Interview

Elsa Zylberstein a ouvert son coeur à Weekend. L’âme soeur, elle y croit. À l’inverse d’Eloïse, la jeune femme belle, intelligente mais désespérément seule qu’elle incarne dans La Fabrique des sentiments. Un film qui pose un regard juste sur notre société où l’amour est, lui aussi, pris dans les mailles du marketing.

Hôtel Bristol à Paris. Le concierge se veut comique : « Madame Zylberstein est au bar. Elle est assez célèbre, vous ne devriez pas avoir de problème à la reconnaître… » De fait. Même le dos tourné, la silhouette gracieuse et élégante d’Elsa Zylberstein se repère instantanément dans la masse. Cheveux courts, jeans seventies, pull beige et souliers marron Yves Saint Laurent, l’actrice incarne le chic au naturel. On l’imaginait réservée, limite distante, comme dans la grande majorité des rôles qu’elle incarne au grand écran. Zéro pointé. Elsa Zylberstein est tout le contraire : vive, enjouée, généreuse et prolixe. En interview, elle offre le plus beau des cadeaux, celui de la sincérité. Pour parler d’amour, Elsa n’hésite pas : elle ouvre son coeur.

Eloïse, le personnage que vous incarnez dans La Fabrique des sentiments, a recours au speeddating pour trouver enfin son homme idéal. Avez-vous l’impression que la société façonne, voire conditionne, notre façon d’aimer ?
Ce film trace le portrait un peu brutal mais très juste d’une femme qui s’émancipe. Elle est indépendante financièrement, mais de plus en plus vulnérable en amour. Eloïse se pose des questions sur l’âme soeur, sur ce que signifie « savoir aimer ». Savoir bien vous aimer ! Cette fille finalement, c’est le produit des années 1970 : elle paie le prix fort de l’égalité homme-femme. La femme s’est un peu trop masculinisée. Maintenant, il faut rééquilibrer ce rapport, se réadapter. Le film pose ce problème-là. Mon personnage essaie de rationaliser l’amour, de quantifier sa vie amoureuse, comme il l’a fait avec son travail et ses études. Eloïse se dit probablement : « J’ai assuré pendant toute ma vingtaine, j’ai réussi ; maintenant, je vais faire la même chose pour l’amour ». Mais elle se rend compte que c’est bien plus compliqué que ça. L’amour échappe à toutes les règles. Tomber amoureux, c’est bien plus impalpable et mystérieux que remplir des fiches techniques.

Pourtant la fin du film ressemble à une décision par dépit…
Eloïse choisit de se laisser aimer. Mais cela n’empêche pas que nous ne sommes pas libres dans nos choix amoureux ! Ce n’est jamais un hasard lorsqu’on tombe amoureux. C’est parce que c’est cet homme, à un moment, qui va vous révéler des choses sur vous-même. On est conditionné par son éducation, par son enfance…

Pourtant dans votre vie amoureuse, vous allez un peu à contre-courant (NDLR : Antoine de Caunes, qui fut son compagnon pendant près d’une décennie, était 15 ans plus âgé ; Nicolas Bedos, son conjoint depuis plus de deux ans est 10 ans plus jeune qu’elle).
Même si je vais vers quelque chose qui apparemment est à l’encontre de ce que je suis, ou contraire à ce que je connais, je suis également conditionnée. Etre en réaction, c’est déjà être conditionnée. Je vais peut-être à contre-courant dans mes histoires d’amour, mais je ne l’ai jamais été dans mes désirs! Si je suis très amoureuse, je fonce. Je ne me suis jamais forcée à aller vers un mec, je suis beaucoup trop pure, j’aime trop l’amour. En amour, je suis complètement hystérique. Je suis une amoureuse. À l’opposé d’Eloïse qui essaie de rationaliser, de trouver un homme comme elle choisit un yaourt Danone !

Pour mieux vous imprégner du rôle, vous vous êtes d’ailleurs rendue, sous une perruque rousse, à une soirée de speeddating. Qu’en avez-vous retenu ?
C’est un lieu de séduction, et pourtant c’est totalement « déséduisant » ! Dans la vie, on se laisse séduire par les gens. On parle de soi, de l’autre, on se laisse envelopper par le mystère d’une personne. Alors que là, en quelques minutes, on passe de « J’aime le poulet au curry » à « Voulez-vous des enfants? ». C’est n’importe quoi ! On sourit bêtement, on part dans une logorrhée, et on se présente sous son meilleur jour : « À 25 ans, je faisais ça, puis à 27, ceci… » Dans une rencontre de la vie de tous les jours, on ne commence pas par son CV ! Le speeddating entre dans l’ordre de l’antinaturel.

Pourtant c’est un mode de rencontre qui a du succès. Tout comme ceux sur les sites Internet…
Je suis consciente que l’on va de plus en plus vers ce mode de rencontre… tous ces les gens qui se rencontrent sur Meetic. Je le déplore. Avec le speeddating, au moins, on rencontre l’être humain. Parce qu’avec le Net, on peut communiquer pendant six mois et ne jamais se rencontrer. Ou pis, se voir et être terriblement déçus. Or quand on rencontre un être humain, qu’on l’a en face de soi, on ressent des émotions, des sensations… Ce moment est essentiel dans la rencontre amoureuse.

Avez-vous de nombreuses amies comme Eloïse belles, intelligentes et célibataires ?
Mes deux copines d’enfance sont en couple. Mais cela ne nous empêche pas de nous poser des millions de questions sur l’amour ! Le nombre de discussions qu’on a eues à ce sujet depuis nos 18 ans, c’est incroyable ! Et ça n’arrête pas ! On s’interpelle, on se raconte nos histoires, on se confie « il m’a fait ci, il m’a dit ça… » On n’arrête pas de refaire le monde !

Avez-vous la même image de l’amour que lorsque vous aviez 18 ans ?
(Elle réfléchit). Non, pas vraiment. En fait, je ne pensais pas que je serais allée si loin dans la preuve d’amour, par exemple. J’ai vécu des trucs fous, des histoires d’amour folles.

Peut-on connaître votre plus belle preuve d’amour?
Oh… Des trucs de dingues ! Des choses aberrantes, surtout d’acceptation. Genre être capable de rejoindre Paris en voiture à trois heures du mat’ juste pour chercher quelqu’un qu’on n’a pas vu. Et puis s’engueuler. C’est fou.

À 36 ans, Eloïse a déjà des habitudes de vieille fille, vous aussi ?
Bien sûr ! J’ai ma robe de chambre en soie, un vieux pijama, et je m’octroie quelques plateaux télé avec un verre de lait, ou un verre de vin si j’en ai envie. J’adore me mettre dans mon lit avec un plateau, des bouquins, des journaux, et la télécommande dans l’autre main. Je ne suis pas souvent chez moi depuis quelques temps, mais quand j’y suis, j’ai mes habitudes : je me fais un masque, j’applique des patchs pour les yeux (rires)…

Aussi devant votre homme ?
Cela dépend des hommes. Un jour, un homme m’a fait une réflexion douteuse. Il était deux heures du matin, j’avais retiré mon maquillage, et il me dit tout déçu : « Ooh, t’as enlevé ton noir aux yeux ». Je lui ai répondu « l’homme qui m’aimera, m’aimera aussi sans mon noir aux yeux ». C’est un test. Parce que forcément, l’amour, c’est aussi pouvoir se montrer sans fard. C’est vraiment génial de pouvoir enlever les masques. Bien sûr, j’aime être séduisante, aller dans un restaurant en mini-jupe en cuir et talons hauts, et faire fantasmer les regards. Actrice, c’est aussi ça. Mais j’aime l’idée de pouvoir rentrer et troquer mes Manolo Blahnik contre un vieux pijama, pour me glisser dans les bras de mon homme. Je ne cherche que ça maintenant.

Quel conseil donneriez-vous à une personne célibataire?
D’allez au speeddating ! (rires) Il n’y a pas de règles. Eloïse va effectivement sur Internet et dans le speeddating parce qu’elle travaille beaucoup. Les gens qui travaillent comme des dingues et n’ont pas la possibilité de quitter leur milieu sont bien obligées de se dire « pourquoi pas ? ».

Vous ne croyez pas à l’amour sur Internet ?
Non, pas pour moi. Mais parce que j’ai la chance de n’être pas trop moche, de rencontrer beaucoup de monde, des gens très différents, et de beaucoup voyager… Donc d’avoir le choix. C’est finalement aussi une question de temps. Nous sommes dans une société ultraindividualiste, capitaliste, avec du rendement à outrance. Pour travailler mon rôle, j’ai suivi une notaire pendant un mois et demi. Cette femme vivait seule, se levait tous les jours à 7 heures du matin, et rentrait à 20h30. Quand je suis sur un tournage, j’ai quasiment les mêmes horaires. Mais cela ne dure que deux mois ! Si je faisais ça toute l’année, et que je voyais tout le temps la même équipe de tournage, à moins de tomber amoureuse d’un technicien sur le plateau… Comment rencontrerais-je de nouvelles personnes ?

Dans son livre Amours, Jacques Attali évoque le netloving : dans quelques années, on vivra des histoires d’amours simultanément en toute transparence. Est-ce la solution ?
Ah non, pas du tout! Le duo Sartre-de Beauvoir, moi, je n’y crois pas. Cette façon de vivre tue forcément l’amour, la passion amoureuse et la confiance. J’ai vécu l’infidélité, j’ai déjà été trompée : ça tue ! Quand on aime, on est exclusif, entier. L’infidélité est une trahison. Certains prétendent qu’il y a une distinction entre le corps et l’esprit. Pas pour moi. S’imaginer dans les bras d’une autre, c’est déjà une trahison. Et imaginer mon homme dans les bras d’une autre fille, pour moi, c’est insoutenable.

Quels sont les ingrédients nécessaires à une histoire d’amour réussie ?
C’est marrant, j’en parlais avec mon père l’autre jour, il m’a répondu : la confiance, l’estime, le respect et l’amour évidemment, cela va sans dire. Je pense vraiment que la confiance en quelqu’un, l’idée qu’on puisse tout dire à cette personne et que cela ne la choque pas est essentielle. Il faut également que cette personne sache bien nous aimer. Rares sont les personnes qui savent bien vous aimer. J’entends par là qu’elle puisse vous offrir l’amour dont vous avez besoin. Certains hommes vont vous aimer, mais vont vous faire souffrir. Cela dit, je n’ai pas la recette : je me pose encore des questions. Vous pensez que j’ai toutes les clés ? Au contraire ! Avec ce film, je me pose encore plus de questions.

Pourtant, vous avez déclaré lors d’une interview que vous aviez fait une croix sur l’homme idéal…
J’ai dit ça ? Oui, c’est probablement vrai. Mais parfois j’ai encore l’illusion de croire qu’il existe. Par contre, je ne crois plus en l’homme capable de combler toutes les « cases ». En mélangeant les hommes que j’ai aimés, cela fait un homme parfait. Mais croire qu’un seul homme peut les remplir, c’est un peu l’illusion du prince charmant qu’on a petite fille…

Quelles qualités recherchez vous chez un homme ?
La droiture, l’élégance du coeur, une force intérieure, la générosité, l’humour… C’est complexe. Finalement, je rejoins Eloïse qui répond à cette question « ben l’amour justement ». Depuis qu’elle a 20 ans, elle a eu tellement peur de souffrir, elle s’est tellement protégée, qu’elle n’a pas encore ressenti l’amour. Selon moi, ce film est une apologie de l’amour. L’idée véhiculée est « aimez-vous ! » Quand on rencontre l’amour, il faut y aller à fond !

Quel est votre remède antidéprime ?
La frivolité : dévaliser les boutiques, faire un soin de peau, aller chez le coiffeur… S’occuper de soi et dépenser trop d’argent pendant une après-midi. Parfois, je suis capable de rentrer avec ce gros sac plein de vêtements et de ne pas l’ouvrir pendant deux mois ! Je suis une vraie boulimique. Au shopping comme en amour.

Vous possédez en effet une garde-robe impressionnante : plus de 200 paires de chaussures et autant de sacs… Peut-on connaître vos coups de coeur dans les nouvelles collections ?
Le sac « Jazz » de Dior qu’on m’a offert et que je trouve génial. J’aime l’élégance d’Yves Saint Laurent aussi. Je trouve que c’est important pour une actrice de garder une certaine élégance. Mais honnêtement, ces derniers temps, je n’ai pas encore eu le temps d’aller dans les boutiques. Je suis juste passée chez Zadig & Voltaire m’acheter plein de petits tee-shirts en coton, très casual. J’ai beaucoup de tenues très chics, mais pour le quotidien…

En quoi les gens se trompent-ils le plus souvent sur votre image ?
Quand ils parlent de froideur et de distance. J’ai un visage classique et intemporel. Peut-être ais-je une élégance naturelle qui effraie certaines personnes. Avant, je n’étais pas très sûre de moi, j’avais un côté bon élève. Ma mère m’a très bien élevée, elle m’a appris la discrétion. Elle m’a toujours répété : « il ne faut pas se faire remarquer ». À mes débuts, je n’osais pas trop dire ce que je pensais ou ce que je ressentais. Je ne voulais pas faire d’éclat. Et comme je n’étais pas très sûre de ce que je pensais, j’avais du mal à l’affirmer. Aujourd’hui, j’ai moins peur d’être moi.

On peut parler politique alors… Que pensez-vous de l’histoire d’amour entre Nicolas Sarkozy et Carla Bruni ?
Ce n’est pas du speeddating, mais du speedwedding ! (Rires).

Vous avez frôlé le César du meilleur espoir à trois reprises. Un prix serait-il la consécration ?
Aujourd’hui, pour moi, la consécration, c’est lorsqu’un réalisateur vient me voir pour me dire : j’ai un rôle de rêve à t’offrir. Evidemment, je ne cracherais pas sur un prix à Cannes, Berlin ou Venise. Un prix, c’est l’ultime cadeau. Le coup de pouce du destin, et un sérieux coup de projecteur… Et puis surtout, cela permet probablement de se poser deux secondes, et de se dire « je suis bien ». Avec un prix, on vous dit « bravo » et « continue ». C’est la reconnaissance du métier.

Croisons les doigts : vous allez au Festival de Berlin avec deux films cette année. La Fabrique des sentiments et Il y a longtemps que je t’aime, le premier film de l’écrivain Philippe Claudel. Pouvez-vous nous en dire un peu plus ?
C’est l’histoire de deux soeurs (NDLR : l’autre soeur étant interprétée par Kristin Scott Thomas) qui se sont perdues de vue pendant quinze ans. Elles se retrouvent et rattrapent le temps perdu. Elles vont tenter de recoller les morceaux, se découvrir, apprendre à se connaître. C’est une grande histoire d’amour…

Le secret de la réussite ?
J’ai entendu « se créer de la réussite ». Intéressant, parce que c’est vraiment ça : on se crée sa propre réussite. Il y a une phrase du poète René Char que j’adore et qui dit : « impose ta chance, serre ton bonheur, va vers ton risque, à te regarder, ils s’habitueront ». La réussite, c’est avoir des envies, de l’énergie et croire en sa bonne étoile. La clé, c’est croire en ce qu’on fait !

Propos recueillis par Valentine Van Gestel

La Fabrique des sentiments de Jean-Marc Moutoux, en salle depuis le 20 février.Il y a longtemps que je t’aime de Philippe Claudel, en salle dès le 19 mars prochain.

Ses bonnes adresses à Bruxelles
La Quincaillerie, 45, rue du page, à 1050 Bruxelles. Tél. : 02 533 98 33.
L’Amadeus, 13, rue Veydt, à 1060 Bruxelles. Tél. : 02 538 34 27.
Une balade dans les galeries de la Reine : « Qui sont très belles ».

Ses derniers coups de coeur
Un CD : Comme un manouche sans guitare de Thomas Dutronc.
Un roman : À l’abri de rien d’Olivier Adam.
Un spectacle : Papa est en haut de Gad Elmaleh.
Une pièce de théâtre : L’hôtel du libre-échange de Feydeau. « Clovis Cornillac y est merveilleux. »
Un produit de beauté : ceux de Joëlle Ciocco pour la peau. « Je n’utilise que ça. »

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