie de me préserver, qui masque de la pudeur. Enfant, j’étais d’une timidité maladive.

Qu’exprimez-vous par cet art ?
A travers nos créations, mon compagnon – Julien Derouault – et moi explorons « le théâtre du Corps ». En interrogeant la chair, nous travaillons sur l’inconscient et sur tout ce qui nous façonne… Ce dialogue avec le corps est si fort qu’il est le narrateur de l’histoire. L’art du mouvement se fait dans le ressenti. Nos chorégraphies offrent un voyage au sein d’un tableau impressionniste, aux touches de couleurs différentes.

Quelle filiation revendiquez-vous ?
Loin de la ballerine éthérée et désincarnée, j’ai été marquée par des hommes, comme Fred Astaire, pour son élégance, sa grâce et son aisance apparente. La force de caractère de Noureev, l’esprit de création de Chaplin, l’animalité de Bruce Lee ou le travail sur le corps de Tatie me fascinent. Il y a aussi Barbara en femme-oiseau sur scène. Les héroïnes que j’incarne sont souvent dans le dépassement de soi. Nul ne connaît son corps comme les danseurs.

Quel rapport entretenez-vous avec lui ?
Je vis avec, en acceptant ses qualités et ses défauts. Le corps est une fabuleuse découverte de soi. Avec les années, on apprend à se renforcer et à la travailler autrement.

Le corps : complice, outil de travail ou prolongement de soi ?
C’est mon premier outil de travail, celui avec lequel j’espère tisser une grande complicité. Je tends à le maîtriser, tout en m’acceptant physiquement et moralement.

Comment le bichonnez-vous ?
Je suis adepte de l’ostéopathie et des masseurs qui connaissent les pathologies des danseurs. Vu mon manque de temps, je suis pour le naturel. Le physique n’est pas une obsession, je me contente d’une crème de jour.

La partie corporelle à laquelle vous vous identifiez?
Les mains car elles sont très parlantes. Dans la danse, elles agissent comme une ponctuation.

Pourquoi le miroir est-il « un traître » ?
Parce que ce sont les sensations intimes qui priment. Le fond est plus important que la forme. Quand je me regarde dans la glace, je ne suis pas optimiste. Même si je ne m’apitoie pas sur mon sort, j’essaye d’être en action.

La beauté c’est…
Une certaine vérité par rapport à soi-même.

Qu’y a-t-il de plus beau en vous ?
J’aime les gens qui ne se résignent pas, qui vont de l’avant en affrontant les choses en face. Capable de courage, je ne baisse pas les bras.

Comment percevez-vous la mode ?
J’aime la mode, même si je ne la subis pas parce que je préfère être décalée.

Une couleur?
Le noir, car je privilégie la sobriété. Sa neutralité permet de voir un être comme il est.

Décrivez-nous votre style…
J’aime les choses simples, amples, élastiques et agréables à porter. A l’encontre du tape-à-l’oeil, je préfère le côté zen et épuré.

Créateur préféré?
Pierre Cardin. Il affirme qu’il vaut mieux créer la mode que la copier. Que ce soit dans les vêtements, les meubles ou les bijoux, j’admire sa créativité. En design, j’aime les formes arrondies, sensuelles, japonaises.

Un bijou phare ?
Ma bague, qui fait partie de ma main. Ce cadeau que je me suis offert a beau s’être cassé ou perdu en mer, il est toujours là !

Le comble du luxe?
Une journée sans rien faire… c’est si rare ! Grâce à ma compagnie, je suis dans la liberté de créer. C’est si dur à acquérir.

Que cherchez-vous dans cette « quête personnelle »?
Le dépassement de soi, l’authenticité, la vérité, la façon de lier le ciel et la terre, l’extase, la communion. A travers cet « art du sensible », je m’intéresse à l’humain et à la faille. On ne peut que les approcher, tant ils restent à l’état brut.

Quel est votre Graal ?
A l’Opéra, c’était l’inaccessible étoile. Aujourd’hui, c’est plutôt une recherche d’harmonie et de sagesse, que je n’ai pas (rires).

Si vous étiez un tableau?
Réalisée dans sa période bleue, La repasseuse de Picasso constitue un choc. Cette toile représente la tendresse, la féminité, la force et l’écoute.

Une musique?
Le Sacre du Printemps de Stravinsky incarne l’union du classicisme et du moderne, du divin et du sacré, de la force et de la violence.

Un livre?
L’Etranger de Camus, qui m’a marquée à l’adolescence. Faute de temps, je ne lis pas assez… J’aime la littérature, la poésie, les ouvrages historiques et politiques.

Qui admirez-vous ?
Je suis fascinée par les femmes qui épousent le pouvoir. Bien que n’ayant pas ce sens du sacrifice, j’en conçois la force.

L’amour c’est…
Une communion de vie. Une succession de moments, dont la réalité quotidienne est transcendée par l’amour.

Comment vous a-t-il transformée ?
Dans la création, le regard de Julien est à la fois double et complémentaire. L’amour renforce notre possibilité d’évoluer ensemble. Dans ma vie de femme, il m’a apporté un épanouissement, une osmose, qui se prolonge au sein de notre passion commune.

La maternité vous a…
Métamorphosée. Je suis plus dans la douceur, l’acceptation. Ce cataclysme m’a appris à relativiser les choses.

Qu’aimeriez-vous transmettre à votre fille ?
L’authenticité. Je désire l’encourager à creuser, à être curieuse, à s’enrichir et à garder son regard d’enfant.

Vous avez incarné des femmes désespérées, en quoi gardez-vous espoir ?
En l’autre, parce qu’il est capable du meilleur et du pire. Je garde foi dans les énergies, les alchimies et la survie des êtres humains.

La vieillesse c’est…
Quelque chose de naturel. Il y a des plaisirs à tout âge, mais en tant que danseuse, je redoute la maladie et la diminution physique.

En quoi aimeriez-vous être réincarnée ?
En chat, car je suis de ce signe. D’ailleurs, j’en ai quatre chez moi ! J’adore les félins pour leur souplesse, leur énigme et leur faculté à être là sans être là.

Propos recueillis par Kerenn Elkaïm

La femme qui danse, par Marie-Claude Piétragalla & Dominique Simonnet, Seuil, 205 pages.

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