La garçonne, analyse d’un mythe

Le Monocle, cabaret spécial pour femmes à Montmartre, vers 1930. © PHOTOGRAPHIE ANONYME, COLLECTION ROGER-VIOLLET

Elle semble à elle seule résumer les Années folles: une coupe de cheveux, un look, un mode de vie, une émancipation controversée, l’incarnation d’un monde bouleversé, un mythe… L’historienne Christine Bard en fait l’objet de son étude dans un essai engagé.

Elle a sacrifié ses longues nattes et porte désormais les cheveux courts. Sa coupe au carré épouse son époque, les Années folles. Sa silhouette penche volontiers vers l’androgynie juvénile. Elle conteste le vieil ordre vestimentaire, s’affiche en pantalon, « emblème de la virilité occidentale », fume, pas même en cachette, et s’encanaille au Monocle. Elle est entrée dans la modernité et l’invention d’elle-même. A la grosse louche, voilà le portrait de la garçonne née dans une France de la crispation et de l’entre-deux, après guerre et avant Vichy. Cette figure de la « femme nouvelle », émancipée et libérée, n’est en réalité qu’un mythe. Mais également l’incarnation d’un phénomène complexe. Ainsi l’analyse Christine Bard, professeure d’histoire contemporaine à l’Université d’Angers et autrice de livres de référence sur l’histoire des femmes, du genre, des sexualités, du féminisme et de l’antiféminisme.

En 1925, pour la première fois dans l'histoire de l'Europe moderne, l'ourlet des robes grimpe jusqu'au genou.
En 1925, pour la première fois dans l’histoire de l’Europe moderne, l’ourlet des robes grimpe jusqu’au genou.© COLLECTION PERSONNELLE DE L’AUTRICE

Dans son essai, passionnant et engagé, Les garçonnes, Mode et fantasmes des Années folles, elle plante le décor de ce début de XXe siècle marqué par les ruptures. Dans l’histoire des corps, les années 20 inaugurant une ère lipophobe. Dans l’histoire de la mode, les ourlets des robes grimpant jusqu’au genou, pour la première fois en 1925. Dans l’histoire des femmes, la visibilité lesbienne devenant éclatante dans ces années de retour à l’ordre. Un tiers de l’ouvrage est en effet consacré à cette dimension homosexuelle féminine de la garçonne. Et le récit historique fait sens, du chapitre sur la fin du saphisme de la Belle Epoque au dernier, titré « Se créer soi-même », car pour ce faire, on le sait, « les images positives sont nécessaires », et chance, les années 20 en offrent.

Violette Morris après sa victoire au Bol d'or en 1927. Trois ans plus tard, la Fédération féminine sportive de France lui retire sa licence d'entraîneuse en raison de sa tenue jugée trop masculine.
Violette Morris après sa victoire au Bol d’or en 1927. Trois ans plus tard, la Fédération féminine sportive de France lui retire sa licence d’entraîneuse en raison de sa tenue jugée trop masculine.© PHOTOGRAPHIE ANONYME, COLLECTION ROGER-VIOLLET

Et si malgré les retours de bâton, la garçonne n’a cessé de se réincarner au fil du temps, jusqu’à aujourd’hui, c’est parce que, écrit Christine Bard, « sa richesse, décuplée par son ambivalence, réside sans doute dans l’alliance réussie de l’esthétique et du politique, de l’image et du verbe: elle est à la fois icône de la libération des femmes et discours sur leur émancipation ». Et aussi parce que « anges ou diablesses, les femmes n’ayant souvent d’autre choix », elle ouvre « une troisième voie »: celle de la femme moderne. C’est dire la richesse du sujet.

Les garçonnes, Mode et fantasmes des Années folles, par Christine Bard, Editions Autrement.

La garçonne, analyse d'un mythe
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