Mathieu Nguyen

Fini Louis XIV, bonjour Louis 14? « Beaucoup de cris d’orfraie, bien peu d’arguments »

(Ana)chronique: un événement récent remis en perspective à l’aide de références historiques ou pop culture, de mauvaise foi occasionnelle et d’une bonne dose de désinvolture.

L’affaire s’embrasa d’abord en Italie, dans les colonnes de différents journaux, avant d’enflammer les salons parisiens: le musée Carnavalet, en passe de rouvrir après de longs travaux, allait bannir de ses communications les chiffres romains, et ainsi jeter des abominations telles que « Louis 14 » à la vue de ses visiteurs sidérés. Piqués au vif par la longueur d’avance de leurs homologues transalpins, certains intellectuels français s’empressèrent d’en remettre une couche, ne voyant dans cette décision qu’une « renonciation vaine », quand il ne fut pas question de « déculturation institutionnalisée », de « nivellement par le bas », en un mot, de « décadence ». Sous vos yeux ébahis s’est donc dressé un superbe exemple de ce que l’on appelle le principe de la pente savonneuse, selon lequel l’extrapolation de phénomènes plus ou moins anodins nous promet à tous une issue funeste, de préférence dans d’atroces souffrances bien méritées. Soit un procédé relevant du sophisme apocalyptique, que l’on retrouve assez régulièrement dans le traitement médiatique d’événements marquants, et produit par ceux qui souhaitent donner du corps à leurs désaccords – les exemples sont légion, du vote des femmes au mariage homosexuel, en passant par l’invention de la minijupe et le remplacement de Julien Lepers à Questions pour un champion.

Il est permis de remarquer que dans tout ce tintouin, on aura entendu beaucoup de cris d’orfraie, et bien peu d’arguments.

On pourrait aisément se réclamer de Ponce Pilate et de Talleyrand, et s’en laver les mains sous prétexte que tout ce qui est excessif est insignifiant – et laisser les italophobes maugréer que la Botte a déjà largement de quoi s’occuper avec la gestion de son propre patrimoine culturel, et que ses habitants sont mal placés pour jouer les puristes, eux qui ont grandement contribué à populariser les chiffres indo-arabes durant la Renaissance, sous prétexte que c’était vachement plus pratique pour le commerce et les sciences. N’empêche. Persiste la désagréable impression que les défenseurs autoproclamés de la « culture classique » mettent nettement plus d’énergie à cadenasser ladite culture qu’à tenter de la partager. Accessoirement, il est permis de remarquer que dans tout ce tintouin, on aura entendu beaucoup de cris d’orfraie, et bien peu d’arguments soulignant l’intérêt de conserver une numérotation antique par définition surannée – et pourtant on ne doute pas qu’il en existe, aussi sûrement que l’on comprend le besoin d’adapter la communication muséale à différents publics.

Heureusement, après quelques jours de polémique, la voix du musée perça le brouhaha indigné, pour balayer l’intox et révéler que, sur quelque 3000 textes de salle, seuls 170 dispositifs de « médiation universelle » étaient concernés – et d’aucuns pointèrent au passage que des mesures similaires avaient été prises par le Louvre-Lens, dans l’indifférence générale, il y a plusieurs années. Malgré ces précisions, on n’entendra évidemment aucun prophète de malheur reconnaître son emballement: l’important, c’est d’avoir pu manifester un inébranlable attachement à la culture, la vraie avec un grand C, celle que l’on observe sous vitrine après s’être acquitté d’un droit d’entrée. Leur récital terminé, les trompettistes de l’Apocalypse s’en sont donc retournés à leurs petites préoccupations, avec le sentiment satisfait d’avoir sauvé à la fois les cartels de Carnavalet et notre civilisation. Chacun sait qu’il n’en est rien, mais on va dire que tout est bien qui finit bien.

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