Les baroudeurs de la beauté

Fleur d’or du Ladakh chez Chanel, longoza de Madagascar chez Dior, baie d’açaï du Brésil chez Kiehl’s… Nos cosmétiques sont truffés d’ingrédients rares en provenance des coins les plus reculés de la planète. Des plantes souvent menacées que les marques s’engagent à protéger.

Fleur d’or du Ladakh chez Chanel, longoza de Madagascar chez Dior, baie d’açaï du Brésil chez Kiehl’s… Nos cosmétiques sont truffés d’ingrédients rares en provenance des coins les plus reculés de la planète. Des plantes souvent menacées que les marques s’engagent à protéger.

Par Isabelle Willot

Dans la vie de Xavier Ormancey, les plantes ont toujours eu une place à part. Gamin déjà, celui qui dirige aujourd’hui le centre de recherche cosmétique de Chanel aimait à courir les bois de Haute-Marne avec son grand-père, garde champêtre du village. Les herbes médicinales qu’il ramassait au détour des chemins n’avaient pas de secret pour lui. Et encore moins pour sa soeur, d’ailleurs. « Ma grand-tante était un peu sorcière, sourit Xavier Ormancey. On disait d’elle qu’elle « arrêtait le feu » avec ses onguents. Sa mère, qui tenait ses recettes de sa propre mère, lui avait transmis son savoir. » De cette enfance baignée dans cet univers un peu étrange – et pas toujours bien vu à l’époque – Xavier Ormancey a gardé un profond respect pour les médecines traditionnelles qu’il étudie aujourd’hui aux quatre coins du monde.

La rencontre du chimiste avec les praticiens amchi remonte à plus de cinq ans. En 2005, Xavier Ormancey et son équipe se posent au Ladakh, dans l’extrême nord de l’Inde, aux confins de l’Himalaya. Les chercheurs ne sont pas arrivés là par hasard. Ce désert rocailleux est ce que les ethnobotanistes appellent un hot spot de biodiversité. « Parce que les conditions climatiques y sont très particulières – froid extrême, rareté de l’oxygène, abondance d’ultraviolets…-, on trouve au Ladakh un grand nombre de plantes et d’animaux endémiques, explique Xavier Ormancay. Pour survivre, ces espèces ont dû développer des stratégies d’adaptation. On peut raisonnablement supposer que les plantes qui résistent dans ces régions arides sont dotées de propriétés exceptionnelles. »

Quelques années plus tôt, ce même raisonnement avait déjà amené Xavier Ormancey à découvrir, à Madagascar, les actifs hors normes de la vanilla planifolia. Une plante rare menacée par la déforestation et que la maison Chanel s’est engagée à sauvegarder en mettant sur pied les fondements d’une culture durable dont profitent également les populations locales. « Nous voulons une approche éthique de filières d’approvisionnement, insiste Xavier Ormancey. Cela ne signifie pas seulement payer le juste prix et s’assurer qu’aucun enfant ne travaille dans les plantations. C’est aussi créer un modèle économique et social que les habitants de ces régions pourront développer dans le futur, afin de subvenir à leurs besoins. »

Au Ladakh, le chercheur de trésors naturels a choisi de s’intéresseraux vertus d’une fleur mythologique aux pétales dorés utilisée tant en médecine ayurvédique qu’en médecine amchi. On la dit capable de purifier le corps, de soulager les piqûres d’insectes mais aussi de prévenir les vomissements, de soigner les calculs biliaires et les maux de tête. Assez en tout cas pour mettre la puce à l’oreille de Xavier Ormancey. Des molécules de cette plante unique qui ne pousse qu’entre 2 000 et 3 000 mètres d’altitude, les laboratoires Chanel ont extrait un puissant détoxifiant, devenu l’ingrédient de base de Sublimage Essence, le dernier-né des sérums maison.

Cette fois, l’instinct du chercheur aura été le bon. Ce qui est loin, hélas, d’être toujours le cas. « Il est très rare que l’on trouve sur place des recettes de beauté, reconnaît Xavier Ormancey. La cosmétique, cela reste très occidental. À moi de faire le lien entre ce que j’observe sur place et mes thématiques de recherches. Je dois transposer, objectiver par des tests scientifiques. Et dans la majorité des cas, cela ne débouche sur rien. Sur cent plantes étudiées, nous en gardons en moyenne trois. Pas seulement parce que l’on n’observe pas l’effet désiré. Il se peut aussi que le procédé d’extraction soit trop compliqué, que l’actif soit déjà breveté, ou que cette variété ne soit pas cultivable. »

Quelle que soit la provenance de ses ingrédients, la maison Chanel se refuse à piller les ressources locales. Pas question donc de se servir dans la nature. Tout est cultivé. Afin de ne pas priver les autochtones de matières premières dont ils ont aussi besoin mais aussi pour garantir la parfaite traçabilité des lots. « Pour notre sérum, nous n’avons besoin que de 3 % des fleurs d’or récoltées au Ladakh », assure Xavier Ormancey. Le reste approvisionne directement les cabinets des médecins amchi qui utilisent jusqu’à 2 200 plantes pour soigner leurs concitoyens. La croyance veut que ce soit le Bouddha lui-même qui leur ait enseigné l’art de guérir. Pour éviter que cette pratique vitale pour les 100 000 habitants de l’une des régions les plus reculées du monde ne se perde, Chanel finance à 100 % depuis cinq ans un programme de formation de nouveaux amchi, des femmes principalement. En collaboration avec une ONG indienne, la marque s’est aussi lancée dans un vaste programme de recensement des variétés endémiques menacées. Deux sites de conservation naturels et des jardins botaniques ont été mis en place. Des essais de mise en culture biologique ont également été lancés dans la vallée de l’hindus.

C’est la première fois qu’un tel travail de collecte systématique est réalisé au Ladakh. Cet herbier, inspiré de celui du Muséum d’Histoire naturelle de Paris, reprend pour chaque plante la dénomination botanique, le nom usuel, le lieu de collecte, la rareté et l’usage traditionnel. Autant de trésors catalogués qui seront mis à la disposition des scientifiques du monde entier. « De cette manière, on évite que des gens mal intentionnés viennent piller ces connaissances comme des prédateurs en déposant des brevets, insiste Xavier Ormancey. À partir du moment où des informations scientifiques ont été publiées, plus personne ne peut se les approprier. »

Des jardins d’exception

À l’écoute elle aussi des savoirs traditionnels, la maison Dior s’est investie dans la gestion et la protection de plusieurs sites d’exception : des « jardins » situés aux quatre coins du monde et choisis parce qu’ils abritent des plantes à très haute valeur cosmétique ajoutée. C’est le cas notamment des sarments de vigne d’Yquem, ingrédients clés de L’Or de Vie, des fleurs de jisten cultivées en Ouzbékistan et réputées pour leurs propriétés hydratantes, que l’on retrouve dans la nouvelle gamme Hydralife, mais aussi des graines de longoza de Madagascar dont les actifs anti-âge dopent les produits de la ligne Capture Totale. « Le jardin, où qu’il soit, exige beaucoup d’attentions et il demande toujours que l’on s’intéresse aux hommes qui en prennent soin, insiste Patrice André, responsable du département actifs, biologie & cosmétique chez Dior. La dimension éthique ne s’exprimera pas de la même manière à Madagascar ou sur le territoire français. À Madagascar justement, nous avons soutenu la création d’une association de récolteurs de longoza. Nous les avons aidés à construire une maison du riz ainsi que de nouvelles salles de classe pour les enfants. Nous nous sommes aussi lancés dans un programme de reboisement. » Au Burkina Faso, où la marque n’est plus directement active en terme de récolte, elle a toutefois maintenu ses échanges avec le village de Koro d’où provenait une partie de ses matières premières.

À la manière d’Aveda ou de The Body Shop qui, dès leur création, se sont engagées à veiller sur les écosystèmes d’où provenaient les ingrédients entrant dans la composition de leurs cosmétiques, souvent inspirés de recettes autochtones, Kiehl’s soutient également les fermiers de la petite communauté de Nazarezinho, au Brésil, au coeur de la forêt amazonienne. C’est eux qui veillent sur les arbres porteurs des célèbres baies d’açai réputées pour leurs propriétés antioxydantes et présentes dans sa gamme homonyme. Des fruits dont ils se nourrissent dès l’âge de six mois depuis des centaines d’années. En 2010, l’entreprise américaine a versé plus de 150 000 euros à la Rainforest Alliance, une ONG dédiée à la protection de la biodiversité active dans la région.

Pourtant, ces perles de la nature ne se trouvent pas toujours de l’autre côté du globe. C’est sur la petite île d’Ouessant que Frédéric Bonté, directeur de la recherche Guerlain, a découvert une abeille noire unique au monde. Protégée de toute pollution et de tout parasite, elle y produit un miel à nul autre pareil. Si l’on retrouve ce nectar dans le nouveau sérum baptisé Abeille Royale – en référence aussi à l’insecte emblème de la marque depuis 1828 -, Guerlain a également décidé de soutenir sur place un vaste programme de screening du miel et de la gelée royale, les produits des ruches d’Ouessant ayant valeur d’étalon de pureté.

« Même si nous aimons bien raconter de belles histoires, au final, ce n’est pas l’exotisme qui prime, mais le résultat, conclut Xavier Ormancey. L’oeillet est peut-être moins photogénique que la fleur d’or, mais s’il était aussi efficace qu’elle, on s’en contenterait. » L’an prochain d’ailleurs, Chanel mettra à l’honneur une plante du terroir français. Tout en poursuivant sa course aux trésors naturels aux antipodes.

Découvrez comment Chanel va puiser au coeur de la fleur rare d’Himalaya pour réaliser sa gamme Sublimage

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